Attention, le minimalisme peut-être une bêtise écologique
Rédigé par Victoire Satto
Le 09 janv. 2021
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Nous allons possiblement nous mettre à dos l’empire de Marie Kondo, son éditeur et Netflix réunis. Vous peut-être aussi ? Ça fait un moment que le sujet nous démange et qu’on tente de lister les points positifs de la méthode universelle qui distribue de la joie. Format 13 pouces ou carrés Instagram, chaque petit écran y passe : une image de dressing minimaliste entre deux soldes et promo black friday… On n’est plus à une injonction paradoxale près.
Allons à l’essentiel : le minimalisme est pour nous L’art de posséder et chérir ce dont on a réellement besoin. Voici pourquoi ce qui se crée autour du phénomène Kondo s’en éloigne en tous points.
Les fausses croyances autour du minimalisme
Hyperpossession et néo-minimalisme
Le minimalisme est un art de vivre. Il consiste à choisir en conscience ce à quoi on donne de la valeur, et ne se centrer que sur ça. Il peut s’agir de temps passé à une activité, de relations humaines ou d’objets. Cela repose sur l’idée que notre vie est précieuse et que chacune de nos ressources ou de nos possessions matérielles et immatérielles, doivent être savamment utilisées.
Le minimalisme de la méthode Kondo (ou de toute méthode similaire) est une pratique dépurative qui réduit l’art de vivre minimaliste à la seule dimension des objets.
Dans une époque où tout est accessible à bas coûts et à portée de clics, les foyers (et les dressings) se sont progressivement remplis de produits bas de gamme dont on a pas l’utilité et pour lesquels nous n’éprouvons pas d’émotions : un énième mug gagné dans une fête foraine, un T-shirt offert dans un magazine, un maillot acheté à la va-vite à -70% pendant les soldes d’été, etc etc etc. Petit à petit, la confusion naît. Notre dressing est plein de vêtements oubliés, mélangés, parfois de valeur – pécuniaire ou sentimentale – auxquels on accorde plus de considération faute de réflexion. Dévalorisé, ce fourbi donne un sentiment de trop plein qu’on ne sait trier, mais qu’on a peur de vider.
Les choses que tu possèdes finissent toujours par te posséder.
Chuck Palahniuk – Fight Club
Marie Kondo n’est pas une solution
Le minimalisme Kondo apporte une fausse solution clef-en-main en réponse à un problème culturel d’ hyper consumérisme. Faute de créneau pour un etat des lieux de ce qui nous est cher ou dont il faut se séparer, l’espace vital se réduit dans nos appartements. Notre aspiration à faire le vide, à se réserver des plages de calme se perd en meetings, réseaux sociaux, transports. Cette frustration chronique trouve réponse dans les achats impulsifs. Aussi le rangement minimaliste est très efficace en ce qu’il véhicule une image Zen prête-à-l’emploi : des placards neufs et organisés en une après-midi, source de joie de vie. Or, le problème de fond n’est pas le trop plein en lui même, mais bien notre manque de temps et d’espace comblé par l’accumulation d’objets inutiles et de mauvaise qualité.
Quelle est la vraie définition de la capsule wardrobe ?
C’est à Susie Faux (1) qu’on doit le terme de Capsule Wardrobe dans les années 70. Il désigne une garde robe basique, intemporelle de par son style, sa qualité et l’investissement financier et émotionnel qu’elle représente. Cette garde robe de belle facture, essentielle, c’est celle de nos grand-parents, celle qui dure et se transmet, celle qui porte un nom brodé, notre odeur et la forme de nos fesses comme une empreinte réconfortante. Elle est magnifiée occasionnellement par des accessoires ou des pièces d’exception (pourquoi pas en location !). Il s’agit donc d’affirmer son style hors des tendances, de déjouer les pièges qui remplissent nos portants à l’identique de toutes les minimalistes d’Instagram, fussent elles éco-responsables.
Epuration de dressing versus changement d’habitudes de consommation
L’Evidence Based Science, la « science fondée sur des preuves » démontre qu’il faut 21 jours (2) à un être humain pour changer d’habitudes. Le problème, nous l’avons vu, ne vient pas du fait d’avoir trop, mais d’avoir des choses qui ne nous correspondent ni ne nous satisfont. Ce sont ces habitudes de consommation sans réflexion dont il faut venir à bout, pas leur résultante. Classiquement après la sensation passagère de bien être faisant suite au besoin urgent de vider son appart, on ré-accumule comme avant, voire plus, mus par l’angoisse du manque face au vide brutal. Gardons à l’esprit, que si Netflix s’empare du minimalisme Kondo c’est d’abord parce qu’il représente une tendance. Et que demain, si la tendance est au rococo façon boudoir Marie-Antoinette, tout Instagram (1 milliard de personnes) courra s’acheter des lampes à pampilles et des cols en dentelles.
Crédits @OHDECOLLAGE
Une charge mentale supplémentaire
Le graal du 21e siècle : : le lâcher-prise, est avant tout un art de vivre qui n’est pas médié par les objets. Malheureusement il est plus facile de laisser partir un objet que de se laisser aller à ne rien faire pour se recentrer sur soi. Pourtant il arrive que le bordel soit salvateur… et qu’on gagne plus en une heure dans son bain quand l’évier est plein de vaisselle sale qu’à fourrer nerveusement le contenu de ses placards dans des sacs de 100L. Pour Valérie Guillard, Docteur en Sciences de Gestion,« Remettre de l’ordre et de l’esthétique, donne l’impression de reprendre le contrôle sur sa vie et son environnement», on est loin du lâcher prise…. Ranger tout, tout le temps, soumettre son espace vital à l’approbation de soi et des autres, est une forme de charge mentale supplémentaire et une recherche (vaine) du bonheur dans la comparaison..
Crédits @OHDECOLLAGE
L’envers sociologique du décor
La dévalorisation des objets est un privilège de personnes aisées
Ressentir le besoin d’alléger son dressing peut venir d’une réelle intention de changer : accéder à un rapport plus réfléchi, plus conscient et plus authentique à ses vêtements. Mais il s’agit d’un processus intime. Pour beaucoup s’habiller est une nécessité avant d’être un luxe et les marques à bas coût constituent parfois des dressings parfaitement réfléchis et strictement minimalistes. La Tendance minimaliste peut être légitimement perçue comme un luxe.
La culture du tout jetable
Throwing things away ? « Away » doesn’t exist. (4)
Minimalisme et écologie sont souvent amalgamés, dans une idée d’une déconsommation, de besoin de moins d’objets et de meilleure qualité. Pourtant, la méthode Kondo est un désastre environnemental. Une armoire propre et un nouveau départ, c’est un big haul pour l’environnement qui n’a pas à recevoir des tonnes de textiles jetés parfois n’importe comment. Selon la Fondation Ellen MacArthur (3), 39 milliards de kilos de textiles se retrouvent dans des décharges ou sont incinérés chaque année. En Angleterre, des associations telle la British Heart Foundation signalent que les dons ont doublé depuis la diffusion de l’émission sur Netflix. L’hypothèse du recyclage dissipe notre culpabilité. Mais d’une part elle n’est réelle que si le don se fait auprès de centres de tri référencés, d’autre part elle entretient l’idée que tout est jetable, et nous dissuade de prendre soin ou reconditionner nos vêtements. Elle conforte l’idée que les objets n’ont pas d’importance : financière, contextuelle, émotionnelle. Est-ce vraiment là la vie pleine de sens à laquelle la méthode promet d’accéder ?
Crédits @TELEGRAPHUK
Comment pratiquer un minimalisme responsable ?
Vous êtes dépassés par les vêtements et objets accumulés et motivés pour faire de la place dans vos placards, de manière durable et responsable ? Vous trouverez à la fin de cet article notre fiche #bristol qui détient les clefs de l’art de vivre mieux avec moins. Pas de secret, le processus prend du temps. Utilisez les choses avant de les remplacer. Usez-les jusqu’à la corde. Remasterisez, prêtez, échangez. Confiez-les à un retoucheur. Faites un short pour votre enfant. Triez consciemment, jetez intelligemment. Pensez par vous-même, soyez le changement que vous voulez appliquer à votre vie, celui qui rayonnera positivement et qui ne dépend ni des derniers best-sellers ni du dernier Netflix en date.… Il paraît qu’ils préparent une série sur Marie-Antoinette.
Références citées
1) SUSIE FAUX
2) How are habits formed: Modelling habit formation in the real world – Frontiers in Psychology
3) A New Textile Economy – Ellen Mac Arthur Foundation
Notre FAQ
C'est quoi le style minimaliste ?
Avoir un style minimaliste, c’est avoir une garde-robe constituée de peu de vêtements, basiques, intemporels et de bonne qualité. Par exemple : un trench, un gros pull d’hiver, un mom jean, une chemise blanche, un body… Souvent, cela s’ancre dans une volonté de posséder moins, des pièces de meilleure qualité et durables, dans le but plus global de réduire sa consommation, pour des raisons écologiques et de se centrer sur l’essentiel.
Comment vivre de façon minimaliste ?
Le minimalisme n’est pas une méthode, c’est une philosophie de l’existence. C’est éloigner de notre vie les choses matérielles et les remplacer par des expériences qui nous encombrent moins et nous apportent de la joie, vivre seulement avec ce dont on a besoin. On peut par exemple, commencer par se lancer un défi : ne pas dépenser d’argent pour un objet durant 6 mois.
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