On parle souvent de l’impact de nos looks, mais rarement de nos dessous. Pourtant, en moyenne, on retrouve jusqu’à 60 composants différents sur une même pièce et plus d’une trentaine d’étapes de fabrication. Ce n’est donc pas un hasard si, au fil des délocalisations européennes, des pays comme la Chine, l’Inde ou encore le Bangladesh se sont transformés en véritables fabriques de lingerie. Ces chaînes de production posent non seulement question d’un point de vue environnemental (trajets, teinture ou traitements pétrochimiques), mais aussi sanitaire pour celleux qui les portent au quotidien. Par ailleurs, nombreuses sont les marques historiques qui jouent encore sur l’ambiguïté du terme « Made in France », alors que cette origine s’arrête à la conception des pièces et non leur fabrication. Des solutions durables et locales sont possibles, comme la seconde main et l’upcycling, proposé par ABRACADABRA Lingerie. L’idée ingénieuse à laquelle il fallait donner corps ? Récupérer des soutiens-gorges et des maillots de bain de particulier·e·s pour leur donner une seconde vie. Entretien avec Marie
Les prémices de la marque ABRACADABRA Lingerie
L’aventure d’ABRACADABRA Lingerie commence par une conversation entre Marie et Margaux, lors d’une soirée entre copines. En abordant leur rapport à la lingerie, elles réalisent que la majorité de leurs sous-vêtements ne sont jamais portés… tandis que 4 millions de soutiens-gorge sont produits chaque jour dans le monde. Si la seconde main a le vent en poupe, la lingerie est aux abonnés absents.
Personne n’a encore fait le pari de collecter, trier, nettoyer puis réparer des soutiens-gorge et plus récemment des maillots de bain pour les faire entrer dans la circularité. Et pour cause : le recyclage de ces pièces, souvent fragiles, n’est pas si évident, on peut compter jusqu’à une soixantaine de matières différentes sur une même pièce ! Par cette composition complexe, la plupart des grands fabricants de lingerie préfèrent jeter leurs marchandises vers des pays d’Afrique ou d’Asie, voire tout bonnement les brûler.
On collecte, on trie, on lave, on change les bretelles, agrafes, on blanchit si besoin. Ensuite le produit est revendu moins cher que le neuf. – Marie Thieffry
Bien que de plus en plus de marques fassent l’effort d’insuffler de la durabilité dans leur fabrication, elles restent encore très minoritaires, tant sur le marché que dans l’esprit des consommateur·ice·s. L’effort à fournir est donc triple : collecter et trier localement, restaurer/remettre en état ou recycler, puis vendre en direct à des client·e·s à sensibiliser.
Comment fonctionnent les procédés de collecte, de restauration et de recyclage ?
Pour la collecte, ABRACADABRA est soutenu par plusieurs boutiques qui proposent la collecte de pièces de lingerie à leurs clientes, principalement dans la région lilloise. Il est également possible d’envoyer directement par colis ses pièces de seconde main, et ainsi recevoir en retour un code de réduction sur l’ensemble du site. La seule condition est la même que pour des dons en friperie : les pièces doivent être lavées, mais la marque récupère tous les soutiens-gorge même abimés.
Les pièces défectueuses des marques sont aussi acceptées, lorsque par exemple, une armature qui dépasse empêche la mise en vente. L’équipe s’occupe ensuite de trier par catégorie, en commençant par la lingerie qui peut facilement être réparée, par le changement d’une simple bretelle, restaurer un accroc dans la dentelle, ou une armature abîmée. Les pièces sans défauts sont envoyées à des associations pour des femmes dans le besoin. La troisième catégorie regroupe les soutiens-gorge et les maillots de bain trop usés, qui serviront alors à constituer un stock d’éléments de mercerie pour la marque : anneaux, bretelles, agrafes. Cela permet de réparer les pièces sans avoir à utiliser de nouvelles matières.
Ensuite, les pièces sont étiquetées à la fin du lavage, après recherche de la marque. Elles sont enfin retaillées, prises en photos et mise en ligne sur le site. Le sourcing très varié permet à ABRACADABRA de proposer différents styles dans différentes matières, en fonction des personnalités de chacune, avec ou sans armatures, coloré ou classique et dans toutes les tailles.
Pour l’été 2023, la maison étend les possibilités, ajoutant une catégorie maillots de bain remis à neuf.
La seconde main, c’est plus propre que le neuf. – Marie Thieffry
Un procédé circulaire favorisant l’équité et l’insertion salariale
Les deux procédés de transformations des trouvailles de la marque sont réalisés tantôt par deux étudiantes en contrat interne, ou bien par une école de la seconde chance constituée d’étudiant·e·s en décrochage scolaire qui passent un CAP couture. La remise en état des pièces est effectuée dans le nord de la France, plus onéreux, mais cohérent avec les engagements de la marque qui assure un taux de marge suffisant pour permettre une rémunération équitable des acteur·rice·s qui œuvrent au projet. Pour cette même raison, ABRACADABRA s’engage à ne pas choisir certaines marques entrées de gamme de piètre qualité et non durables dans le temps. Les tarifs varient de 18,90 à 45 € afin de proposer une pluralité de pièces, tout en restant accessible à un maximum de femmes.
Les arguments en faveur de la seconde main
Vers une démocratisation de la lingerie circulaire
Bien que la lingerie de seconde main en soit encore à ses balbutiements, d’après Marie, il ne serait pas étonnant de voir davantage de marques investir la démarche.
On pense que, très vite, la seconde main va arriver dans toutes les boutiques du secteur. – Marie Thieffry
Loin d’y voir une menace concurrentielle, elle y voit la possibilité pour les marques de prendre conscience de l’importance de réduire la production de nouvelles collections, le renouvellement des designs est beaucoup trop important. La marque est d’ailleurs enthousiaste à l’idée de partager leur savoir auprès de marques conventionnelles, en espérant pousser la seconde main dans le secteur de la lingerie.
Aimer et s’adorer dans son soutien-gorge longtemps
Quelques conseils d’entretien
Pour préserver au maximum sa pièce, ABRACADABRA recommande de ne jamais dépasser les 30° et de ne jamais mélanger les couleurs. La meilleure habitude à adopter est de laver son soutien-gorge fermé, en le plaçant ensuite dans un sac de lavage pour protéger la matière des frottements, mais également limiter le rejet de microplastiques. Ainsi, il faut se défaire de l’idée de changer de soutien-gorge au quotidien. Bien au contraire, à l’image de nos chaussures, il est recommandé de faire tourner ses soutiens-gorge et d’éviter le port de la même pièce deux jours de suite, pour alors laisser le temps aux élastiques de reprendre leur forme. Autre argument en faveur de la sobriété : il n’est pas nécessaire de laver sa lingerie à chaque portage. De cette manière, on optimise la durée de vie de notre pièce et l’on réduit ses empreintes énergétiques et en eau.
Les règles essentielles pour sentir bien dans son soutien-gorge
De nombreux évènements dans la vie des femmes peuvent modifier la taille de leurs poitrines, que cela soit la prise d’un dispositif contraceptif, une grossesse ou son style de vie. Les corps vivent ! Après avoir interrogé une communauté de client·e·s au sujet de leur rapport à leur lingerie, Marie déplore le fait que beaucoup d’entre elles ne connaissent pas leur taille. ABRACADABRA conseille ainsi de la remesurer régulièrement à l’aide d’un guide disponible sur le site de la marque, il est également possible de se rendre dans le showroom de la marque pour être aiguillé.
Autre enseignement précieux, ABRACADABRA invite à travailler à poser un regard honnête et bienveillant sur son corps. Bon nombre de femmes ne porteront pas des tailles adaptées en raison de complexes et/ou d’injonctions physiques. Or, ce n’est pas aux clientes d’adapter leurs corps à leur morphologie, on ne rappellera jamais assez. Pour une introduction décomplexée à cet exercice et un bon moment à scroller, on vous conseille de suivre ABRACADABRA sur TikTok !
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