Présidente de l’antenne française de Sea Shepherd depuis 2008, Lamya Essemlali est sur le pont depuis 2005 pour préserver la vie marine et secouer les consciences. Elle nous présente ses batailles en mer, nous livre sa vision du combat écologiste et nous raconte quelques histoires militantes qui redonnent de l’espoir !
Toutes les images sont au crédit de la @SeaShepherd
En deux mots, comment présenteriez-vous la vision et le travail de Sea Shepherd ?
Lorsqu’une baleine se fait harponner, ce n’est une histoire pour personne. Mais on se dit que si des humains risquent leur vie pour elle, alors là, ça peut devenir une histoire. Notre boulot, c’est donc de braquer les projecteurs sur ce qu’il se passe en mer. Nous sommes des lanceur·se·s d’alerte. Si l’océan meurt, nous mourrons. On n’a pas le choix d’agir ou non, alors il faut y aller.
Pensez-vous que nous ne sommes pas assez informé·e·s au sujet de ce qu’il se passe au milieu des océans ?
Le carnage qui a lieu en mer dépasse tout ce qu’on peut imaginer.
Notre objectif global est d’éveiller les consciences sur ce que les humains font à l’océan. L’objectif suivant qui découle du premier est de faire évoluer les réglementations qui sont complètement laxistes et permissives. On peut être amené·e·s à se battre contre des pratiques affreuses mais techniquement légales.
Pour ça, on va adopter des stratégies et des actions différentes selon les problématiques et les situations. La cause et les animaux qu’on défend changent aussi la donne ! Tous ne sont pas aussi faciles à défendre. On ne mène pas les mêmes actions quand on veut convaincre qu’il faut protéger les concombres de mer et quand on veut sauver les dauphins.
Pensez-vous qu’il y a un problème dans la façon dont on perçoit et dont on classifie les animaux marins entre eux ?
Dans l’opinion publique, il y a clairement une hiérarchie entre les espèces animales. Aujourd’hui, quand on évalue la population de poissons, on parle encore en tonnes, pas en nombre d’individus. C’est quelque chose qu’on ne fait avec aucun autre animal ! On parle des poissons en termes de stocks. C’est grave ! C’est ce qui alimente ce regard qu’on doit changer. L’océan n’est pas un hangar avec des marchandises qu’on doit gérer ! C’est un milieu vivant qu’on doit respecter, pour des raisons éthiques mais aussi plus égoïstement pour notre propre survie.
L’océan n’est pas un hangar avec des marchandises qu’on doit gérer !
Que peut-on faire contre cette vision qui implique qu’on se fiche de la vie ou de la mort de certaines espèces ?
L’importance qu’on donne à chaque espèce peut évoluer dans le temps. Dans les années 1970 par exemple, on s’en fichait totalement des dauphins. Notre perception des poissons est clairement amenée à évoluer, à grand renfort d’études qui remettent en question l’idée qu’on se faisait de leur intelligence, etc.
En tant qu’activistes, on peut aussi se servir du fait que certaines espèces sont plus charismatiques que d’autres. Par exemple, chez Sea Shepherd France, on concentre nos actions sur la capture de dauphins puisque le dauphin est une espèce parapluie (ndlr. Une espèce qui, si elle est protégée, permet par ricochet la protection d’un grand nombre d’autres espèces). Si on règle le problème des dauphins, on règle en même temps le problème de la surpêche.
Personnellement, diriez-vous que votre action se base, au moins en partie, sur des convictions antispécistes ?
Politiquement, je suis engagée auprès de la REV (ndlr. Révolution Écologique pour le Vivant, parti écologiste fondé par Aymeric Caron). C’est un parti qui porte une vision antispéciste et globale.
Je dirais que j’ai une vision du monde totalement biocentrique. Dans mes études, on m’a d’ailleurs reproché mon manque d’objectivité parce que je n’avais pas une vision anthropocentrique. Depuis quand l’anthropocentrisme est-il un regard objectif ? C’est tout le contraire, en fait ! On est très formaté·e·s, même à l’université, même dans les filières écologistes. L’objectif dans mon master, c’était d’étudier la nature pour la comprendre, mais aussi pour apprendre à l’exploiter. Par exemple, en cours de conservation de la biodiversité (qui était celui que j’attendais le plus), le prof a pris l’exemple de la baleine bleue, une espèce strictement protégée par ailleurs, pour nous montrer comment on pouvait déterminer le nombre maximum d’individus qu’on pouvait tuer sans détruire le stock… J’étais sidérée.
Je vois aussi l’action directe comme une façon de battre sa propre anxiété.
Pourquoi avez-vous choisi de vous battre pour la sauvegarde de la mer en particulier, quand on sait à quel point il y a encore pas mal de problèmes à régler sur terre ?
En matière d’écologie, on est tou·s·tes totalement dépassé·e·s par la multiplication des problématiques et l’ampleur des enjeux. Si on veut agir, on est bien obligé·e de choisir un combat. La mer représente 70 % de la surface du globe et, pour l’instant, Sea Shepherd est la seule association à disposer de navires pour agir concrètement sur le terrain. J’ai donc choisi ce milieu parce que c’est un enjeu majeur et qu’il y a une marge de progression énorme. Pour moi, c’était un choix stratégique, pas idéologique.
Bien sûr, si on avait une quantité infinie de ressources, on pourrait dupliquer nos méthodes et nos combats pour faire un Sea Shepherd terrestre, un Sea Shepherd des montagnes… Mais on ne peut pas et on espère donc que d’autres le feront.
D’après le philosophe Geoffroy de Lagasnerie, l’action directe est la seule façon pour les citoyen·ne·s de sortir de l’impuissance politique puisqu’elle force l’État à réagir, à trancher sur des questions qu’il pouvait ignorer. Personnellement, quel est votre rapport à la radicalité et l’action directe que vous utilisez chez Sea Shepherd ?
Je me retrouve totalement dans cette vision. Quand on est sur le terrain, quand on filme les captures de dauphins, puis quand on expose ça sur la place publique, on force le changement. Mais je vois aussi l’action directe comme une façon de battre sa propre anxiété. C’est un moteur qui permet, tout en restant lucide sur les problèmes environnementaux, de ne pas se laisser bouffer par la peur.
L’action directe n’est pas destinée à tout le monde, tout le monde n’y arrive pas. Mais c’est une façon de lutter indispensable.
Quelle est l’opération de Sea Shepherd qui vous a le plus marqué ?
L’action qui m’a le plus marqué, c’est la première que j’ai réalisée en Antarctique. On traquait un baleinier, le Nisshin Maru. C’est un énorme navire-usine qui remonte les baleines tuées pour les dépecer, les découper et les congeler.
À l’époque, on n’avait qu’un seul bateau et il était bien vieux.
C’était en décembre 2005, un jour de tempête avec une houle de 8 mètres de haut. Quand on a trouvé le Nisshin Maru, on a décidé de lui barrer la route. Et lui a décidé de nous foncer dessus. C’est un bateau qui fait 8 000 tonnes, alors que le nôtre ne pèse que 700 tonnes. Honnêtement, on se préparait à mourir.
Finalement, il a viré de bord au dernier moment, notamment pour des raisons diplomatiques puisqu’on était 45 activistes de nationalités différentes dans un sanctuaire de baleine international et le Japon aurait eu du mal à expliquer pourquoi il nous avait tué ici et à ce moment-là.
Nos actions contre le Nisshin Maru ont fonctionné. En 2008, il n’a péché que 9 % de son quota. Et maintenant, le Japon ne va même plus en Antarctique. C’est une immense victoire pour Sea Shepherd.
Justement, à titre personnel, mais aussi au nom du collectif, comment le prenez-vous quand le gouvernement japonais vous qualifie d’éco-terroristes ?
On ne fait que sauver des vies et on n’a jamais blessé personne. Quand on prend conscience de la taille des enjeux, on réalise aussi que ce qu’on fait avec une association comme Sea Shepherd, c’est le minimum vital. Mais bien sûr, quand on agit, on dérange forcément quelqu’un et on suscite forcément des réactions d’hostilité.
Ce ne sont pas les mêmes partout, ceci dit. J’étais surprise de l’ampleur que Sea Shepherd a en France. L’antenne française est devenue une des plus importantes. On bénéficie d’un grand soutien de l’opinion publique et médiatique. Au niveau politique, c’est aussi en train de changer. On rencontre de plus en plus des politiques pour exposer notre vision. J’ai aussi participé à une table ronde au One Ocean Summit au mois de février 2022.
Quelle relation entretenez-vous d’ailleurs avec votre propre engagement dans le monde politique ? Vous aviez déjà tenté une candidature dans le 14e arrondissement de Paris en 2020.
Je pense que l’engagement politique est fondamental. Au fond, toutes les questions qu’on traite avec Sea Shepherd sont éminemment politiques. Toutes nos actions ont une portée politique et on fait de la politique avec Sea Shepherd.
Mais je n’y ai pas accordé le temps nécessaire quand je me suis présentée à Paris en 2020. A ce moment-là, je voyais surtout cet engagement politique comme une tribune et j’y suis un peu allée à reculons. Je pourrais retenter, mais ça nécessite du temps et je suis plutôt quelqu’un de terrain. Je reste engagée auprès de la REV parce qu’elle porte des combats qui me tiennent à cœur mais je ne la représenterai pas dans une élection.
Bravo
Merci pour eux, le travail est fondamental !