L’éthique dans le mannequinat, des agences aux podiums, comment bien exercer son métier

Troubles du comportement alimentaire, précarité, pression et discrimination, le mannequinat a des points noirs. Agences, école de mode et marques sont les responsables du mal être de ses femmes et hommes, dont l’image véhiculée dans les magazines, perpétue l’objectivation de leur corps. Aujourd’hui les modèles s’emparent des réseaux sociaux pour dénoncer les pratiques abusives et diffuser une vision positive de ce que peut être le mannequinat. Des personnalités engagées tirent leur épingle du jeu en intégrant leurs valeurs à leur travail. 

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Quel est le problème de cette industrie ?

Bien que nous soyons en 2023, le triste cliché du mannequin/objet est encore une réalité. Les agences ont une place toute particulière dans la diffusion de cette image. Elles ont souvent été critiquées pour choisir des modèles longilignes qu’elles traitent avec peu de considérations quand il ne s’agit pas de cas de harcèlement. En 2013, une agence de mannequins a été dénoncée après avoir fait un recrutement de jeunes femmes devant un hôpital suédois spécialisé dans l’anorexie. Les jeunes patientes étaient abordées lors de leur sortie en promenade, explique la directrice du Centre de Stockholm [1].

Les standards de beauté évoluent, mais la maigreur n’a jamais quitté les podiums des maisons de luxe qui préfèrent laisser les corps ronds aux défilés de prêt-à-porter et aux collections de grande distribution. L’idéalisation des silhouettes juvéniles est dangereuse, diffusée en masse par les magazines et sur les réseaux, elle joue un rôle déterminant sur le fantasme du “corps de rêve” des lectrices. Cette chimère favorise le développement de troubles du comportement alimentaires (TCA) et perpétue l’objectivation du corps des femmes considéré comme produit marchand. Cela implique aussi une exclusion des femmes afro-descendantes et l’entretien d’une culture de l’âgisme

Aujourd’hui, les mannequins trouvent de plus en plus de place pour s’exprimer sur les réseaux sociaux, mais aussi grâce à des expert·e·s comme Alison Fixsen, Magdalena Kossewska et Aurore Bardey qui récoltent les témoignages pour les étudier. Leurs recherches ont permis de soulever 4 axes principaux qui sont reprochés au secteur de la mode par les mannequins :
– Pression pour avoir une apparence physique irréaliste ;
– Normalisation de la maigreur ;
– La présence de discrimination ;
– Exploitation des travailleur·euse·s. 

Pour mieux encadrer les conditions de travail des mannequins, parfois encore mineures, l’État a mis en place en 2017, la “Loi mannequin” qui les oblige à posséder un certificat médical, de moins de 2 ans, remis par un professionnel de la santé pour pouvoir exercer leur métier. La mention photographie retouchée doit apparaître sur toutes les photos dont c’est le cas. Les magazines et les agences s’exposent à 6 mois d’emprisonnement ainsi qu’à 75 000€ d’amende en cas de non-respect. Cependant, l’ancienne mannequin Clio Pajczer explique sur France info que cette mesure n’est pas suffisante : “Ce certificat médical dure deux ans, j’ai perdu 17 kilos en quatre mois à l’époque, en étant anorexique” [2].

En complément de cette loi, les géants du luxe, LVMH et Kering ont rédigé des chartes pour améliorer les conditions de travail et le bien-être des mannequins au sein de leurs maisons. Elles ont permis aux dirigeants, complètement déconnectés, d’ouvrir les yeux sur les conditions de travail anormales des mannequins. Ces chartes comprennent notamment la possibilité pour les modèles de se changer dans un lieu privé, d’être accompagné·e lors de shooting pour ne pas être seul·e avec les photographes, les maquilleurs ou les coiffeurs, les moins de 16 ans ne sont plus acceptés, et le travail de ceux entre 16 ans et 18 ans complexifié par la présence obligatoire d’un chaperon [3].

Rôles Modèles

Quelques modèles arrivent à jouer selon leurs règles. Parmi elles, il est possible de compter : Adeline Jouan, Charlotte Lemay, Arizona Muse et Kiko Hirakawa. Dans un épisode du podcast Mannequin ect, Charlotte Lemay, mannequin et créatrice de contenu, revient sur son parcours dans l’industrie. Comme pour beaucoup ses débuts étaient difficiles : 

 Ils ont fait des photos de moi naturelles en lingerie pour envoyer au client, puis ils ont passé des photos à mon booker en disant : “Regarde Charlotte, on ne peut pas la faire travailler, elle est grosse.”  Alors que je rentre dans un 36.” 

Marre de ces méthodes destructrices pour son mentale, elle quitte son agence et travaille aujourd’hui directement avec une manager qui l’aide dans la gestion de ses partenariats. Pour elle, le modèle d’agence, comme il existe maintenant, ne marchera bientôt plus. L’arrivée des réseaux sociaux a complètement bouleversé les choses. Les mannequins peuvent se lancer et travailler en tant qu’influenceuses directement avec les marques. Elles sont traitées avec beaucoup d’égard, ont un meilleur salaire avec un rythme de travail soutenable. Alors qu’en agence, le mannequin ne touche que 1⁄3 de ce que le client paye à cause notamment des charges salariales, mais aussi du pourcentage que l’organisme prend. Cela ne fonctionne plus.

Charlotte défend activement la cause environnementale et allie ses convictions avec son travail. Aujourd’hui, elle ne veut qu’aucun contrat ne lui soit imposé, c’est pourquoi elle a pris son indépendance. Pour choisir les marques avec qui elle souhaite travailler, le mannequin demande des preuves (certifications, labels…) et fait des recherches sur des sites responsables. Pour les compléter, il lui arrive de poser directement des questions à ses clients par mail.

De son côté, Adeline Jouan, mannequin de profession, est auteure du blog “Mes idées naturelles” pour inciter les consommateur·ice·s à acheter plus responsable. Après sa licence de géographie et son master en gestion des écosystèmes et milieux naturels, Adeline est repérée et commence sa carrière de mannequin. Elle se rend rapidement compte de la dissonance entre son travail qui consiste à faire vendre un produit grâce à son image et au message qu’elle veut transmettre : consommer moins mais mieux. Elle s’est donnée pour mission de transformer l’industrie à son échelle en communiquant à travers son blog les bonnes pratiques ainsi qu’en investissant l’argent gagné dans des marques respectueuses de l’environnement. Son activité de mannequin en free-lance lui permet, elle aussi, de travailler uniquement avec les entreprises qui partagent ses valeurs. [4]

Arizona Muse se bat pour les mêmes causes. Au micro de notre podcast ON(WARD) FASHION, elle raconte que, bien qu’étant un mannequin international, elle n’a pas oublié qu’elle aussi est un être humain. Sa mission est d’éveiller les consciences des acteur·ice·s de l’industrie au sujet de l’urgence climatique. Elle le fait grâce à un discours humble et pédagogique tout comme instruit et basé sur des faits scientifiques. Elle a vite compris qu’il valait mieux être force de proposition que d’opposition pour faire avancer les marques dans le bon sens. 

Kiko Hirakawa est allée jusqu’à créer sa propre agence de mannequinat éthique : Ethical Models. Ce mannequin japonais qui a arpenté les fashion week du monde entier a fondé une plateforme éthique basée en Europe qui met en relation des marques et des client·e·s durables avec des modèles. Son objectif est de montrer à cette industrie qu’il est possible de réduire les problèmes tels que le harcèlement sexuel, les agressions, les troubles de l’alimentation et la maladie mentale. Les mannequins de son agence sont de taille, de morphologie, de couleurs, d’âge et de handicaps différents. La diversité est une valeur clé pour son entreprise. 

D’autres agences engagées ont vu le jour comme Supernaturals Modeling qui célèbre la culture autochtone en offrant de la visibilité aux communautés d’Amérique du Nord. Avec cette démarche, l’organisation œuvre pour la diversité tout en luttant contre l’appropriation culturelle et le symbolisme. Pour Elytiz, l’engagement se traduit par un accompagnement renforcé de ses modèles hommes et femmes. L’agence s’engage à ne pas faire travailler de mineurs, à ne pas avoir recours à la chirurgie esthétique et à ne jamais pousser les mannequins à faire un régime.

Elle travaille en collaboration avec une assistante sociale vers qui les modèles peuvent se tourner facilement. Quant à Michael Rotimi, il crée l’agence Offshore pour mettre en avant des profils de couleurs. Il représente des modèles multidimensionnels et créatifs, avec un style poussé. Son agence a pour vocation de véhiculer une image progressiste de la mode. Eh oui, les mannequins ne sont pas juste des cintres !

Conclusion

Transformer l’industrie de l’intérieur est possible, les quelques exemples au-dessus nous le prouvent. Être mannequin et engagé·e n’est pas contradictoire dans un monde en transition. Les marques de mode responsables sont de plus en plus nombreuses à naître tandis que les entreprises traditionnelles vont devoir prendre le pas sur les nouvelles représentations que nous voulons voir apparaître sur les podiums et dans les magazines. Être un modèle éthique se traduit de plusieurs façons : rejoindre une agence responsable, se mettre en freelance pour sélectionner ses contrats, communiquer ses valeurs à son milieu professionnel… Participer à la transition du secteur est aussi important que gratifiant. 

 

Références citées

[1] La dépêche.fr Une agence de mannequins recrute des anorexiques à la sortie de l’hôpital, 2013. 

[2] France Info “Loi mannequin” : un décret anti-maigreur publié, 2017.

[3] Le monde Mannequinat, le nouveau mode d’emploi, 2019.

[4] Flotte PORTRAIT | ADELINE JOUAN ET SES IDÉES NATURELLES

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Commentaires 2
  1. Merci beaucoup pour cet article.
    Récemment j’ai écouté le podcast thune et un des épisodes devrait vous intéresser il s’appelle : luxe, glamour et pâtes au beurre. Il ne parle pas que du mannequinat mais de tout le secteur du luxe et donc englobe toutes les professions : stylistes, photographes… L’anthropologue Giulia Mensitieri qui a écrit un livre qui a l’air génial ‘Le plus beau métier du monde’ intervient dans cet épisode et elle est vraiment passionnante.
    En tout cas merci pour votre travail grâce à vous je regarde mes vêtements autrement !

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