Invendus de mode : quelles solutions pour lutter contre le gaspillage ?
Rédigé par Marion Jourdan
Le 23 sept. 2021
Minutesde lecture
L’échéance approche : dès le 1er janvier 2022 il sera interdit pour les marques de mode de détruire leurs invendus. Alors comment écouler ces vêtements et accessoires laissés sur le carreau ? Solde en boutique, déstockage dans les magasins d’usines, envoi dans d’autres pays… Bienvenue au terminus des invendus. En aval de la production, les pratiques déployées par les marques pour les écouler sont nombreuses, mais il existe également des solutions en amont ! Dans cet article, on fait le point sur l’origine du mal – l’hyperproduction et comment en sortir – et on propose des alternatives pour diminuer la quantité d’invendus, de l’écoconception aux solutions circulaires.
Dire non : Remettre en question le système de la mode actuel
1) Comprendre que le rythme de collections insoutenable
La mode est un renouveau permanent de formes, de matières, de coloris. Avant les années 1990, les grandes couturier·ère·s créaient des collections Printemps/Été et Automne/Hiver. Aujourd’hui, certaines grandes Maisons sortent entre 2 et 8 collections par an : pré-collection, collection, collection capsule, croisières, collaborations, drops… et jusqu’à des dizaines de livraisons par an pour certaines marques d’ultra fast-fashion. Quel que soit le positionnement de la marque, le bilan est le même : la production effrénée se fait à crédit des ressources naturelles de la planète, monocultures intensives de coton, pétrole pour les matières synthétiques devenues majoritaires, charbon pour alimenter les usines de confection….
Que dire de l’épuisement général des travailleur·euse·s du vêtement, designer y compris, dont la créativité se dégrade au même rythme que la qualité. Combien d’acteurs de l’industrie font volte face, quittent l’industrie et/ou partent en burn out ? Alors, sans tomber dans la nostalgie ou tirer la carte (un peu cliché) du “c’était mieux avant”, il faut reconnaître que cette frénésie est toxique.
2) Réaliser que la désynchronisation offre/demande est une aberration
Chaque année, le calendrier officiel de la FHCM (Fédération de la Haute Couture et de la Mode) définit 4 semaines de la mode au prêt-à-porter. 6 mois séparent la présentation des marques de la disponibilité en boutique. Cela faisait sens à l’époque où l’on s’habillait pour une saison, s’offrant une nouveauté par semestre par nécessité ou plaisir. Aujourd’hui, le flux de vêtements est totalement décorrélé de nos besoins et si rapide qu’il ne nous permet plus d’écouter nos envies. See now buy now… qu’on pourrait compléter par “trash later”. Le vêtement a la durée de vie d’un post Instagram. Mais pour assurer un volume de renouveau permanent, il faut produire vite, beaucoup et pas cher. Les marques commandent de grandes quantités de vêtements car plus le volume est important (de matière, de trims) plus les coûts à l’unité sont bas, particulièrement dans les pays où la main d’œuvre est à bas prix. C’est la notion de prime au vice explicitée par le collectif En Mode Climat qui plaide pour une régulation des importations par une hausse des taxes sur ces marchandises à faible coût économique et fort coût environnemental. À l’heure actuelle, les marques font des paris : telle couleur ou tel motif ou telle coupe va marcher. Mais sur des milliers de modèles de vêtements produits en énorme quantité, les prédictions sont loin d’être toujours justes ! Ainsi les marques se retrouvent avec des invendus en quantité astronomique et des rouleaux de tissus inutilisés stockés pendant des années. Ces mêmes produits sont bradés pendant les soldes (-70, -90%… Black Friday) ou -avant la loi AGEC – étaient détruits.
3) Apprendre à consommer hors du sentier des tendances
Les tendances nous incitent parfois à consommer toujours plus sans que l’on en prenne conscience. Les diktats de la mode nous sont imposés : long, court, à carreaux ou rayés, tight ou oversized. Prendre conscience de leur emprise pour se mettre en quête de son propre style est libérateur pour notre esprit et notre porte-monnaie. Nous sommes des êtres humains aux humeurs changeantes et aux styles variés. À nous de nous reconnecter à nos envies et au pouvoir émotionnel apporté par un vêtement de qualité que l’on aime et que l’on portera longtemps.
Revoir sa copie : concevoir la mode dans une démarche circulaire
Un peu d’éco-jargon
Loi AGEC : rappelons qu’au-delà d’interdire la destruction d’invendus, « la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire entend accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat. ». [1] Cette loi appelle à un changement en profondeur : celui d’une transition d’une économie linéaire vers un économie circulaire.
Selon l’ADEME, “l’économie circulaire peut se définir comme un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits, vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien être des individus”. [2] Pour les marques, il s’agirait d’optimiser la gestion des ressources – matières et énergie – tout au long du cycle de vie du produit.
Selon l’AFNOR, “l’écoconception consiste à concevoir un produit de telle sorte que l’impact de son utilisation et de sa fin de vie sur l’environnement soit minimisé.”[3] L’écoconception pourrait réduire les impacts environnementaux jusqu’à 80%. [4]
Refashion compte 3 domaines et 7 piliers de l’économie circulaire :
- Extraction / Exploitation de matières durables
- Ecoconception
- Economie industrielle et territoriale
- Economie de la fonctionnalité
- Consommation responsable
- Allongement de la durée d’usage
- Recyclage
En pratique, quels outils ?
La Fédération de la Haute Couture et de la Mode a annoncé le lancement de deux outils d’écoconception :
- L’outil d’écoconception et d’accompagnement pour les événements qui évalue l’impact environnemental, social et économique (avec l’Institut Français de la Mode) de la PFW®
- L’outil d’écoconception et d’accompagnement pour les collections et la chaîne de valeur industrielle qui vise à mesurer l’impact environnemental et social sur l’ensemble de leur chaîne de valeur industrielle.
Les Fédérations de l’habillement proposent également deux supports gratuits à la disposition des marques :
- Le Guide de l’Éco-conception
- Les ressources Green, une plateforme- annuaire en ligne qui répertorie les porteurs de solutions en faveur de l’éco-conception
Changer de mentalité : produire (moins et mieux) des vêtements qui durent longtemps et les transmettre
Trouver une fin de vie aux invendus est une initiative géniale. Mais quand la baignoire déborde, nous sommes de celleux qui préfèrent couper le robinet plutôt que d’écoper… Il s’agit donc de réduire la quantité de vêtements produits, puis de les revaloriser.
Produire moins : la précommande
Lorsque l’on organise un repas, on prévoit les portions en fonction du nombre de personnes qui seront autour de la table. La précommande, c’est le même principe appliqué aux vêtements. Pour ne pas risquer de gaspiller, une marque sonde la demande réelle, et prend connaissance du nombre de commandes passées par les consommateurs pour lancer sa production. Sur le site, les client·es paient pour recevoir le produit quelques semaines ou quelques mois après.
Pour les consommateur·ices :
- Participer à la création du produit en répondant à des questionnaires (forme, couleurs, désirs…) ;
- Posséder un vêtement produit en quantité limitée ;
- Contribuer à la création ou la croissance de marques innovantes grâce à nos commandes ;
- Ralentir notre rythme de consommation. De compter les jours, de se languir le moment où l’on va recevoir notre colis tant attendu.
Pour la marque :
- Éviter la surproduction ;
- Ne pas avoir d’invendus sur les bras à la fin de la saison ;
- Réduire drastiquement le gaspillage de matières premières ;
- Être au contact des besoins de la communauté ;
- Anticiper les tailles des vêtements produits ;
- Avoir une sécurité financière grâce aux montants versés en amont par les consommateur·ices.
Produire moins : la production à la demande
Produire aux quatre coins du monde en grande quantité pour réduire les coûts est une pratique répandue dans l’industrie de la mode. La production à la demande en est une alternative à ce mode de fonctionnement. La plateforme Tekyn permet aux marques de mode de lancer une production textile en fonction du succès des produits, réduisant ainsi le risque d’avoir du surstock et de potentiels invendus. Dans le Tech Center informatisé et automatisé de Tekyn, sont créés des kits prêts à confectionner (contenant la découpe des pièces du patrons, les fournitures et étiquettes). Ils sont ensuite envoyés aux ateliers de confection français qui produisent en fonction des volumes de ventes de la semaine passée. Une solution ingénieuse, française et en circuit-court ! Si dans l’équation de la rentabilité, cette solution peut paraître plus coûteuse, le fait qu’elle limite la quantité de stocks excédentaires, et ainsi leurs dévalorisations et qu’elle allège la problématique de leurs écoulements s’avère être des arguments de taille.
Valoriser les vêtements, les tissus et le matériel de mercerie existants
L’upcycling deadstock pre-consumer
- WeTurn : Weturn propose aux acteurs de l’industrie de la mode et du textile de recycler les stocks dormants, les rouleaux de tissus logotés et les chutes de tissus en fils de qualité. Ces matières deviennent alors des bobines de fils et peuvent être utilisées par les clients ou remises sur le marché en tant que fil recyclé.
- UpTrade : Les stocks dormants représentent 12% de la production globale de textile chaque année. Afin d’éviter le gaspillage de textiles, la plateforme pour professionnel·le·s UpTrade œuvre en faveur du réemploi de ces stocks de matières et joue l’intermédiaire entre les fabricants/fournisseurs textile et les marques de mode.
- Nona Source : Lancée en Avril une plateforme 2021, Nona Source, permet à toutes les PME disposant d’un numéro de SIRET de commander les étoffes inutilisées par les grandes maisons de luxe du groupe LVMH. Ainsi, les stocks de tissus dormants sont remis en circulation dans l’industrie en suivant une démarche d’upcycling. Sur le site, les tissus sont présentés au travers de vidéos et de photos où la matière est sur un Stockman ou prise de très près pour rendre compte du toucher, de la tenue et de l’aspect de l’étoffe.
L’upcycling deadstock post consumer
Ces dernières années, de plus en plus de créateur·ice·s mettent leur talent et leur ingéniosité au service de l’upcycling. Qu’ils soient au sortir d’une école de stylisme, des designers issus de grandes Maisons de luxe ou encore des autodidactes, ils relèvent le défi de créer dans la contrainte avec des stocks de tissus limités et/ou des pièces vintage. Ils s’adaptent à la matière et non l’inverse, convoquant la construction par la déconstruction.

© Shooting Paris Remade
Références
[1] La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, Ministère de la transition écologique
[2] L’ADEME, économie circulaire
[3] Maîtriser les ACV et l’écoconception, AFNOR
[4] L’écoconception, les concepts, pôle éco-conception
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