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La destruction des invendus des marques de mode et de luxe devient interdite

Une pratique bonne à jeter

Dans la mode et le luxe, la destruction de vêtements est une pratique très répandue souvent passée sous silence. Elle consiste à se débarrasser des pièces qui n’ont pas été achetées en les jetant, en les enfouissant sous terre ou en les incinérant. Si les raisons évoquées par les marques sont variées : qualité non conforme, défaut mineur, tâches, déchirures…, la majorité des vêtements détruits correspond aux invendus, l’équivalent de 40% de produits bradés qui n’ont pas trouvé preneur. Aucune de ces justifications n’est légitime. Après les scandales signés Burberry, Celio ou encore H&M la loi AGEC prendra enfin effet au 1er janvier 2022 et interdira formellement aux marques d’éliminer les invendus.

La loi Anti-Gaspillage pour l’Économie Circulaire interdira d’éliminer les invendus

Depuis 2019, nous entendons parler du projet de loi Anti-Gaspillage pour l’Économie Circulaire (AGEC). Votée à l’Assemblée Nationale et au Sénat, la loi a pour objectif d’accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat” [1]. Dans ce contexte s’inscrit l’interdiction de détruire les produits neufs invendus non alimentaires, dès le 1er janvier 2022. Pour l’industrie de la mode et du luxe, cette loi signifie que les producteurs, importateurs, distributeurs devront désormais “donner, réemployer, réutiliser ou recycler leurs invendus” [2]. Une mesure qui vient mettre un coup de pied dans la fourmilière des marques de mode, habituées à détruire leurs invendus.

Pourquoi la destruction des invendus dans la mode est-elle un problème ?

Jusqu’alors, chaque marque de mode gère les invendus à sa manière : braderies, outlets, ventes privées, périodes de soldes et jours promotionnels à l’instar du Black Friday, toujours plus aberrants en terme de remises. Cependant, 40% des vêtements produits par les marques ne seront jamais portés, les stocks restants après les discounts sont conséquents. C’est ainsi que la plupart incinèrent les modèles ou les jettent à la poubelle après les avoir lacérés ou enduits de produits toxiques comme de la javel afin qu’ils ne soient pas récupérés pour faire secondairement l’objet d’un marché noir.
Plusieurs scandales ont marqué les esprits ces dernières années : en 2017, H&M aurait brûlé l’équivalent de 12 tonnes de vêtements invendus au Danemark [3]. La marque assurait alors que l’incinération concernait les pièces non conformes aux règles de sécurité de l’entreprise. En 2018, Burberry estimait le coût des produits finis physiquement détruits à 32,6 millions d’euros incluant 21 millions d’euros de produits de prêt-à-porter et d’accessoires [4]. La Maison de luxe tentait de rassurer alors, en déclarant qu’elle collabore avec des spécialistes afin de produire de l’énergie électrique grâce à la chaleur dégagée par le processus d’incinération.
La même année, des doudounes, chemises, pulls Celio étaient retrouvés lacérés dans les poubelles et attachés sur la devanture de leur boutique à Rouen, en pleine vague de froid [5]. Au pied du mur, Celio déclarait alors que les produits étaient  importables et qu’ils soutenaient l’ADN (Agence du Don en Nature) par ailleurs. 
Globalement, la réponse des marques de mode semble réglée sur automatique : les articles sont importables du fait de “trous, déchirures, tâches, non conformité”. Dans le doute, elles se chargent elles-mêmes de les rendre inutilisables. Pour ce qui est du luxe, l’approche est un peu différente. Les marques pratiquent très peu de soldes et de déstockage de peur de porter atteinte à leur image. Pour les Maisons, il est primordial de protéger la liberté intellectuelle et d’éviter la contrefaçon. Il est donc courant de voir détruits des prototypes ou encore des produits à plusieurs milliers d’euros.

La destruction d’invendus, une aberration écologique à laquelle peut remédier la loi AGEC

Éliminer des invendus consiste finalement à jeter de la matière, des fournitures, des produits pouvant être portés ou réparés/upcyclés/recyclés. À ce gaspillage vient s’ajouter le coût environnemental de la production d’un produit inutile, de son transport d’un pays à l’autre, de son stockage (dans d’immenses entrepôts chauffés et éclairés, parfois plusieurs années) et enfin de sa destruction. Autant de matières premières, d’énergie et de kilomètres inutiles. Ces pratiques érigées au rang de la normalité chez les marques soulignent l’absurdité de leur modèle économique qui demeure largement profitable tout en détruisant des vêtements (et l’environnement).
Le but de la loi AGEC est de les contraindre à changer de modèle. Il s’agit de ne plus se contenter de justifier la destruction des invendus mais de l’interdire et de la punir. De fait, il est nécessaire pour les marques de remonter à la source du problème universel : la surproduction. Plusieurs solutions sont déjà disponibles, telles que l’éco-conception permettant de démanteler facilement un produit pour le recycler ou l’upcycler à sa fin de vie, la production raisonnée à la commande, à la demande ou en précommande, la revalorisation de l’existant grâce à un système circulaire de seconde main intégré sur des plateformes ou au sein même d’une marque. S’attaquer à la cause est certes plus complexe et long que de trouver des excuses aux conséquences, c’est néanmoins la seule solution vertueuse tant sur le plan écologique qu’économique.

Le vêtement le moins polluant est celui qui n’a jamais  été produit.

Un problème de fond qui concerne aussi les consommateur·ice·s

Le rythme doit ralentir pour nous toutes et tous. Si l’élimination d’invendus est une problématique, elle n’est que le résultat de notre manière de produire et de consommer toujours plus de nouveautés. Un  rythme qui s’emballe, des tendances qui se succèdent toujours plus vite, une qualité et une créativité dégradée (… vaste sujet). Entre 2000 et 2014, la production mondiale de vêtements a doublé [1]. Parallèlement, en l’espace de 20 ans, notre manière de consommer la mode s’est radicalement métamorphosée : nous achetons 60% de plus de vêtements et nous les gardons deux fois moins longtemps. Un piège qui se referme sur la planète comme sur nous (consommateur·ice et/ou un·e acteur·ice de l’industrie de la mode au bord du burn out).

 

 

Références

[1] La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, Ministère de la Transition Écologique
[2] Gaspillage : il sera bientôt interdit de jeter les invendus, Gouvernement
[3] L’enseigne H&M accusée de brûler des tonnes de vêtements invendus, Le Parisien
[4] Annual Report 2017/18, Burberry

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Commentaires 7
  1. Bravo la team d’aborder ce sujet qui est LE sujet de notre industrie. Si on veut aller plus loin on peut même se demander ce à quoi correspondrait un “marketing responsable” et quel serait le meilleur business model pour tout le monde ! Car malheureusement la seconde main n’empêche pas les quantités produites de progresser sans cesse. Il faut attaquer la où ça fait mal… Du love d’ici là ! 🙂

  2. J’aimerai savoir comment récupérer tous ses invendus pour les réutiliser et rhabiller ou utiliser pour tout autres usages afin de ne pas détruire et encore moins avec des produits nocif. En tout cas il était temps meme si j’aime la mode j’aime plus la planète sur laquelle mes enfants vont vivre. Love Life Sun

  3. “Entre 2000 et 2014, la production mondiale de vêtements a doublé.” alors qu’elle aurait pu être divisée par deux si les clients achetaient moins !Il faut interdire la destruction et les dons par les particuliers…

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