Viande locale ou légumes importés : qui pollue le plus ?
Rédigé par Victoire Satto
Le 07 janv. 2021
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Si vous nous lisez, vous êtes probablement concerné.es par le réchauffement climatique et curieux.ses des responsabilités prises par les entreprises pour y remédier. Cette croisade thermique a ceci de difficile que l’ennemi est fictif et la menace abstraite. De fait, les moyens de lutte sont tout aussi anodins et insidieusement à notre portée, disséminés dans nos gestes quotidiens, ce que résument bien des métaphores : Faire sa part de colibri ; Adopter une stratégie des petits pas ; Il n’y a pas de petit geste quand on est 7 milliards à les adopter. Commençons petit et concret : par le contenu de nos assiettes. D’un avocat péruvien importé ou d’un rumsteck élevé dans le Limousin : qui pollue le plus ? Nous vous présentons ici les résultats d’une étude scientifique publiée dans la revue Science en 2018 [1] qui révèle que l’impact des aliments n’est pas là où la majorité d’entre-nous l’attend.
NDLR : Cette étude est exclusivement portée sur l’empreinte équivalent carbone liée à la consommation de produits animaux et ne tient pas compte des autres arguments notamment la souffrance animale lors de leur exploitation. Afin de retranscrire uniquement les résultats de l’étude, nous n’abordons pas cette question ici.
Crédits @STAINES
Aliments local VS importé : qui pollue le plus ?
Favoriser les produits locaux est une recommandation appliquée au secteur de l’habillement comme à celui de l’alimentaire. Cela s’est renforcé pendant le confinement où nous avons d’une part perçu les limites de nos imports et d’autre part réalisé la richesse agricole de notre territoire. C’est bon pour l’économie locale et l’empreinte carbone des expéditions. Intuitivement, il est légitime de penser que l’impact d’un avocat péruvien est significativement alourdi par la part de kérosène liée à son transport. Pourtant, le transport n’est responsable que d’une partie minime des émissions GES (Gaz à Effet de Serre) des aliments. Ce qui pollue principalement, c’est la production.
La revue Science – qui est l’une des plus prestigieuses et des plus reconnues par le monde scientifique international – a publié en 2018 la plus grande méta-analyse* des systèmes alimentaires mondiaux [1], examinant les données de plus de 38 000 exploitations agricoles commerciales dans 119 pays. Les émissions totales de GES sont ici calculées par kilogramme de produit alimentaire. Elles tiennent compte des 3 plus gros polluants : le CO2 (dioxyde de carbone), le méthane et le N20 (protoxyde d’azote).
Première conclusion
La première conclusion, répondant à l’objectif principal de l’étude, est que les aliments d’origine animale polluent significativement plus que les végétaux.
À titre comparatif : produire 1kg de bœuf émet 60kg de CO2, contre 1kg de CO2 pour 1kg de céréales. Produire 1 kg d’agneau ou de fromages émet 20kg de CO2, contre 6 à 7kg de CO2 par kilo de volaille et de porc.
Deuxième conclusion
Les principales sources de pollution identifiées sont :
– La transformation des paysages en terres agricoles et d’élevage (déforestation, modification de la composition carbonique des sols) ;
– Le recours aux engrais synthétiques et aux pesticides ;
– La gestion des engrais naturels (fumiers) et les émissions de gaz des animaux.
Ces premières étapes représentent 80% de l’empreinte de la majorité des aliments. Les suivantes sont bien moins gourmandes en énergie : transformation, transport, vente au détail et emballage représentent les 20% restants; la part du transport est toujours inférieure à 10%.
Répartition des émissions de gaz à effet de serre (C02, N20, méthane) le long de la chaine de valeurs des aliments – Source : Our world in datas – Les mêmes résultats sont présentés sous forme de tableau natif de l’étude de la revue Science, en fin d’article.
Manger local réduit très peu nos émissions
Concernant le bœuf, les résultats sont unanimes : 83% de l’impact a lieu au moment de l’élevage. Le choix du local n’a qu’une faible influence sur ce pourcentage (1%). D’un point de vue strictement environnemental (en dehors du soutien à l’emploi local et l’économie locale), le fait qu’il soit produit à côté de chez soi ou importé du bout du monde semble peu significatif.
En 2008, une étude publiée dans Environmental Science & Technology [3] comparait les impacts liés au choix des produits alimentaires (viande, poisson, œufs, laitages, légumes) et ceux relatifs à leur provenance (dans le même état des États-Unis vs importés d’un Pays étranger). Les résultats étaient les suivants : remplacer une journée de régime conventionnel par une journée de véganisme (fruits, légumes, céréales), réduit davantage les émissions de GES que d’effectuer 100% de ses achats de la semaine localement. En d’autres termes, un jour de véganisme par semaine équivaudrait à avoir un régime alimentaire local à « kilomètre zéro ».
Manger local peut parfois s’avérer plus polluant
Une autre étude publiée en 2009 [4] dans le The International Journal of Life Cycle Assessment fait état de l’impact de la désaisonnalisation des produits. Nous souhaitons des produits locaux mais récoltés toute l’année … Or, pour obtenir des fraises en janvier et des oranges en juin, comme pour les fleurs, il faut tricher : les importer ; utiliser des méthodes de production énergivores (comme les serres, lampes à UV, réfrigération artificielle pour les stocker) ; avoir recours à des engrais pour les booster. L’étude démontre que produire des salades en Espagne en hiver pour les exporter en Grande-Bretagne a un impact 8 fois inférieur à la même production sous serre en périphérie de Londres…
Une exception : le transport par avion
Contrairement aux fleurs (une sacrée aberration), qui sont fragiles et à durée de vie courte, la quantité de nourriture transportée par avion est très faible : elle ne représente que 0,16% des miles parcourus en cumulant l’alimentaire et le transport de personnes. Cependant l’avion émet 50 fois plus de CO2 que le bateau par tonne au kilomètre. La plupart des aliments, notamment exotiques, sont transportés par bateau et leurs émissions sont bien inférieures à celles des produits animaux fabriqués localement.
Les aliments dont il faut particulièrement se méfier sont les « hautement périssables » pour lesquels le transport par bateau est trop lent, il s’agit principalement de fruits et légumes : asperges, haricots verts et baies font partie du fret aérien courant [5].
Pour les reconnaître, il faut là aussi lire attentivement les étiquettes : une origine lointaine x un produit d’une extrême fraîcheur voire un argument marketing de choc pour la marque qui n’aurait pas encore compris les enjeux du 21e siècle (Par exemple : « Ananas extra-frais de Floride – Par avion« )… On passe notre chemin.
Comment agir, alors ?
En commençant par proposer aux menus de la semaine des alternatives :
– Si vous mangez de la viande, moins de bœuf que d’agneau, moins d’agneau que de poulet ou porc ;
– Préférez des repas végétariens ou vegan dès que possible, par exemple sous forme de défi créatif culinaire ou d’initiation à une autre forme de gourmandise. Pensez aux tips zéro-déchets en cuisine ;
– Vous pouvez également choisir de boycotter tout produit ultra-frais à l’air lustré/botoxé, issu d’un pays lointain.
– Enfin favorisez les achats de produits végétaux, locaux, saisonniers et issus de l’agriculture biologique ou régénérative.
Et pourquoi pas… Posez ce sujet sur la table en même temps que le plat au prochain repas de famille ?
Références
[1] Poore, J., & Nemecek, T. (2018). Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers. Science, 360(6392), 987-992.
[2] Sandström, V., Valin, H., Krisztin, T., Havlík, P., Herrero, M., & Kastner, T. (2018). The role of trade in the greenhouse gas footprints of EU diets. Global Food Security, 19, 48-55.
[3] Weber, C. L., & Matthews, H. S. (2008). Food-miles and the relative climate impacts of food choices in the United States. Environmental Science & Technology.
[4] Hospido, A., i Canals, L. M., McLaren, S., Truninger, M., Edwards-Jones, G., & Clift, R. (2009). The role of seasonality in lettuce consumption: a case study of environmental and social aspects. The International Journal of Life Cycle Assessment, 14(5), 381-391.
[5] Carlsson-Kanyama, A., Ekström, M. P., & Shanahan, H. (2003). Food and life cycle energy inputs: consequences of diet and ways to increase efficiency. Ecological Economics, 44(2-3), 293-307.
[6] You want to reduce the carbon footprint of your food? Focus on what you eat, not whether your food is localContenu open source par Our World in Datas
*Une méta-analyse est une analyse des résultats de plusieurs analyses
Répartition des émissions de gaz à effet de serre (C02, N20, méthane) le long de la chaine de valeur des aliments [1] ; les résultats ont été mis en exergue par The Good Goods.
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