Les nouveaux cadres réglementaires concernant les PFAS poussent le secteur de l’habillement à revoir ses pratiques en profondeur. Les marques d’outdoor, qui font fréquemment appel aux polluants éternels pour leur effet déperlant ou imperméabilisant, sont particulièrement concernées. A l’heure où les marques s’affairent à chercher des alternatives pour concevoir des vêtements performants sans PFAS, certaines entreprises pionnières peuvent déjà servir d’exemple et prouvent, par la pratique, qu’il est non seulement possible, mais parfois même facile, de passer à une production sans ces polluants éternels. Décryptage avec Lagoped, marque d’outdoor à la pointe du sujet.
En France, une loi portant sur l’interdiction des PFAS a été votée le 27 février 2025. A partir du 1er janvier 2026, la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché des cosmétiques, vêtements, chaussures et leurs imperméabilisants contenant ces PFAS sera interdite, à l’exception des vêtements de protection destinés aux militaires ou aux pompiers). A partir de 2030, ce seront tous les textiles contenant des polluants éternels qui seront interdits en France. Une victoire nécessaire contre cette menace sérieuse.
Les liens entre cette famille de plus de 10 000 “polluants éternels” et de nombreuses maladies graves ont été démontrés : cancers variés, endométriose, diabète, dérèglement thyroïdien, hypertension, lésions au foie… Et ce, parfois, dès des concentrations si infimes qu’elles se mesurent en nanogrammes (milliardièmes de gramme) par litre. En plus de notre contamination par leur présence dans l’environnement, les PFAS sont également absorbés par notre peau lorsqu’ils sont dans les cosmétiques et les vêtements. On parle, ni plus ni moins, d’un empoisonnement à grande échelle de l’humanité
Des informations bien connues
Ces éléments sont parvenus au grand public via les débats sur la loi qui vient d’être votée. Mais les industries, dont la mode, connaissaient cette problématique avant 2025. Déjà en 2016, Greenpeace menait des études sur la question des PFAS dans l’outdoor. De plus, une employée de l’entreprise 3M avait lancé l’alerte sur leur production de polluants éternels dans les années 90, tandis que cette même entreprise connaissait leurs risques dès 1975. Ainsi, certaines marques ont toujours refusé de faire appel aux PFAS. C’est le cas de Lagoped, fondée en 2017 : “Ce n’était pas un sujet confidentiel pour l’industrie. Quand nous avons pris connaissance de la question à la création de la marque, la réponse était assez simple.” se rappelle Christophe Cordonnier, PDG.

Cependant, les polluants éternels restent très présents dans les vêtements imperméables et donc dans l’outdoor. L’un des géants du secteur, Gore-Tex, vient même d’être attaqué en justice pour greenwashing au Etats-Unis, ayant affirmé faussement à sa clientèle que certains de ses revêtements n’étaient pas traités avec des PFAS. Mais l’enjeu ne s’arrête pas là : “On s’aperçoit qu’il y a des PFAS dans la plupart des produits : dans un jean, une chemise, un polo… C’est ça qui est terrifiant : par principe, il y en a aussi dans la mode et pas seulement dans les vêtements outdoor.” Face au danger de ces substances, et désormais à leur interdiction, les marques vont devoir faire sans. Bonne nouvelle : c’est facile.
Produire des vêtements sans PFAS
“Il est tout à fait possible de se passer des PFAS.” assure Christophe Cordonnier. Dans nos vêtements, ils sont majoritairement présents dans les traitements déperlants des vêtements. Le rôle du déperlant est généralement de retarder le moment où le tissu extérieur d’une pièce va se mouiller. L’eau sera ensuite stoppée par une membrane interne, qui est imperméabilisée. Les polluants éternels sont donc un “après” ajouté à la dernière couche d’un vêtement. Pour les éviter, “On demande à son fournisseur des textiles sans PFAS, sans après utilisant des PFAS, tout comme on choisirait telle ou telle couleur. L’option existe, notamment chez nos fournisseur·ses qui ont commencé à réfléchir à de nouvelles façons de produire depuis longtemps.”

Pour s’assurer de la fiabilité du sourcing, Lagoped se concentre sur l’UE, où il est aisé d’engager la responsabilité des fournisseur·ses. “Un certificat ou une allégation sans PFAS sont très faciles à contrôler par la DGCCRF et par un pays de L’Union Européenne.” En termes de prix, les déperlants sans PFAS restent des combinaisons de produits chimiques, et ne divergent donc pas fortement de celles à base de PFAS. Il n’y a donc pas besoin de faire évoluer drastiquement ses prix. Pour pousser encore plus la vérification de ses produits, Lagoped a fait tester ses textiles et ses zips dans des laboratoires. Résultat : aucun PFAS et des fournisseur·ses fiables.
Cependant, Christophe Cordonnier souligne que l’on trouve parfois des traces de PFAS, tant ces substances sont présentes partout. “Un peu comme lorsque que vous achetez une boîte de sardines, mais qu’on précise qu’il y a peut-être des traces de fruits à coque dedans alors que ça n’a rien à voir”. Dans ce cas, le taux de concentration est infiniment plus bas. Mais pour parer à cette éventualité, des marques américaines préfèrent dire qu’il n’y a “pas de PFAS mis volontairement” dans leurs produits.
“Un certificat ou une allégation sans PFAS sont très faciles à contrôler par la DGCCRF et par un pays de L’Union Européenne.” Christophe Cordonnier, PDG de Lagoped
Un investissement pour l’avenir
Il est donc facile de sourcer des textiles sans PFAS auprès de fournisseur·ses fiables, sans augmenter ses coûts à outrance. Le principal défi pour les marques peut venir du fait que les déperlants sans polluants éternels ne sont, précisément, pas éternels. Ainsi, les consommateur·rices devront en remettre de temps à autre sur leurs produits. Pour rendre ce procédé le plus fluide possible, Lagoped fait de la pédagogie sur son site et y vend directement un déperlant fabriqué en France. “Pour nos boutiques, il y a un travail de formation des vendeur·ses : ils apprennent à expliquer que le tissu extérieur peut se mouiller, mais que ça n’est pas un problème car c’est la membrane qui arrête l’eau, qu’il faut traiter régulièrement son vêtement comme on cire ses chaussures...”
Correctement traitées, les pièces PFAS-free n’ont pas à rougir de leurs performances.
En témoigne le succès de Lagoped auprès des professionnel·les de montagne (moniteur·rices de ski, guides…). Ils se tournent vers la marque par attachement à leur lieu de travail qu’ils ne souhaitent pas polluer, mais aussi car ils trouvent les équipements à la hauteur des demandes de leur métier.
En ce qui concerne la nouvelle législation : “C’est une très bonne nouvelle. Mais trop peu de personnes se réjouissent dans l’industrie…” regrette Christophe Cordonnier. “Or, les PFAS sont partout et cela va être très long de les éliminer. Il est donc urgent de ne plus en utiliser. C’est toujours la même question : quand on mène des activités commerciales, à quel prix le faisons-nous ? Si le projet est juste de gagner de l’argent, pourquoi se passer des PFAS… Mais quand on pense au coût environnemental ou de santé publique, c’est différent.” La question est de toute façon tranchée : c’est aux marques de s’adapter, de gré ou de force.
