Design de la maigreur : comment les écoles de mode fabriquent nos complexes
Rédigé par Victoire Satto
Le 21 févr. 2023
Minutesde lecture
Vous vous êtes déjà demandé pourquoi les croquis de mode représentent systématiquement des silhouettes longilignes aux proportions inhumaines ? Vous trouvez que les tailles du prêt-à-porter sont une injonction à la minceur inatteignable, reprise à loisir par les magazines ? Essayez maintenant de faire un parallèle entre les deux… Eh oui, il existe une raison pour laquelle la mode est une fabrique à complexes, elle naît dans les écoles de mode.
Des statistiques terrifiantes sur la représentation du corps et les troubles du comportement alimentaire
- « 91% des femmes aux États-Unis déclarent ne pas aimer leur corps, 95% d’entre-elles souffrent ou ont présenté des troubles du comportement alimentaire. » [1]
- « À partir de l’âge de 6 ans, les filles commencent à exprimer des craintes au sujet de leur morphologie et de leur poids. 40 à 60 % des filles à l’école primaire ont peur d’être considérées grosses à l’âge adulte et ce sentiment se renforce avec les années. » [2]
- « Parmi les jeunes filles américaines à l’école primaire qui lisent des magazines, 69% déclarent que les photos influencent leur conception de la beauté féminine et 47% affirment que ces images leur donne envie de perdre du poids. »
- « La perte de l’estime de soi est couramment associée aux troubles du comportements alimentaires et à la représentation de l’image. L’incidence des dépressions est également nettement augmentée. » [4]
Ces phrases sont extraites de diverses études menées aux États-Unis et aux pays-Bas, entre les années 1995 et 2011. Ce qu’on en retient : la majorité de la population – ici féminine – souffre dès un très jeune âge des injonctions à la minceur, véhiculées indirectement par les pages de magazines et images de mode en général, et ce de façon universelle. Si les mouvements libérateurs de paroles #onveutduvrai et #bodypositivity fleurissent, ils émanent principalement des citoyens sur les réseaux sociaux, certains ayant acquis un pouvoir d’influence important.
Les marques de mode et les médias traditionnels remettent peu en cause la dictature de la taille 36 et du bikini body. Les Maisons les plus caricaturales sont les premières à payer leur communication à outrance centrée sur le corps parfait, #RIP Victoria Secret, mais les défilés sont encore remplis de silhouettes décharnées et les enseignes de tailles échelonnées du 34 au 42.
Le problème de l’industrie de la mode est qu’elle est basée sur un standard de réussite unique, qu’elle fabrique elle-même.
Sass Brown
Les écoles de mode sont une fabrique à complexes
Quelle logique y a-t-il à dessiner des vêtements qui ne correspondent pas à la morphologie des client/es ? La représentation chimérique de l’image du corps crée une sensation d’irréalisme, le/la client/e ne se sent pas inclus, condamné/e à un graal inaccessible. Son existence n’est pas assez importante pour être considérée, ce qui accentue le manque de confiance en soi, laissant pour seule possibilité d’être, celle d’entrer dans ce qui est présenté comme le moule de la « normalité ».
Lorsqu’on prête attention aux chiffres : « 91% de la population américaine n’est pas satisfaite de son image corporelle » [1], peut-on décemment considérer que ce sont les clients qui ont un problème ou que les standards ne sont pas les bons ?
Le problème vient d’une industrie qui n’a jamais remis ses modèles en question.
Quand un jeune designer entre en école de mode, la recette du succès est présentée comme unique : il faut créer des vêtements longilignes pour des mannequins taille zéro (32/34).
… Il faut faire défiler des mannequins taille zéro;
… Il faut photographier des mannequins à peine plus charnus (34/36);
La minceur est rare et donc désirable, synonyme de contrôle et de supériorité.
Dans un monde (occidental) où la nourriture est accessible, savoir se restreindre est un luxe. En témoignent, très concrets, ces croquis communs à toutes les écoles de mode du monde, représentants le corps idéal : un corps de 9 têtes et 1/2 de haut. La moyenne humaine est de 6 têtes 1/2 à 7 têtes. Un corps de « 9 +1/2 têtes » de haut n’existe pas. Cette technique est le socle de l’apprentissage du dessin dans une école de mode. La B.A.S.E. Ces silhouettes n’existent même pas sur les podiums des défilés, elles sont pourtant à l’origine de la création de tous nos vêtements.
C’est à partir de là que sont développés nos garde-robes et les images associées. C’est un standard dont personne n’a jamais dévié, dont découlent assez logiquement nos rapports perturbés à la morphologie et à l’alimentation. On vous renvoie aux stats du premier paragraphe…
Plusieurs designers sortent doucement de ces sentiers battus, nous avons écrit sur l’inclusivité et les grandes tailles, mais le chemin est encore douloureusement long.
Lire aussi : Pourquoi les marques éthiques n’incluent pas les grandes tailles ?
Lire aussi : Injonction à la minceur, pourquoi on continue d’acheter ces magazines ? Partie 1 et partie 2
Vivre un style avant d’être une taille
Repenser la source du design avec d’autres valeurs : DES représentations de tailles et de morphologies humaines, d’ethnies de tous bords, de genres fluides et libres. Repenser notre représentation de la beauté, incroyablement étroite : ultra-minces, grand/es, et préférentiellement à la peau claire…
Le rôle des magazines est, selon nous, précisément de proposer des vêtements qui nous parlent, des vêtements désirables, des vêtements à la mesure de nos corps si beaux de leurs diversités, d’individus libres de s’exprimer à travers un style plus qu’une taille.
La notion d’éthique, on la préfère extra-large.
Références
[1] Pubmed
[2] guilford.com
[3] Martin, J. B. (2010). The Development of Ideal Body Image Perceptions in the United States
[4] apa.org
[5] PBS
[6] Clare Press Wardrobe Crisis Ep 75 Sass Brown – Clothing Ethics
Espace commentaire
(0)