Quelles marques éthiques proposent des grandes tailles et pourquoi est-ce compliqué ?
Rédigé par Victoire Satto
Le 22 févr. 2022
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L’éthique est multifacettes. Pour certain·e·s l’environnement prime, la seconde main est la meilleure option. Pour d’autres, c’est l’absence de cruauté animale, en dépit du plastique contenu par les matières. D’autres encore s’attacheront aux engagements sociaux de la marque pour ses travailleurs. Mais que dire de celles qui, avant toutes ces considérations, trouvent qu’il est peu éthique d’être exclu·e·s par une marque du fait d’un poids ou d’une taille non standard ? Dans nos sociétés aux physiques normés et aux corps retouchés, l’éthique ne devrait-elle pas aussi être une affaire d’inclusivité ? Et si oui, pourquoi y’a t’il si peu de marques de mode responsables qui offrent des grandes tailles ?
Being plus size doesn’t mean I don’t have an eye for fashion*.
Quel est le problème entre les femmes de grande taille et la mode ?
Les marques réellement mode qui proposent un vaste choix de tailles se comptent sur les doigts d’une main. Les marques spécialisées dans les grandes tailles fabriquent bien souvent des classiques qui ne sont pas mode, tandis que les sections plus size des marques tout venant sont très limitées.
Pour celles qui s’habillent au delà du 42, la peine est triple : pas d’identification possible dans les magazines de mode, exclusion des possibilités de shopping en boutique, restriction stylistique aux basiques. Ajoutez les critères « éthique et durable » à votre recherche et la mission devient quasi impossible.
Tant du côté des consommateurs que des marques, nous avons essayé de comprendre pourquoi et d’y remédier.
© Venetia Berry
Du côté des consommateur·ices
« Dois-je me résoudre à l’ennui ou changer de corps ? » Cette réflexion m’a souvent été rapportée par des jeunes femmes modeuses que la bienséance qualifie de « rondes », « bien en chair », « pulpeuses », comme par nécessité de les différencier élégamment des autres être-humains par le physique. Poussons l’absurde à l’extrême : si la société avait admis que la norme était les yeux marrons, ferions-nous la même distinction pour ceux dont l’iris dévie du standard ? « Difficile pour elle de s’habiller… Elle a les yeux verts ». Il nous paraît alors évidemment injustifié de stigmatiser une personne par son physique, tant que celui-ci est un choix. Si la variété des morphologies répond autant à des lois génétiques qu’à des comportements alimentaires assimilés dans l’enfance / secondaires à la malbouffe partout, le seul droit à juger est celui d’une personne sur son propre corps. Aucune personne bien dans sa peau, du 32 au 58, ne devrait avoir à modifier son image pour être incluse dans le monde d’une marque. Cela aussi, relève de l’éthique.
1) Les femmes de grandes tailles investissent moins dans des pièces de qualité
Du fait de la pression constante exercée par les magazines, beaucoup de consommatrices grandes tailles cherchent à mincir ou fluctuent et projettent un objectif de poids idéal dans leurs achats. Ne pas investir dans une pièce chère permet d’entretenir l’hypothèse d’un autre corps futur. Ainsi, il est plus compliqué d’investir beaucoup dans un vêtement, donc dans les marques éthiques, qui bien qu’abordables sont loin des prix des enseignes de fast fashion.
© Publicité Pour Exquisit Form, années 60, USA.
2) Quand on est mal dans ses vêtements, on en change souvent
Un vêtement vite fabriqué, dans des matières de basse qualité et dont la coupe est mauvaise ne satisfera jamais pleinement et durablement une cliente, quelle que soit sa taille. Celle-ci ne sera jamais réellement en confiance, dans sa peau ou dans son vêtement. Chaque matin, chaque occasion de s’habiller (du restau entre copines, du rencard, du quotidien au travail) sera assorti·e d’une anxiété par anticipation. Cette anxiété liée au paraître peut trouver un réconfort / un remède temporaire sur un site marchand, à passer une commande express, compulsive, qui contiendra si possible beaucoup de produits pour avoir le choix. Pour les résignées qui passent cette étape, l’option jogging est une voie de sortie.
Féminité rangée, créativité tue, expérience humaine contrariée… Les femmes sont loin de vivre la mode de la même façon.
3) La mode éthique est ennuyeuse
Ce n’est plus vrai aujourd’hui… du 34 au 42. Mais parce produire du plus size est une vraie décision pour une marque (on fait le point en dessous), souvent l’offre est cantonnée à des coupes basiques et à des tons sobres.
Faites un exercice rapide : si vous cherchez une robe pour un mariage et faites un 38, sur 20 modèles, 19 vont vous aller, un va vous plaire. Pour une taille 56, un va vous plaire, aucun n’ira. Il vous faut donc 20 fois plus de modèles dans un marché qui propose moins de choix. C’est insoluble et extrêmement frustrant.
Ces clientes ne veulent pas d’une collection « extra » de quelques pièces hors normes, elles veulent pouvoir shopper n’importe quelle pièce à leur taille.
4) Le plus size n’est disponible qu’en ligne
Les boutiques physiques pour grandes tailles sont rares dans la mode courante et n’existent pour l’instant pas dans la mode éthique. Ce qui rend l’essayage impossible ou toute tentative stressante, et incite à commander en ligne massivement / renvoyer fréquemment.
Du côté des marques
1) Les marques éthiques ont peu de moyens
Les marques responsables sont souvent de jeunes marques, âgées de quelques années (le déclencheur mondial des consciences, l’évènement du Rana Plaza, a eu lieu en 2013). Pour se pérenniser et assurer sa rentabilité, il faut faire preuve d’une économie de centimes, dans un monde où les gros industriels renouvellent leurs collections à la vitesse de l’éclair et sans gène pour réduire aux maximum les coûts de production. Or, élargir sa gamme de tailles est une vraie décision et représente un investissement conséquent. À moins d’en faire son modèle économique, ce n’est pas une option dans les premières années de vie d’une marque.
2) Le plus size coûte cher à produire
C’est vrai pour plusieurs raisons :
- Le volume de matières est plus important mais le vêtement ne peut évidemment pas être vendu plus cher qu’un modèle identique en 38.
- Les patrons ne sont non seulement pas les mêmes que pour les 34-42 mais sont également différents entre eux. Il existe de nombreuses morphologies : épaules carrées + buste étroit, hanches généreuses + dos fin, longues jambes + fesses rebondies + taille étroites (la team Kardash). Ainsi les patrons sont multiples et la production en série limitée. Or, l’industrie actuellement favorise les gros volumes de production et les modèles en série, le prêt-à-porter qui, basiquement, doit aller à toutes sans aller vraiment à aucune. Une marque attachée à produire bien doit adapter son produit à plusieurs types de femmes mais offrir à chacune le même ressenti.
- Communiquer sur ces sujets nécessite de nouveaux mannequins, un nouveau shooting, donc de doubler l’ensemble des coûts.
3) Les designers ne sont pas formés à ces patrons
La formation aux patronage et au modélisme grande taille est très spécifique et n’est que peu disponible dans les écoles de mode, réduisant à la source le nombre de cerveaux experts de ces créations.
4) Les idées reçues : « La consommatrice plus size est moins moins éco-consciente, et moins mode »
Les fausses croyances liées au poids sont nombreuses et parasitent autant les esprits étroits que les marques. La croyance selon laquelle une personne taille 50 est moins éco-consciente / healthy / précautionneuse de son corps est fausse et socialement construite. C’est un amalgame qui conduit à une association de valeurs erronées, comme le vegan n’est pas nécessairement écologique.
Un autre exercice : faites état du nombre d’influenceuses dont la morphologie correspond aux standards de beauté et de ce qu’elles consomment de vêtements prêt-à-jeter malgré l’apparence healthy des jus détox exposés sur les réseaux. On ne parle pas des avocados toasts… L’apparence ne fait pas la conscience.
Nos conseils aux consommatrices
- Constituez-vous un dressing capsule de super basiques à pimper ;
- Misez à fond sur les accessoires, les sacs, les trésors vintage ;
- Trouvez un·e couturier·e de quartier qui deviendra vite votre meilleur·e pote, notamment pour les retouches en cas de variations de poids ;
- Si vous adorez une pièce : gardez-là pour avoir le patron, choisissez des tissus qui vous plaisent et faites la reproduire par votre nouveau meilleur copain ;
- Certaines marques de patron sont spécialisées dans les grandes tailles, comme la géniale Paper Theory Patterns ;
- Investissez du temps et de l’argent dans des pièces rares qui vous ressemblent, incarnez vous vêtements, prenez-en soin, soyez-en fières !
Nos conseils aux marques
- 67% des femmes aux USA sont considérées plus size, en France, nous n’avons pas trouvé de chiffres fiables. Le marché mondial est estimé à 20 milliards de dollars… A titre indicatif ;
- Favorisez la précommande +++ pour éviter de produire inutilement et répondre précisément aux attentes des clientes ;
- Proposez un service de retouches qui peut varier dans le temps pour un même produit ;
- Proposez une offre demi-mesure ;
- Miser sur un showroom, plus intimiste et moins coûteux qu’une boutique, pour faire essayer ;
- Communiquez en transparence : expliquez ouvertement pourquoi c’est compliqué/plus cher/en ligne.
© Venetia Berry
La demande est là, la communauté grandissante et réceptive, prête à dialoguer avec les marques pour travailler collectivement à l’amélioration de l’offre et du service existant. La durabilité devient un facteur déterminant pour le consommateur. La scène de la mode durable a explosé ces trois dernières années, il ne faudrait pas que le chemin de la vertu écologique prenne les virages obtus de la mode tout venant. L’éthique est un chemin long, semé de raccourcis et d’étiquettes rassurantes, qui ne ne doit pourtant jamais cesser de s’interroger. Pour que chacun aspire et ait accès à une mode plus responsable, quelle que soit sa taille.
A lire aussi sur Ref29, les interviews de 5 mannequins grandes tailles
Sélection de marques éthiques et inclusives
Madia & Mathilda
Cette marque de luxe est spécialisée dans l’upcycling, le reconditionnement des vêtements vintage et les matières durables (coton biologique, polyester recyclé, chanvre, ortie, laine, lin). Elle Valorise les savoir-faire et l’artisanat et conçoit les pièces au Royaume Uni.
The Reformation
Sourcing de matières premières naturelles et réemploi de récupérables. Matières artificielles durables (Tencel, polyester recyclé). Audits mensuels à annuels chez les partenaires (Los Angeles, Maroc, Turquie, Chine). Équipe composée à 75% de femmes, codes de conduite internes vertueux (compostage, transports publiques, recyclage des déchets). On aime Reformation !
Mara Hoffman
Jusqu’à XXXL. Matières recyclées, biologiques, régénératives ! Fabrication labellisée Fair Trade, guides de lavage et entretien fournis pour plus de durabilité !
Make My Lemonade
Make my Lemonade est une marque qu’on adore pour ses pièces colorées, qui vont du 34 au 52. La majorité des matières sont naturelles, la fabrication est française et européenne.
Alice Alexander
Alixe Alexander est une marque qui pense au XS comme au XXXXL, labellisée Fair Trade et Made in USA.
Hope & Harvest
Marque spécialisée dans les grandes tailles, made in Australia, labellisée Fair Trade, qui soutient les communautés locales.
Chez Nous.
Chez Nous. s’adresse à tou·te·s, peu importe leurs origines, leur tour de taille ou leur genre. La marque propose des pièces unisexes, confortables et éthiques, qui vont du XXS au XXXL !
* Emily Zirimis for Man Repeller « I Like Cool Clothes, Too: Being Plus in a World of Minus »
Organic Basics
Simple, basique, écoresponsable. Organic Basics produit des essentiels, des sous-vêtements et des vêtements de sport en Europe. Cette marque basée à Copenhague crée des basiques intemporels et minimalistes, désormais disponibles jusqu’au 4XL.
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