Ce que nos comptes Instagram disent de nous : à quel point notre (re)présentation en ligne est idéalisée ?
Rédigé par Coralyne Bienvenu
Le 17 févr. 2023
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Sommes-nous vraiment nous-mêmes sur Instagram ? Cette plateforme sociale souvent reconnue comme outil d’expression de soi, est-elle réellement le miroir de notre personnalité ? Les chercheuses Elspbeth Harris, spécialiste du marketing en ligne et du réseautage et Aurore C. Bardey, psychologue de la mode, ont mené une étude pour comprendre notre façon de nous présenter sur le réseau social Instagram. Des selfies à la mise en page en passant par les couleurs, des visages à l’utilisation du réseau, voici comment nous sommes perçu·e·s et nous nous présentons sur Instagram.

Estime ou désamour de soi ? Des chercheuses étudient ce que nos comptes Instagram révèlent de notre perception de nous-mêmes
Instagram, la plateforme adaptée à une représentation de soi idéalisée
Plusieurs études ont été réalisées à ce jour, concluant à certaines boucles comportementales sur le réseau social de l’image, téléchargé par plus d’une personne sur sept dans le monde. Entre autre :
- L’anonymat permis par Instagram joue un rôle central dans l’auto-présentation en ligne et engage davantage les utilisateur·ice·s à partager leur intimité, à interagir [1 Joinson, 2001; Bargh et al., 2002], « sous un manteau protecteur (c’est-à-dire… Internet), y compris s’agissant d’aspects négatifs de leur identité sur le web. A contrario, les utilisateur·ice·s d’Instagram sont systématiquement exposé·e·s à un risque de présentation d’eux·elles-même idéalisée.
- Ensuite, la pression sociale et la performance des images est accrue, car les comptes Instagram étant publics par défaut, les images sont facilement accessibles. Les utilisateur·ice·s sont conscient·e·s que leur public est plus large que sur un réseau tel que Facebook.
- De plus, la performance est amplifiée par les options d’édition (filtres, applications complémentaires de chirurgie esthétique numérique, etc) et de partage d’images. Pour se plier aux injonctions de beauté du réseau, ils/elles peuvent être amené·e·s à adopter un comportement trompeur, la récompense par la collecte de “J’aime” ajoutant ici un renforcement positif.
- Instagram semble être considéré comme un espace de présentation de soi et d’auto-promotion plutôt que de création ou de maintien de relation. Nous consacrons plus de temps à sélectionner le contenu posté sur notre page pour construire une présentation appropriée et souhaitée, nous explorons des personnages ludiques et fantastiques qui diffèrent de leurs identités réelles [2 Turkle, 1995 ; Stone, 1996].
- Il est par ailleurs maintenant avéré que les personnes cliniquement diagnostiquées comme souffrant de névroses variées (sentiments de détresse, d’anxiété et d’introspection accrue) utilisent plus fortement Internet que les extravertis [3 Amichai-Hamburger et al., 2002; Correa et al., 2010].
Pourquoi une étude ?
Ces profils Instagram ne sont pas le reflet de notre personnalité. Ainsi, l’objectif de l’étude menée par les équipes des chercheuses Elspbeth Harris, spécialiste du marketing en ligne et du réseautage et Aurore C. Bardey, psychologue de la mode, était de mesurer de façon qualitative et quantitative à quel point nos présentations de nous-mêmes sur Instagram sont idéalisées.
Les objectifs de la présente étude sont les suivants :
1- Evaluer l’auto-présentation en ligne à l’aide d’un réseau social purement visuel, Instagram;
2- Evaluer les incohérences potentielles entre la personnalité autodéclarée (hors ligne) et le soi public de la personne (sa présentation en ligne);
3 – Identifier les facteurs impliqués dans l’évaluation du moi public d’une personne.
T’as beau faire des milliers de selfies tu peux pas te voir.
Nekfeu – Cyborg
Les paramètres étudiés et la méthode pour mesurer les résultats
Pour répondre pleinement à l’objectif de ce projet de recherche, deux études distinctes ont été développées :
Une enquête quantitative sur l’auto-présentation sur Instagram, cherchant à évaluer les incohérences potentielles entre l’auto-déclaration (hors ligne) et la personnalité idéale (en ligne). Deux groupes de participant·e·s ont été recrutés : le groupe 1, quatre femmes titulaires de compte Instagram, le groupe 2, des observatrices Instagram diverses. En utilisant la même mesure, les participants observateurs d’Instagram (groupe 2) ont été chargés d’évaluer les participant·e·s titulaires de compte Instagram (groupe 1). Les deux groupes étaient constitués de la façon suivante :
- Groupe 1 : Parce que les femmes passent plus de temps que les hommes sur les réseaux sociaux, qu’elles utiliseraient comme capital social pour se rendre attirantes [Manago et al., 2008 ; Tufekci, 2008b ; Haferkamp et al., 2012], seules les femmes titulaires d’un compte Instagram ont été recrutées pour la présente étude, 4 personnes de 18 à 29 ans avec un âge moyen de 23,5 ans (SD = 4,50). Les quatre participantes avaient un compte Instagram public et leurs caractéristiques étaient distinctes.
- Groupe 2 : Le groupe était mixte, concernant les observateur·ice·s des comptes Instagram, recrutés par échantillonnage d’opportunités d’amis et de famille, via un lien publié sur une page Facebook partagée. 65 répondants ont rempli le questionnaire allant de 21 à 64 ans, avec un âge moyen de 35,63 ans (ET = 13,2), 63,08 % des répondants étant des femmes et 36,92 % des hommes.
L’outil de mesure : le TIPI (Ten Item Personality Inventory)
Les études se basaient sur 4 captures d’écran des comptes du groupe 1, visionnées par le groupe 2. Les participants remplissaient ensuite le TIPI modifié (Le Ten Item Personality Inventory) utilisé comme outil de mesure de personnalité.
Chaque item du TIPI est composé de deux descripteurs séparés par une virgule, utilisant le radical commun « je me vois comme » ou, pour les participant·e·s observateur·ice·s Instagram du groupe 2, « je vois cette personne comme ». Le TIPI permet de mesurer les individus sur les cinq grands facteurs :
- Le caractère extraverti (catégorisée par un comportement grégaire, sociable et affable)
- L’amabilité (une recherche de cohérence sociale, associée à l’amabilité et à la coopération)
- La conscience (caractérisée par une conduite auto-disciplinée et organisée),
- La névrose (caractérisée par des sentiments de détresse, d’anxiété et d’introspection)
- L’ouverture à l’expérience (une curiosité pour les activités artistiques et l’appréciation des points de vue alternatifs).

Les résultats des deux études
L’étude qualitative
Cette première étude a mis en évidence 4 thèmes principaux déterminants, dans la façon dont le groupe 2 perçoit le groupe 1 :
- Les selfies comme prédicateurs de la personnalité :
Les résultats suggèrent que la nature du selfie détermine la manière dont la personnalité est reçue. Les selfies pris seuls sont interprétés par les spectateur·ice·s comme un acte de narcissisme, alors que les selfies pris en groupe ont tendance à être corrélés à la sociabilité/extraversion. La différence d’une seule personne supplémentaire dans un selfie change radicalement la façon dont le selfie est reçu. Cette stigmatisation face au selfie est particulièrement vraie chez les Millennials de 18 à 29 ans qui représentent plus du tiers des utilisateurs d’Instagram [Duggan et Smith, 2013]. Iels sont critiques à l’égard du narcissisme en tant que trait de personnalité sur Instagram, probablement parce qu’iels sont habitué·e·s à le reconnaître au sein de leur génération.
- Les visages comme prédicateurs de personnalité
La présence de visages sur un compte Instagram permet d’avoir une meilleure compréhension du caractère d’une personne. Bien que les selfies soient critiqués, voir le visage du propriétaire du compte serait signe d’extraversion et de plus d’honnêteté. La propriétaire de l’unique compte qui ne montre pas son visage inspire l’introversion, la timidité…
- La mise en page comme prédicateur de personnalité
Le style général et la palette de couleur utilisés pour la mise en page sont des éléments qui prêtent à interprétation. Avoir des couleurs chaudes et cohérentes serait le signe d’une personnalité organisée et paisible. Mais attention, les préférences visuelles individuelles peuvent influencer la façon dont une personne voit le titulaire du compte.
- L’utilisation abusive des réseaux sociaux et ses conséquences pour la communication
La principale motivation, révélée par l’étude, de s’engager dans les réseaux sociaux, est de communiquer avec ses proches ainsi que de partager des informations visuelles ou textuelles. Les participant·e·s pensent qu’ils sont utiles pour garder des liens mais les effets secondaires restent nombreux. Malheureusement, les études vont dans ce sens, démontrant que celles & ceux souffrant de faible stabilité émotionnelle et donc un score élevé de tendance névrotique, passent plus de temps en ligne pour se rendre aussi attrayants que possible. Les appréhensions concernant les plateformes sociales sont multiples et les participant·e·s à l’étude souhaiteraient y voir du changement pour limiter le temps passé sur les réseaux et contrôler les effets sur leur santé mentale et l’estime de soi.
The pretty privilege
Instagram apparaît aussi comme une injonction au beau, la “belle apparence” est le facteur le plus important pour déterminer les popularité sur les réseaux sociaux. Un profil plus beau aura plus de succès en ligne et de circonstances hors ligne. Ce constat se fait même jusque dans la sphère professionnelle puisqu’un profil considéré “esthétique” est plus susceptible d’y être reconnu, et ce … d’autant plus s’il s’agit d’une femme. Les femmes considérées “peu attrayantes” sont jugées moins favorablement et moins qualifiées pour les postes que les femmes attirantes. Ce phénomène est également désigné comme « L’effet bestial de la beauté [Heilman et Saruwatari, 1979]. Un effet de halo qui influence considérablement l’auto-présentation en ligne des utilisateur·ice·s.
Conclusion
Cette étude éclaire sur le rôle de la personnalité en ligne et des paramètres de l’auto-présentation sur un réseau social virtuel, Instagram. Si des travaux complémentaires sont nécessaires à plus grande échelle, ceux-ci démontrent bien que les utilisateur·ice·s d’Instagram sont constamment exposé·e·s à une présentation de soi idéalisée, jugée comme telle par les autres membres, sur les 4 paramètres que sont les selfies, les visages, la mise en page, l’utilisation ainsi que les conséquences des réseaux sociaux pour la communication.
Instagram étant à ce jour utilisé par une personne sur sept dans le monde, dont une majorité de jeunes, il semble fondamental d’en encadrer les usages afin de ne pas en faire un nouvel outil d’injonction au paraître, notamment le genre féminin dont le corps est systématiquement objectivé.
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