#SmartInfluence Vipulan Puvaneswaran, jeune activiste militant pour la sauvegarde du Vivant
Rédigé par Victoire Satto
Le 09 janv. 2022
Minutesde lecture
Bien que la crise climatique et de justice sociale nous concerne tous, certains en ont la conscience accrue. Cette extra-lucidité est particulièrement présente chez les moins de 20 ans, comme Vipulan Puvaneswaran, qui n’aime pourtant pas l’idée d’opposer les générations dans le mouvement écologiste. Ce militant est l’un des protagonistes du dernier film documentaire de Cyril Dion, Animal. Selon lui, la première erreur est précisément celle du cloisonnement : des âges, des espèces, de la Nature, tous.
L’écologie est la science qui étudie les relations à l’intérieur du monde vivant – entre ces vivants et leurs milieux de vie. Sa quête est globale, intersectionnelle, tant sociale, qu’environnementale et économique. C’est une invitation à acter et à repenser nos interactions avec le Vivant dans son ensemble, nous défaisant de toutes les formes de domination ou d’aliénation. Dans cette interview, on parle de son éveil, de ses sources d’informations, du décalage qu’il ressent entre un monde académique archaïque et des étudiant·e·s activistes, pas convaincu·e·s par la fable capitaliste et bien décidé·e·s à écrire un autre récit.
L‘extra-lucidité fait vieillir des enfants qui ne seront jamais grands.
Citation personnelle
Qui es-tu, Vipulan ?
Je suis Vipulan Puvaneswaran, jeune étudiant français de 18 ans et protagoniste d’Animal, le dernier film-documentaire de Cyril Dion, sorti le 1er décembre 2021 au cinéma. Dans ce film, je pars avec Bella Hack à la rencontre de femmes et d’hommes convaincu·e·s comme nous que notre avenir est menacé par le changement climatique, lui-même conséquence et cause de multiples inégalités. On avait 16 ans lors du tournage. Nous sommes tous les deux activistes environnementaux à côté de nos études respectives. Pour cette raison, Cyril Dion nous a démarché et proposé un voyage dans différents endroits du monde auprès de celles et ceux qui ont une autre perception du Vivant et de notre relation à chaque entité qui nous entoure.
Je suis actuellement étudiant en sciences pour un monde durable à l’Université Paris Sciences & Lettres, où je suis une formation pluridisciplinaire autour des enjeux écologiques récents. Ma formation est un peu bancale. Elle comprend plusieurs entrées : l’économie, l’anglais, l’écologie, la coopération, la programmation, les statistiques. J’aimerais travailler à la recherche sur la cohabitation avec les autres espèces, comme Baptiste Morizot, sur un axe philosophie-biologie.

Le monde académique est en retard, ancré dans le mythe selon lequel l’homme est la vie prodigieuse et unique.
Les enseignements universitaires actuels te semblent-ils adaptés au contexte climatique ?
Il existe un décalage entre le monde académique et les aspirations des étudiant·e·s. On n’est pas consulté·e·s pour les programmes et c’est vraiment dommage. C’est particulièrement flagrant quand on compare les profs aux experts : Philippe Descola, Baptiste Morizot… Le monde académique a besoin d’une révolution épistémologique [NLDR : l’épistémologie désigne en philosophie l’étude critique des sciences et/ou la connaissance scientifique; l’étude de la connaissance en général] qui est pas encore en marche, même dans ma génération.
On décrit encore le monde Vivant avec des termes dualistes : la nature en opposition à la culture par exemple. On établit des catégories simplistes et des listes rouges (par exemple l’extinction des orang-outans liée à la déforestation elle-même associée à l’exploitation de l’huile de palme) en systèmes cloisonnés. Même le mot “biodiversité” peut être employé à mauvais escient car il ne reflète pas la réalité du monde vivant actuel, un ensemble dont nous faisons partie, sans domination ou rapport de force aux autres espèces vivantes ou aux éléments inertes. L’académie est ancrée dans le mythe selon lequel l’homme est la vie prodigieuse et unique.
Même au Congrès Mondial de la Nature à Marseille, la biodiversité dans les conférences est déconnectée de l’homme, présentée comme concept utilitariste. On ne parle pas du fait que tous les êtres ont un droit à exister selon leur manière propre d’être vivant.
Comment envisages-tu le futur, en dehors d’une hypothèse capitaliste ?
Chacun·e d’entre nous ne doit pas aller habiter à la campagne, ce n’est pas audible.

Je crois qu’on est trop extrême dans chacun de nos débats. Prenons l’exemple des low tech : dans L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix explique que la discussion est rendue infructueuse car la question énergétique est complètement polarisée, entre celleux qui pensent que le renouvelable va nous sauver, celleux pour qui le système actuel ne pose pas de souci et enfin, les réfractaires totaux à la tech. Les low tech sont une ligne de mire, ce vers quoi nous devons tendre à long terme.
Chacun·e d’entre nous ne doit pas aller habiter à la campagne, ce n’est pas audible. Un rapport de carbone 4 explique très clairement qu’en étant parfait·e, on baisse au mieux nos émissions GES de 25%. Le reste dépend de décisions économiques et politiques qui nous dépassent, ce sont ces deux paramètres qu’il faut changer. Il faut changer le récit qui dirige notre société qui est celui de la course à l’argent.
Une croissance infinie dans un corps fini, en médecine on appelle ça un cancer. En économie on appelle ça le progrès.
Cyril Dion
Nous devons penser et vivre le monde différemment. Le récit collectif a besoin d’évoluer de façon philosophique et spirituelle, dans le sens de la défense de la vie.
Penses-tu que la fracture générationnelle est réelle dans la considération écologique ?
Je ne crois pas en une fracture générationnelle, elle est construite et exacerbée par les médias. En revanche, notre fracture sociale est matérialisable. Preuve en est : dans les lieux militants, on trouve des personnes de tous les âges, mais pas le PDG de Total ou Emmanuel Macron. Les intérêts économiques et politiques sont antagonistes de ceux du Vivant. Il faut élire les dirigeant·e·s politiques les plus proches de nos idées, et avoir conscience que le vote ne fait pas tout.
C’est le système politique tel qu’il est qu’il faut déconstruire en intégralité, sortir du modèle libéral et s’inspirer du municipalisme libertaire du philosophe Murray Bookchin [NDLR : un programme politique d’écologie sociale, présenté comme une solution de rechange radicale à la démocratie représentatives, basé que la démocratie participative, directe, exercée au niveau local après décentralisation du pouvoir. Elle associe assemblée populaire et fédéralisme d’assemblée avec tirage au sort ou mandat révocable pour les décisions importantes]. Or le municipalisme libertaire est incompatible avec la 5e République.
Le marché mondial, les règles économiques et politiques sont des récits qui tiennent parce qu’on a été capable de faire croire à la majorité que ça marchait comme ça. Non, ça ne marche pas comme ça, c’est une entente, et cette entente peut évoluer.
Cyril Dion
Quels sont tes outils de veille au quotidien ?
Je pratique une veille intense sur les réseaux sociaux et je lis beaucoup. Mon top 4 des lectures essentielles pour appréhender le problème de notre relation au Vivant serait le suivant :
- Manières d’être vivant : Enquêtes sur la vie à travers nous, de Baptiste Morizot
- Apprendre à voir, d’Estelle Zhong Mengual
- Les diplomates – Penser comme un animal, de Baptiste Morizot
- Le capitalisme dans la toile de la vie, de Jason Moore
Le cinéma est un très bon moyen d’éveiller les consciences par l’émotion plus que le rationnel. Plusieurs de mes amis sont devenus végétariens depuis qu’ils ont vu le film. C’est un média qui permet de porter un récit plus efficace que des éternels discours scolaires.
La fiction également : j’ai adoré Autobiographie d’un poulpe, par exemple. Dans ce livre, Vinciane Despret pratique un décentrement salutaire. Elle ouvre la voie ouvrant la voie à d’autres manières d’être humain sur terre, en laissant libre cours à son imagination.
C’est une nouvelle expérience de pensée qui déstatue l’humain du sommet de sa pyramide et permet un effort de vigilance. Il nous montre qu’il y a assez de prodigalité dans la toile de la vie pour ne pas spéculer sur des caractères possibles du Vivant (anthropocentré) pour le rendre prodigieux.

Entre ne pas avoir de futur et me faire arrêter, je préfère me faire arrêter.
Le film a-t-il changé ta compréhension de la notion d’écologie et plus globalement, ta relation au Vivant ?
Je suis passé de l’environnementalisme à l’écologisme. L’environnementalisme consiste à protéger une nature essentialisée, qui serait « extérieure » aux humains. Pour citer Bourdieu, cette idée [L’environnementalisme] “n’est qu’un adversaire complice de l’idéologie capitaliste”, qui consiste à voir la nature comme une simple matière inerte à exploiter.
L’environnementalisme renvoie par ailleurs à une certaine hiérarchisation des luttes : on considère la lutte contre le dérèglement climatique et la préservation de la nature comme supérieure aux autres luttes – alors que plein de gens meurent encore des violences policières, des violences au travail, des féminicides, etc.
À l’inverse, historiquement, l’écologie est d’abord une science qui étudie les relations à l’intérieur du monde vivant – entre ces vivants et leurs milieux de vie. En tant que lutte politique, l’écologisme vise donc à acter et à repenser des relations nouvelles, libératrices, non seulement entre vivants non-humains et vivants humains, mais aussi à l’intérieur du vivant humain – c’est-à-dire en défaisant toute les formes de relation aliénantes. Au début du film, j’étais focalisé sur le dérèglement climatique et je n’accordais pas d’attention particulière aux autres luttes. Aujourd’hui, je vois davantage les choses en termes de relations et d’interactions.
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Références
- Animal le film
- Carbone 4
- Manières d’être vivant : Enquêtes sur la vie à travers nous, de Baptiste Morizot
- Apprendre à voir, d’Estelle Zhong Mengual
- Les diplomates – Penser comme un animal, de Baptiste Morizot
- Le capitalisme dans la toile de la vie, de Jason Moore
- L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix
- Animal, Cahiers Militants, Vipulan Puvaneswaran et Bella Hack
- (Une lecture des théories bourdieusiennes sur l’environnementalisme) Des enjeux environnementaux à l’émergence d’un capital environnemental ? Proposition de lecture des inégalités sociales par le prisme de l’environnement – Frédéric Richard, Gabrielle Saumon et Greta Tommasi
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