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“Je suis féministe” ne peut pas être écrit sur un T-Shirt à 5€

Ou pourquoi la mode éthique est écoféministe par essence

« Girl Power », « Womempowerment », « We should all be feminists ». Nombreux sont les vêtements à messages qui défilent sur nos feeds et les podiums depuis 2019. Si le mouvement lancé par Maria Grazia Chiuri – Directrice Artistique chez Dior – a trouvé racine dans un engagement féministe réel, les copies produites en série par les marques de fast-fashion sont d’une contradiction rare entre le message et la réalité. Par son exploitation humaine, par son impact environnemental, parce qu’elle fait de la femme une marchandise-objet : l’industrie de la mode est l’une des plus néfastes pour la condition féminine. Dans cet article, nous tentons de mettre en lumière l’hypocrisie des marques qui vendent des slogans féministes, nous questionnons le lien entre condition féminine & Environnement et abordons la notion d’écoféminisme ou la nécessité pour les femmes de s’entraider concrètement. À travers leurs vêtements.

De la condition féminine chez les travailleur·euse·s du vêtement

Précarité financière

L’industrie de la mode emploie 75 millions de personnes dans le monde [1], dont 85% de femmes [2]. Il ne s’agit pas seulement de manufacture vestimentaire, mais de tous les métiers qui composent la chaîne de production, depuis les plantations de coton. Saviez-vous par exemple que les femmes exercent 80 % du travail agricole mais ne sont propriétaires que de 5 % des surfaces et ne perçoivent que 10 % des revenus qu’elles génèrent ?

En 2020, entre 9,1 et 9,4% soient 1,2 milliards de personnes vivent sous le seuil de pauvreté fixé à moins d’1,90$ par jour. 70 % d’entre elles sont des femmes. La majorité de ces femmes obtient un salaire minimal qui leurs permet de subsister au jour le jour : de quoi se vêtir, se nourrir, se loger. Aucune économie n’est possible, aucune émancipation financière.
À l’échelle mondiale, la parité n’existe pas. Les femmes exercent un travail moins qualifié et moins rémunéré.

Précarité sanitaire

La plupart des employé.es de la mode le sont dans des conditions de travail précaires, sans assurance maladie ni couverture sociale. Ces personnes sont davantage exposées aux maladies, à la morbidité. La mortalité dans ces pays est supérieure à celle des pays développés qui consomment à prix d’or le fruit de leur travail. À l’échelle mondiale, les femmes ont 5 fois plus de risque de mourir en cas de catastrophes naturelles, qui sont de plus en plus fréquentes avec le réchauffement climatique.

Précarité sociale et face à la justice

Ces femmes vivent bien souvent loin de leur famille situées dans les campagnes et délaissées pour trouver du travail en milieu urbain. Le moindre événement de vie (grossesse, parent malade, maladie) responsable d’absentéisme a une répercussion directe sur les trois fonctions primaires à peine couvertes par un salaire journalier.
Ces femmes sont jeunes (la majorité a moins de 25 ans), vulnérables, peu éduquées, victimes de chantage et parfois d’abus sexuel, menacées de renvoi en cas de grossesse.
Au Cambodge, les ouvrières textile travaillent en majorité plus de 48h par semaine et ne sont pas informées de leurs Droits, ni même de l’existence d’un Code du Travail [3]. C’est également le cas au sein des communautés Ouïghours qui n’ont pas été visibles avant que la scène internationale ne se révolte pour elles.

Et en Occident ?

La condition féminine et son image sont également affectée en Occident. Nous l’avons vu dans le documentaire Made in America, qui présente les conditions peu reluisantes du travail de migrant·es Sud-Américain·es exploité·es dans les usines Nord Américaines, comme Forever 21 à Los Angeles. Au delà du travail, c’est notre image dont on dispose et notre corps que l’on façonne comme un objet : injonctions à la minceur, racisme, invisibilisation des grandes tailles, fabrique de complexes, inventions marketing culpabilisantes… On vous laisse la possibilité de découvrir ces onglets.

Du lien entre la condition féminine & l’Environnement

À plusieurs égards, les femmes sont les premières touchées par les désordres climatiques. Les sécheresses et inondations :
– m
enacent la sécurité alimentaire et les cultures dans lesquelles elles travaillent ;
– accentuent la charge mentale et les tâches physiques de recours à la famille qui sont féminines, comme collecter du bois ou aller chercher de l’eau.
Les désordres climatiques engendrent des crises sanitaires, elles-mêmes à l’origine d’une vulnérabilité économique et sociale qui favorise l’émergence de groupes radicaux armés et de dictatures. Les populations sont alors plus exposées à la violence, aux abus de pouvoir ou sexuels, comme le démontre l’actuelle situation en RDC (République Démocratique du Congo) [4].
La précarisation des foyers engendre également des migrations climatiques et un traffic humain touchant principalement des femme et des enfants, sacrifiés par leurs familles lorsqu’elles/ils représentent une personne à nourrir supplémentaire ou une source de revenu potentiel en tant qu’objet vendu… D’ici 2050, 50 à 200 millions de réfugiés climatiques pourraient fuir leurs pays, dont 50% de femmes [5].
Tant que cela résume la vie de certaines, on ne l’écrira jamais assez.

 

De l’hypocrisie des marques de mode féministes

Il semble exister une vraie contradiction entre les actes et les messages des marques de fast-fashion voire de certaines marques de Luxe qui ne fabriquent pas nécessairement dans de meilleures conditions. Malheureusement, de nombreuses activistes féministes ignorent le lien entre leur garde-robe et l’oppression de leurs sœurs à l’autre du bout du monde. Elles leur donnent raison en leur accordant leur pouvoir d’achat et une visibilité massive sur les réseaux.
Afficher « Je suis une féministe » sur un t-shirt fabriqué par une femme opprimée, non seulement ne semble pas servir sa cause mais accroît la richesse et la confiance d’un système capitaliste arrogant et misogyne. La femme-drapeau qui porte un «  Girl Power » à 5€ sur la poitrine est aussi une victime.
Pour lutter activement à réhabiliter la femme et sa condition, il faut l’intégrer dans les décisions, les comités exécutifs et directionnels des entreprises, leur donner accès aux postes d’encadrement du travail sur les chaînes de valeurs, les rendre visibles et égales à l’homme tant dans les conditions de travail que les salaires, des champs de coton aux campagnes publicitaires. À l’heure actuelle, du côté des marques ou des annonceurs, c’est encore loin d’être le cas, comme en témoigne le compte Instagram @balancetonagency.
Du réchauffement climatique ou de la quête de nos Droits, nous ne pouvons plus ignorer que les luttes convergent et devons rester cohérentes dans nos actions.

 

L’écoféminisme ou la nécessité de nous entraider concrètement à travers la mode

L’écoféminisme est un mouvement né aux États-Unis dans les années 1970-1980, cependant répandu depuis peu en France. Porte-paroles, Mona Chollet, Ophélie Ta Mère Nature, Marion Lagardette AKA La Petite Okara, Girl go Green ou encore Alexia Soyeux du podcast Présage, figurent parmi nos role models. À travers des publications, des interviews ou des vidéos, elles expliquent la convergence existante entre la lutte contre le réchauffement climatique et celle pour les Droits des Femmes. Le point commun aux deux ? L’oppresseur. Le capitalisme effréné, lui-même au mains d’une vindicte patriarcale, dispose des ressources naturelles et des Droits des Femmes sur lesquels il exerce une domination à but consumériste. Misogynie et écocides relèvent d’une logique unique d’objectivation (soit le fait de considérer comme un objet) du genre féminin comme de la Nature.
Les femmes et les écosystèmes sont à la disposition d’un système destructeur aux mains des hommes (préférentiellement caucasiens, hétérosexuels et issus de milieux aisés) dont la quête existentielle se résume au pouvoir, avec en filigrane, l’argent.

 

L’écoféminisme expliqué par Ophélie Damblé – Ta Mère Nature

 

Comment agir ?

Notre engagement au quotidien pour la planète, le climat et in fine les femmes se résume à des gestes aussi impalpables pour nous qu’ils sont capitaux à l’autre bout du monde. Cela relève simplement de nos choix de consommation et de nos habitudes de vie. Réduire son impact pour la Maison commune (écologie) et le bien des Femmes (écoféminisme), notamment en changeant radicalement de mode opératoire, en refusant de consommer des vêtements ou en choisissant de favoriser des marques éthiques.
Ce ne seront pas les vêtements qui changeront la face du monde, mais les Femmes qui les portent : nous. À nous les privilégiées du monde occidental dont le pouvoir (pacifiste !) tient dans notre porte-monnaie, les Femmes qui fabriquent nos vêtements sont nos sœurs, elles méritent notre l’empathie, notre l’amour, notre compassion. Aussi banal et anodin que cela paraisse, ces trois sentiments peuvent se trouver dans nos actes d’achat. Même s’ils sont imparfaits, même si nous nous sentons comme une goutte d’eau dans un océan de fast-fashion, à chaque fois que nous nous détournons d’une grande enseigne sans morale au profit d’une marque engagée, nous envoyons un signe faible à toute une industrie en train de chavirer.

Soyons féministes, ne portons pas ce T-shirt.

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