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La vision d’Ifeanyi Okwuadi, vainqueur du Grand Prix Mode du Festival de Hyères 2021

Le Festival International de Mode et Photographie a fêté sa 36e édition à Hyères du 14 au 17 octobre 2021. Révélateur de talents émergents, le Jury est de plus en plus attentif à la dimension responsable du travail proposé par les créateur·ice·s de mode et accessoires. Parmi les récompenses, il existe désormais un prix “Sustainability” que les lauréat·e·s n’ont pas attendu pour implémenter l’upcycling et l’écoconception dans leurs collections. Nous avons rencontré Ifeanyi Okwuadi, vainqueur du Grand Prix du Jury Mode Première Vision, récompensé pour sa vision féministe et engagée pour un vêtement durable par sa qualité.

Rencontre avec Ifeanyi Okwuadi, vainqueur du Grand Prix du Jury Mode

Qui es-tu, Ifeanyi ? 

Je suis Ifeanyi Okwuadi, 27 ans, né et élevé en Grande-Bretagne et originaire du Niger. Je n’ai jamais fantasmé une carrière dans la mode enfant, je rêvais d’être footballeur. Jusqu’à 16 ans, je me suis dédié à cette hypothèse de carrière de joueur professionnel, jusqu’à ce qu’il faille faire un choix entre le sport et les études supérieures. A la suite du lycée, j’ai entamé une année d’études dans les ITs (Technologie de l’Information – NDLR) que j’ai rapidement abandonnée. Je me suis dirigé vers un apprentissage chez Cat and the Dandy et suivi une formation en design textile à la Ravensbourne University. J’ai commencé à me cultiver sur l’histoire et la culture anglo-saxonne, à travers le vêtement.
Après une année sabbatique, je suis entré à la Central Saint Martins (prestigieuse école de mode de Londres – NDLR) pour étudier le design. 

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Quelles sont tes sources d’intérêt et d’inspirations créatives ? 

J’ai une vision de designer, ce qui m’importe, c’est la structure. Un vêtement solide, robuste, construit. Je suis plein d’admiration pour le travail de créateurs comme John Galliano, Alexander McQueen, et fasciné par le costume. L’héritage des costumes traditionnels, l’histoire du tailoring sont mes sujets de prédilection. J’ai étudié le tailoring dans différentes Maisons traditionnelles de costumes masculins. J’ai été apprenti chez Savile Row à Londres, la technicité et la culture textile qu’on y apprend n’existe pas ailleurs.

Quelle est ta définition d’une mode durable ? 

Elle tient en un seul mot : la qualité. Je suis très circonspect devant des collections présentées comme étant “sustainable” sur le seul critère des matières. Si un vêtement est mal conçu, il sera tout autant délaissé après quelques mois.
La qualité exige des matériaux de bonne composition. Ensuite, la dimension artisanale du savoir-faire est pour moi fondamentale et intrinsèquement éco-responsable : un travail maîtrisé dans la confection du tissu ou de la maille, une coupe juste, et un assemblage robuste donneront à la fois une dimension esthétique structurelle au vêtement et une résistance dans le temps. Le vêtement sera porté avec plaisir, ce qui est aussi indispensable selon moi et corrobore à la notion de durabilité. 

Que raconte ta collection présentée au Festival de Mode et Photographie Hyères 2021 ? 

Take the Toys from the Boys est une collection masculine, inspirée d’un mouvement de contestation pacifiste envers les armes nucléaires, porté par des femmes en Grande-Bretagne, de 1981 à 2000. Une de mes professeures m’y avait sensibilisé alors qu’elle connaissait mon attrait pour toutes les formes d’engagement, de protestation en général. Je trouve fascinante la façon dont des idées, dès lors qu’elles sont portées par un groupe d’humains, sans violence ni méthodologie, peuvent avoir un impact. Ici, le fait que ce mouvement soit porté par des femmes me semblait encore plus intéressant.

Parle-nous de ton processus créatif, décompose les pièces de ta collection 

Les silhouettes composées de vêtements à la structure militaire : shorts courts, longues chaussettes, veste M-65, veston d’épaule, surchemise ; auxquels j’ajoute des détails subtils indiquant le sur-mesure, comme le point de bâti laissé volontairement, et des éléments plus féminins, comme un foulard en soie noué autour du cou ou de larges ouvertures au dos ou sur les cols. Je m’appuie sur les contrastes : dureté / douceur, masculin / féminin, distraction / méticulosité et sur une dualité temporelle. Reprendre des pièces historiques est une manière d’honorer le passé tout en proposant de le faire perdurer dans le futur en y ajoutant des éléments contemporains.
La nuance se retrouve aussi dans le choix des matières : j’associe le Herringbone Twill ou le ripstop (méthodes de tissages utilisées notamment dans les vêtements militaires pour leur robustesse – NDLR) et du satin ou de la soie, mais aussi des éléments upcyclés qui rappellent l’enfance, comme des fils de Scoubidou® tissés ou des jouets miniatures Kinder®.
Les matières sont locales, sourcées en Irlande, Ecosse ou Grande-Bretagne. Je travaille le patchwork, le tricot, et des méthodes de padding / quilting qui donnent un effet matelassé. La technique du pad stitching permet d’étendre la durée de vie d’un vêtement. Je me suis également beaucoup inspiré du fabuleux travail de l’artiste Célia Pym qui fait de la reprise et de la restauration des vêtements un acte militant.

Que représente ce Festival pour toi, le Grand Prix du Jury Mode Première Vision ?

C’est un honneur immense, surréaliste. J’avais postulé l’an passé pour participer au Festival, ma candidature n’avait pas été retenue et à postériori, je le comprends très bien. Je n’avais pas la maturité nécessaire, mon processus créatif n’était pas abouti. Aujourd’hui, je suis sincèrement fier et reconnaissant car j’ai la sensation que ma collection est parlante. Mes vêtements ne sont pas les plus clinquants, ni les plus audacieux en termes de design, de couleurs. Mais quand on s’y intéresse de près, les messages sont multiples. Dans le futur, je ne sais pas encore si je travaillerai pour une Maison et/ou ma propre griffe, mais j’espère pouvoir avoir la liberté de m’exprimer avec mon propre langage.

Ton compte Instagram est nouveau, n’a pour l’instant aucun contenu (22 X 2021 – NDLR). Quelle est ta relation au réseaux sociaux, au monde digital en général ? 

C’est une question très difficile pour moi, celle de l’image et de la communication digitale. Je n’ai jamais été moi-même sur un réseau social, je n’ai pas de compte Facebook et n’ai à l’heure actuelle aucune idée de ce à quoi devrait ressembler mon compte professionnel. Je ne sais pas comment utiliser ces canaux pour m’exprimer, bien que je conçoive l’importance de construire une communauté et de transmettre des choses. Les messages doivent être vrais mais concis… J’ai du mal à envisager communiquer des émotions fortes et une authenticité totale avec du contenu aussi partiel. Il faut que j’arrive à faire coïncider création et communication. Je veux que les gens entendent mon message de paix, mon esprit positif pour l’avenir, à des vêtements de grande qualité.

Les autres gagnant·e·s de Prix de la 36e édition du Festival de Hyères

Par Aude Penouty

Les présidents des jurys respectifs : Louise Trotter (Jury Mode), Christian Louboutin (Jury Accessoire), Dominique Issermann (Jury Photo) ont particulièrement soulevé la dimension essentielle du développement durable dans leurs critères d’évaluation. Cette édition faisait place au nouveau Prix du Créateur de Mode Responsable MERCEDES BENZ.

Prix Chloé

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Elina Silina est la duchesse de l’upcycling bienveillant. Elle reçoit la récompense de 20 000 euros du Prix Chloé pour continuer ses créations. Son travail minutieux est titanesque. La jeune femme originaire de Lettonie collecte des fils, des vêtements de seconde mains, des patrons… qu’elle lie avec finesse par un travail de maille au crochet, transmis par sa grand-mère, sa mère et les femmes de sa communauté, participant à la création de lien et la transmission de savoir-faire. Le résultat est subtile, la dimension artisanale et manuelle est palpable.

Prix Créateur de Mode Responsable MERCEDES BENZ

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Sofia Ilmonen est la lauréate du Prix Créateur de Mode Responsable alloué par MERCEDES BENZ. Son élaboration autour de carrés de tissus plissés et assemblés comme des foulards donne ampleur, souplesse et légèreté. Le tout est maintenu par un jeu de boutons imprimés en 3D par l’Atelier Eymeric Ledun. Ils seront en plastique biosourcé pour les prochaines collections. Grâce à ces astuces et délicatesses de conception, les vêtements s’adaptent au(x) corps et leur(s) évolution cours de la vie.

Prix du Jury Accessoires de Mode

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Capucine Huguet, rebaptisée “Miss Antartique” par Christian Louboutin, Président du Jury, remporte le prix du jury accessoires de mode en collaboration avec la Maison Chanel des Métiers d’Art. Avec ses bijoux inspirés des fontes des glaces, elle s’engage pour une approche responsable de la joaillerie. Ces produits sont fabriqués en or 18 carat ou en argent sterling recyclé, et en pierres précieuses qu’elle façonne elle-même dans son atelier à Paris.

Prix du Public de la Ville de Hyères

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Pour Adeline Rappaz, la récupération et l’upcycling ont une place prépondérante dans la vision éthique et de développement. La créatrice suissesse, actuellement en poste chez Schiaparelli, gagne le Prix du Public de la Ville de Hyères avec sa collection Le temps des rêves, élaborée avec des pièces de récupération assemblées ou brodées les unes aux autres.

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