Le problème des salaires dans la mode
Rédigé par Renaud Petit
Le 27 déc. 2020
Minutesde lecture
Du scandale lié au travail des enfants chez Nike dans les années 90 aux Ouïghours en Chine, les conditions de travail, de vie et de rémunération des travailleur·ses de l’industrie textile suscitent indignation populaire et tapage médiatique depuis presque 30 ans. En 2020, la mode a toujours un problème avec la façon dont elle rémunère celles et ceux qui fabriquent nos vêtements.
De la pauvreté chez les travailleurs du vêtement
Des chiffres encore effarants
L’industrie du vêtement emploie jusqu’à 60 millions de personnes dans le monde. Tous et toutes ne travaillent pas directement à la fabrication de nos vêtements. Du luxe à la fast-fashion, la mode englobe effectivement une très grande variété de métiers allant du marketing au design en passant par la confection, la logistique, la vente ou même la comptabilité. Toutefois, la confection demande plus de bras que le marketing et les ouvrier·es à l’œuvre dans les usines de fabrication et de montage constituent bien la majorité des individu·es impliqué·es dans le milieu et l’essentiel de ces personnes ne bénéficient pas de conditions de vie, de travail et de rémunération dignes. On évalue à environ 40 millions le nombre d’esclaves modernes directement asservis par l’industrie du vêtement. C’est plus de la moitié des personnes liées à l’industrie du vêtement. La majorité de ces esclaves sont des femmes, enfants ou adultes, victimes d’abus au travail, de non-paiement des heures de travail, de privation de passeports, de privation de logement, de privation de liens sociaux et familiaux ou dont la santé est directement mise en danger par des conditions de travail indignes. L’esclavage moderne est particulièrement sérieux en Asie, principalement dans le sous-continent indien, en Inde, au Bangladesh, au Pakistan, mais également présent, dans des proportions souvent moins dramatiques, en Amérique du Sud, en afrique du nord et en Europe de l’Est, notamment en Bulgarie, en Croatie, en Serbie ou en Ukraine.
Des scandales récents
En 2020, l’association britannique Labour Behind the Label a notamment révélé les pratiques proches de l’esclavage moderne chez le géant de l’extra fast-fashion en ligne Boohoo. L’enquête de l’association dévoile que les salaires versés aux ouvrier·es à l’œuvre dans les usines anglaises de la marque ne dépassent en moyenne pas 3,30 € par heure, dans un pays où le salaire minimum est fixé à 9,72 € par heure. Au delà même du salaire, les fabricants de Boohoo sont également accusées de ne pas avoir fourni une protection nécessaire à leurs employés contre le Covid-19, de les avoir exposé à la maladie de manière inconsidérée et d’avoir forcé des ouvrier·es malades à travailler au sein même des usines et au contact de leurs collègues. Cette affaire, remontée jusqu’au sommet de la politique Britannique, pousse le pays à débattre depuis le milieu de l’été et pourrait bien déboucher sur un renforcement de la loi et des contrôles. Si le cas de Boohoo est édifiant, il apparaît toutefois comme exceptionnel dans une région du monde où les conditions de travail et les salaires sont fortement encadrés par la loi. Toutefois, il témoigne du fait que le manque de transparence généralisé concernant les modes de fabrication dans l’industrie textile permet à ses géants de contourner les lois dans une relative impunité.
Mauvaise redistribution et discriminations pourraient-être à l’origine du problème
Des salaires insuffisants dans la mode
En règle générale, les bénéfices issus de la vente d’un vêtement sont redistribués entre :
- La marque qui réalise un profit
- La boutique ou la plateforme de vente (qui réalise également un profit et règle ses frais de fonctionnement)
- Les opérateurs commerciaux, notamment entre la marque et ses partenaires
- Les transporteurs
- Les fournisseurs de matières premières
- Le salaire des ouvriers et ouvrières en usine de fabrication
- L’usine de fabrication elle-même qui réalise un profit
L’organisation Clean Clothes estime que dans le cas de la fast-fashion, les 2 parts les plus grandes de ce gâteau reviennent à la marque et à la boutique qui accaparent à elles seules plus des 3 quarts de la somme. Tout en bas de l’échelle, les ouvrier·es des usines de fabrication s’en tirent avec la part la plus petite estimée à seulement 0,6 % du prix de vente. Les transporteurs, qu’on peut considérer comme moins essentiels dans la chaîne, bénéficient, eux, d’une part 12 fois plus grosse estimée à 8 %. Néanmoins, les ouvrier·es sont à la base de toute cette chaîne de fabrication. L’ensemble des métiers de l’industrie textile se base sur leur travail. Comment se fait-il qu’ils et elles soient pourtant les grand·es oublié·es économique du système ? Manifestement, la mode souffre d’une course à la compétitivité dont les travailleur·ses du textile payent le prix mais aussi et surtout d’un énorme problème de redistribution. L’industrie du vêtement est tout à fait rentable mais ses profits souvent considérables semblent ne profiter qu’à une poignée d’individus sur les millions impliqués et qui devraient, théoriquement, en bénéficier.
Les femmes sont les premières touchées
On estime qu’environ 80 % des personnes employées par les usines de fabrication de vêtements sont des femmes.
En dehors des usines, le contraste est fort et saisissant. Les postes de direction et de management au sein des marques de mode sont très majoritairement occupés par des hommes. Moins de 15 % des plus grandes entreprises du secteur sont dirigées, partiellement ou en totalité, par des femmes.
Dans la mode, la redistribution des profits se fait très largement en fonction du genre des individu·es.
Ceux qui captent la majorité des bénéfices sont des hommes tandis que les métiers majoritairement féminins sont ceux qui subissent la plus grande misère économique. Les salaires extrêmement bas du milieu trouvent aussi leurs racines dans le sexisme et sont intimement liés à la place que les femmes occupent dans l’ensemble de nos sociétés. Pourtant, l’industrie de la mode est culturellement et économiquement portée par le womenswear. La mode est créée pour des femmes, consommée par des femmes, financée par des femmes, fabriquée par des femmes, mais majoritairement pilotée par des hommes dont les postes à haute responsabilité leur assurent de capter l’essentiel des bénéfices générés par le travail des femmes.
Pour l’Europe de l’Ouest, là où l’exploitation humaine est plus rare, on note également une seconde corrélation entre discrimination et salaires dérisoires.
A Leicester, vitrine de l’industrie textile anglaise et hotspot majeur de l’esclavage moderne, 1 ouvrier·es sur 3 est issu·e de l’immigration indienne, pakistanaise ou somalienne. Dans l’industrie de la mode en Europe de l’Ouest, les conditions de travail les plus extrêmes sont donc plus présentes dans des zones où les travailleur·es issu·es de pays du sud économiquement sinistrés et où le droit du travail est faible voire inexistant sont sur-représenté·es.
Les ouvrier·es du textile sont donc nombreux·ses à subir des discriminations liées au genre ou à l’origine. Les femmes issues de l’immigration constituent notamment une part importante de cette main d’œuvre qui se trouve alors à l’intersection de ces discriminations.
Plusieurs initiatives créées en réaction permettent de consommer de manière plus vigilante
Pour checker la transparence d’une marque : sur Fashion Checker
L’outil révèle que la majorité des marques ne communiquent pas de manière transparente sur ce qu’il se passe tout au long de leur chaîne d’approvisionnement et de fabrication. S’il n’est pas forcément judicieux d’incriminer ouvertement toutes ces entreprises, on peut toutefois privilégier celles qui communiquent des informations claires et précises sur les conditions de travail de leurs ouvriers, au moins pour inciter les autres à suivre l’exemple.
Who Made My Clothes ?
L’initiative Who Made My Clothes (déclinée en #WHOMADEMYCLOTHES) portée par le collectif Fashion Revolution à travers le monde entier propose aux consommateurs et consommatrices d’interroger les marques sur les chaînes de fabrication, d’identifier leurs fabricants et tente de redonner aux ouvriers du textile la place qu’ils et elles méritent, et nous invite à se poser la question de leurs conditions de vie, de travail et de rémunération.
Espace commentaire
(0)