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“Sois jeune ou tais-toi”, pourquoi reproche-t-on aux femmes de vieillir dans la mode ? 

« Mignonne, allons voir si la rose qui ce matin avoit desclose », ce poème de Pierre Ronsard, longtemps considéré comme le comble de la galanterie littéraire, est un exemple criant de la défiance de la société vis-à-vis des femmes vieillissantes. Sorcière, marâtre, vieille fille… Dans nos expressions, la publicité, les défilés ou le divertissement, le regard posé sur les femmes qui passent le cap de la cinquantaine se teinte de crainte ou de mépris. Ce phénomène porte le nom d’âgisme, théorie développée par gérontologue Robert Neil Butler en 1969, dans un contexte particulier, lors de l’apparition d’une forte opposition de la part d’habitant·e·s de Washington D.C, contre la construction de logements à loyer modéré à destination des personnes âgées, majoritairement afro-descendantes. De nos jours, l’âgisme englobe autant la jeunesse et que les personnes âgées, mais ces dernières sont bien plus sujettes à cette discrimination, notamment sur le marché du travail. Les médias contribuent encore à véhiculer les stéréotypes négatifs sur le vieillissement et les ancien·ne·s, renforçant ainsi l’idée que les personnes matures sont moins importantes que les groupes d’âge plus jeunes. Pour les femmes, ce phénomène est encore plus fort et se ressent dans la majorité des sphères sociales, notamment dans la mode. Mais alors, d’où vient cette peur de la femme mature ? Pourquoi la mode cache les corps vieillissants et surtout, comment pouvons-nous apprendre à aimer les marques de nos expériences ? 

Le style n’a pas de date d’expiration.

L’âgisme, selon le gérontologue Robert Neil Butler, se définit comme « Un préjugé systématique à l’encontre des personnes âgées, fondé sur l’âge ». Il a été l’un des premiers à attirer l’attention sur le vieillissement de la population et à promouvoir le concept de « vieillissement réussi ». Il a également fondé l’Association américaine des personnes âgées, la première organisation nationale de défense des droits des personnes âgées aux États-Unis.

Histoire et perception de la vieillesse au féminin

Les périodes chasses aux sorcières dans l’histoire sont des mouvements de persécution massive contre des femmes supposées être complices du diable. Bien qu’on rapporte ces chapitres aux mœurs du moyen-âge, ces tortures arbitraires se sont déroulées entre le XVe et XVIII, avec une intensification entre 1580 et 1630. Cette période porte le nom du « Grand Sabbat ». À cette époque, les connaissances scientifiques étaient limitées et de nombreux phénomènes naturels restaient inexpliqués. Tout événement inhabituel ou inattendu pouvait être attribué à des forces surnaturelles, souvent associées aux femmes et présentant un caractère maléfique.

Au cours de ces tribunaux populaires, la grande majorité des individus accusés étaient en effet des femmes, généralement âgées, des veuves ou des maïeuticiennes. La plupart des accusations étaient le résultat de peurs collectives, de paranoïa et de préjugés misogynes profondément ancrés. C’est notamment ce qu’avance Mona Chollet dans son essai best-seller “Sorcières, la puissance invaincue des femmes”, qui appuie la manière dont les principales victimes de ces exécutions étaient des femmes qui vivaient soit seules, soit qui possédaient des connaissances médicales.

En allant plus loin, elle explique que c’est vraisemblablement de cette manière que la gent féminine a été mise de côté dans le développement des sciences et de la médecine pendant des siècles. Les chasses aux sorcières ont décliné au XVIIe siècle, à mesure que les autorités religieuses et séculaires remettaient en question leur validité et leur fondement moral. Le dernier procès pour sorcellerie en Europe a eu lieu en 1782.

@greynaissance

L’archétype de la marâtre  

Hensel et Gretel, Cendrillon, Blanche Neige, la figure de la marâtre est une nouvelle fois un archétype du divertissement et de la littérature qui montre ô combien les femmes sont soumises à une injonction de maternité, sous peine de péremption ou d’inutilité sociale. Il tend à montrer une image négative de celles qui n’auraient pas “d’instinct maternel”, souvent utilisé dans les contes d’apprentissage, qui soulignent le passage de l’enfance à l’âge adulte.

L’archétype de la marâtre est également une figure de la rivalité entre femmes, en particulier entre jeune fille et femme mature. Que cela soit dans Blanche Neige, des frères Grimm ou Cendrillon de Charles Perrault, cette figure féminine incarne la compétition dans laquelle est entretenu un désir de beauté et de jeunesse éternelle. Les femmes sont, cyniquement, victimes de leur propre obsession de jouvence éternelle, se transformant ainsi en sorcières elles-mêmes. 

“Cachez cette ride que je ne saurais voir” le double standard de la vieillesse entre hommes et femmes

Pourquoi George Clooney, Orlando Bloom ou plus récemment, Pedro Pascal sont considérés comme des figures charismatiques et attirantes à mesure qu’ils avancent en âge, tandis que Jane Fonda, Madonna ou encore Nicole Kidman sont au mieux qualifiées de « bien conservées pour leur âge » au pire « femmes ayant mal vieilli » ? 

Les femmes sont souvent réduites à leur apparence physique, et leur valeur sociale diminue avec l’âge. En revanche, la valeur des hommes est moins liée à leur apparence, et repose davantage sur leur statut, leur pouvoir ou leur réussite professionnelle. Ces attributs étant moins affectés par l’âge, les hommes conservent ainsi une meilleure image sociale en vieillissant. De plus, le vieillissement féminin est souvent perçu négativement, associé à une perte de beauté et de fertilité.

Le corps des femmes âgées est ainsi peu représenté, voire stigmatisé. À l’inverse, le vieillissement masculin est valorisé et associé à la maturité, la sagesse ou encore le charisme. Enfin, dans une société régie par le patriarcat, les femmes sont cantonnées au foyer et à la sphère privée. Leur valeur dépend fortement de leur capacité à avoir des enfants ou à s’occuper du foyer. Avec l’âge et la ménopause, les femmes cisgenres perdent cette “utilité sociale” et sont marginalisées. À l’inverse, les hommes occupent des rôles de pouvoir et d’influence dans la sphère publique, et conservent ainsi une place prédominante en vieillissant.

@gramparents

Sois jeune ou tais-toi : cinéma, politique et mannequinat 

Les stéréotypes sexistes et les attentes irréalistes envers les femmes jouent un rôle dans ce double standard. On s’attend à ce que les femmes restent “jeunes et belles” aussi longtemps que possible pour plaire aux hommes. Lorsqu’une femme vieillit naturellement et que son apparence change, elle risque d’être critiquée pour ne pas avoir fait assez d’efforts pour contrer le processus de vieillissement. Et cette injonction se retrouve pratiquement dans tous les cercles professionnels.

Dans le cinéma, à mesure qu’elles vieillissent, il devient plus difficile d’obtenir des rôles, en particulier des rôles principaux, les rôles disponibles pour les femmes se font plus rares, au profit de rôles stéréotypés de « mères » ou de « grand-mères ». C’est notamment ce qu’avancent les actrices françaises Marina Tomé et Catherine Piffareti, qui ont fondé la commission de l’AAFA- tunnel de la comédienne de plus de 50 ans, soulevant l’accentuation de l’invisibilisation des femmes. Pourtant, d’après un rapport INSEE de 2015, une femme majeure sur deux a plus de 50 ans, représentant ainsi 52 % de la population féminine majeure en France.

Malgré cela, d’après la commission AAFA, sur la même année 2015, seuls 8 % des rôles sont attribués à des actrices de cette tranche d’âge. Ce constat pose un sérieux problème de représentativité, tant pour les professionnelles qui perdent leur travail que pour les jeunes filles qui n’ont que de rares projections positives de la vieillesse. Pourtant, le public accepte bien mieux le vieillissement des acteurs masculins, qui peuvent conserver des rôles de premier plan et des partenaires romantiques, plus jeunes bien au-delà de la soixantaine.

Dans la mode, le système du mannequinat, qui favorise un archétype un modèle svelte et élancé, mais ne possédant pas les attributs de maturité du corps féminin. En témoigne le nombre de mannequins aux carrières précoces, dès l’âge de 14 ans et qui se voient dans l’obligation de cesser au moment de la puberté. Par ailleurs, les carrières de mannequin font partie des plus courtes, en moyenne d’une durée de 5 ans. Assimilée au rêve, la jeunesse est fortement recherchée dans ce secteur, dont la carrière au féminin s’arrête généralement l’aube de la trentaine.

Du côté des consommatrices de la mode, les femmes doivent peu à peu cacher leur corps. D’après l’article d’Elsa Veresiu paru en 2021, pour The Conversation, les règles stipulent notamment de ne plus montrer son corps en favorisant les coupes larges, pas de décolletés ou de jupe trop courte, un maquillage minimaliste et d’éviter toute tendance trop assimilée aux jeunes générations. 

Les femmes de 50 ans, et plus, devraient pouvoir s’habiller comme bon leur semble, en fonction de leur personnalité et de leurs goûts, et non en fonction de règles sexistes imposées par l’industrie de la mode.

De plus, si l’on s’arrête au seul argument mercantile, les marques ont tout à y gagner : selon des chiffres récemment publiés par Euromonitor, les Britanniques âgées de 50 à 60 ans dépensent près de quatre fois plus que les jeunes de 20 ans dans l’habillement. Chez les plus 60 ans, c’est trois fois plus. Un résultat pas si surprenant lorsque l’on considère que cette tranche d’âge a souvent des revenus plus stables, plus de patrimoine accumulé, moins voire plus aucune dette et surtout, pas d’enfant à charge. 

(Mal)heureusement, cette pression est fictivement palliée par l’industrie de la beauté et de la chirurgie, qui auraient la solution. Les publicités pour les crèmes anti-âge, rides, les injections de botox et autres procédures de remodelage du visage envoient le message qu’il faut lutter contre le vieillissement à tout prix pour rester désirable et compétitive. Cet argument marketing vient peu à peu à être remis en question, notamment par la mise en place d’une loi imposant d’être âgé·e d’au moins de 16 ans pour pouvoir exercer le métier de mannequin.

Contre exemple intéressant : en 2017, le magazine Allure annonce cesser l’usage du terme « anti-âge » dans ses publications Pour changer la façon dont nous envisageons le vieillissement, commençons par en parler différemment. Nous n’emploierons plus le terme “anti-âge”. ». La Royal Society for Public Health s’adressera un an plus tard à toutes les rédactions et marques de beauté de cesser l’usage de cette catégorie de produit. Même dans les domaines où l’on présuppose que la plastique n’est pas un paramètre essentiel, l’âge et le physique des femmes se voient toujours vivement critiqués.

En politique, c’est un des faits marquants de la campagne présidentielle de 2008 portée par Hillary Clinton, qui était soit discréditée par son lien marital, soit par le fait qu’elle allait vieillir. C’est notamment ce qu’avait déclaré Rush Limbaugh, conservateur et animateur radio le plus écouté des États-Unis d’Amérique « Est-ce que ce pays a vraiment envie de voir une femme vieillir sous ses yeux jour après jour ? ».

@advancedstyle

Advanced Style, Silver trend : la femme âgée, un regard à renverser

Heureusement, en parallèle, la recherche avance. La Docteure en sociologie LM. Carver démontre, dans une étude de 2021 sur la perception des personnes âgées, que ces dernières se considèrent en moyenne 20 ans plus jeunes que leur âge réel. Quand on y pense, il est regrettable de se dire qu’après des siècles d’avancées sociales et scientifiques afin de rendre notre vie plus agréable et plus longue, qu’une grande majorité de la population ressent une forme d’anxiété, voire de dégoût vis-à-vis de notre vieillesse et celle d’autrui.

Plusieurs contre-courants viennent remettre en question ce statu quo. Sur Instagram, nombreuses sont dorénavant les « silver influenceur·se·s » qui prennent part à au ras-le-bol du caractère périssable du corps. On retrouve des figures de mode comme Sophie Fontanel ou encore Iris Apfel, mais aussi de nombreux comptes qui mettent à l’honneur le style des personnes âgées, @Gramparents, @jaddie, @greynaissance ou encore @bonpon511.

L’un des comptes les plus reconnus en la matière est @AdvancedStyle, qui ne comptabilise pas moins de 419 000 abonnées sur Instagram, projet lancé par le photographe américain Ari Seth Cohen. Depuis 2008, il capture les looks d’hommes et des femmes de plus de 60 ans vivants à New York. Par la mise en avant de personnalités âgées au style affirmé et original, il veut démontrer que le style n’a pas de date d’expiration et repousse les limites de ce que la société considère comme approprié de porter à un âge mature.

Ces clichés nous montrent d’une manière qu’une mode audacieuse et vibrante, ainsi qu’une soif de vivre, peuvent durer, et même se renforcer avec le temps. Cette mutation de nos regards pousse de plus en plus de marques à mettre en avant des mannequins et des égéries plus âgées. Certaines agences se sont même spécialisées en la matière comme en France avec les agences MasterModels, Silver ou encore People of Publicty. Dans la formation de professionnel·e·s de la mode, les choses changent également, notamment dans le stylisme et la communication. On peut citer l’école LISAA qui a réalisé en décembre 2022 un défilé en collaboration avec l’association des Petits Frères des Pauvres, avec pour objectif la sensibilisation à la vie affective, intime et sexuelle des personnes âgées, et refuser le diktat des idées reçues sur la vieillesse.

ll est grand temps de renverser notre regard sur la femme âgée et de la célébrer à sa juste valeur ! Il faut promouvoir une plus grande diversité d’âges, de tailles et de morphologies dans la mode et la beauté. Les marques de mode et de beauté devraient s’engager à ne pas retoucher les photos de mannequins pour changer leur âge réel. En conclusion, nous devons lutter contre l’âgisme dans la mode et la beauté en exigeant une représentation plus inclusive et diversifiée.

Les femmes de tous âges méritent d’être valorisées et célébrées. En tant que consommateur·ice·s, on peut apporter son soutien en choisissant des marques qui promeuvent la diversité et l’inclusion, et en boycottant celles qui ne le font pas. Nous devons également remettre en question nos propres préjugés inconscients et nos stéréotypes sur l’âge pour tenter de déconstruire ce lien artificiel entre jeunesse et désirabilité.

A l’heure où la société prône un culte de la jeunesse et de l’éphémère, il est important de porter un nouveau regard sur ces femmes qui ont tant à nous apprendre. Véritables modèles d’endurance, de résilience et de sagesse, il serait dommage de ne pas pouvoir continuer d’être nourri·e de ces histoires et modèles féminins, qui ont tant de choses à nous apprendre dans leurs cheveux blancs.

@advancedstyle

Références 

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  1. Bonjour, merci d’avoir parlé de ce sujet, sur lequel j’interviens depuis 2018, en conférence (podcast IFM-Paris, FashionGreenHub, etc) et sur lequel j’ai déjà écrit et été interviewée plusieurs fois. Peut-être n’avez-vous pas vu ces sources… je reste bien sûr à votre disposition pour échanger avec vous 🙂 Catherine

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