Avoir un dressing responsable, c’est pas acheter éthique, c’est cultiver son style
Rédigé par Victoire Satto
Le 07 mars 2022
Minutesde lecture
Depuis qu’elle existe, la Mode éthique est une industrie de niche qui s’adresse à une clientèle de niche. Elle effraie par peur de devoir compromettre son style pour satisfaire sa conscience. La transformation des moeurs de consommation et de l’industrie alimentaire est probablement superposable : lorsqu’il y a quelques années les scandales ont fait surface, chacun s’est rendu compte des méfaits des produits transformés sur la santé et le bien être. Pourtant les tendances végétariennes/vegan restaient initialement marginales, stigmatisées par du tofu ébouillanté sur courgettes vapeur. Pas sexy. Or ni le végétarisme ni même le bio de sont faits de ces clichés-là. Il a fallu du temps, la conviction du grand public et l’ajustement de l’offre pour que son attractivité s’adapte aux besoins et envies des consommateurs. Aujourd’hui Bien manger, c’est mieux pour la santé est devenu pour nous une évidence sous-corticale.
Un phénomène similaire à l’alimentation se produit dans l’industrie du vêtement.
Le problème réside dans la présentation des options pour bien faire : l’information disponible suivie de la réflexion qu’on y consacre amenant à la modification de nos comportements. De la même manière qu’on reconnecte avec son corps et sa faim en s’intéressant au contenu son assiette, on peut reconnecter avec ses vêtements en y réfléchissant.
Réfléchir à ce que l’on porte
Réfléchir avant d’agir : à son style, à ce que l’on souhaite, à ce dont on a réellement besoin. Voici quelques pistes pour ce faire, récapitulées dans une fiche en fin d’article.

Premier point
Les choux gras de la fast fashion sont bâtis sur l’impulsion, à opposé de la réflexion : les achats compulsifs.
À qui n’est-il pas arrivé d’acheter dans les suites d’un sentiment de mal être ou d’interrogation existentielle après une rude journée que l’on vient réconforter par un achat :
… Une dispute avec son partenaire
… Une contrariété au travail
… La sensation de tuer le temps dans les galeries marchandes le samedi aprem à défaut d’une occupation sensée.
Tout paraît soluble dans un nouveau vêtement. Compulsion propulsée par la publicité omniprésente : image, vision, désir, un semblant d’inspiration stylistique qui devient une aspiration consommatrice incontrôlable : Il me le faut/Je veux, tel le craving d’un junkie.
Je VEUX ressembler à ce mannequin à l’air heureux au soleil en 4 x 3 sur cette pub.
Le seul point commun entre lui et moi étant ce petit blazer, disponible – ô magie de la distribution de masse – à la sortie de la même bouche de métro où il est exposé (soleil et décor de plage en moins). Aucun temps de réflexion n’est alors alloué à cet acte de consommation :
… Un blazer, un autre ? Combien en ai-je ?
… Quand les ai-je porté pour la dernière fois ?
… Depuis quand dois-je changer la fermeture éclaire d’une veste équivalente que ma mère m’a donnée ?
… Remplacer les boutons du trench adoré ?
Au delà de ce que j’ai déjà, de ce que je pense vouloir, quid de ce que je ne veux pas : ressembler à la personne qui va agir par instinct grégaire exactement de la même manière que moi, à quelques minutes près ?
Deuxième point
Lorsqu’on parle de Mode éthique, on se heurte immédiatement à l’image ennuyeuse et peu stylée d’un T-shirt bio en coton de taille L unisexe #emojicirconspect.
C’est indéniable, produire des vêtements d’une manière écologiquement et socialement durable est difficile compte tenu de la complexité des procédés, de la rapidité de renouvellement des collections, des cycles de tendances. Le système est fait pour : générer des nouveaux flux « d’envie » que notre cerveau traduit par « de choses à la Mode » et shunter davantage nos idées créatives. Anéantir la possibilité de s’exprimer avec ce qui déborde déjà de notre propre placard.
Ainsi les marques éthiques qui tentent de ralentir le courant au profit de la créativité et de la qualité, ne peuvent ni ne souhaitent s’inscrire dans cette spirale d’achat démoniaque. Les créateurs comme les journalistes le déplorent.
De plus, les solutions d’approvisionnement en matières premières et composants durables sont encore relativement limitées. Les concepteurs de Mode durable font inévitablement face à des compromis, et notamment parfois sur la conception et la coupe, donc la variabilité de l’offre.
(… Faites donc une petite pause).
Troisième point
Lorsqu’on pense « Mode », on pense « consommation », ce qui est fondamentalement différent en ce qui concerne le Style. En effet le Style est par essence personnel, intemporel, il n’est pas nécessairement associé à un nouvel achat, et va naturellement de paire avec un comportement « éthique ». Il est également accessible à toute gamme de porte-feuilles, mais dépend là encore d’une réflexion : Comment transformer/magnifier ce que j’ai ? et d’un contentement : Comment s’en satisfaire ?
Pour finalement mieux se l’approprier. Trouver SON STYLE. Là encore, nous souffrons de notre passivité, conditionnés à voir nos cerveaux nourris par des avalanches d’images sur réseaux sociaux, Pinterest, affiches, pages de magazines. Notre propre créativité est bridée car servie sur un plateau d’argent par des flux médiatiques qui avilissent davantage qu’ils n’inspirent. Comme pour la malbouffe, à mesure que nos désirs et besoins s’affineront dans un sens durable, les industriels se plieront au courant dominant. Et les labels établis commencent progressivement à favoriser une production éthique, élégante et… rentable.
En pratique
La durabilité n’est pas synonyme du sacrifice du Style, bien au contraire, c’est l’essence même de sa quête : s’interroger sur ce que nous portons en nous de plus profond, et que l’on veut exprimer par ce que l’on connaît. De l’authenticité.
Alors nous de jouer, d’être notre propre source d’inspiration en faisant un point sur notre dressing et notre manière de consommer des vêtements.
Nous serons prêts à cultiver une relation durable avec la Mode et son industrie si nous aimons et respectons ce que nous portons.
Pour aider à changer sereinement nos habitudes, voici un petit manuel récapitulatif
NDLR : pour ceux que l’enfilade des alinéas rebute d’ores et déjà, on a préparé une petite fiche Bristol en fin de billet (s’imprime aussi en format mini si tu veux pomper aux exams).
Comment consommer ?
1 – Acheter moins : facile à dire ? Facile à faire aussi.
- Premier exercice pratique dans un grand magasin : avant de passer en caisse, reposez l’article convoité et allez faire un tour (ou mieux, revenez le surlendemain). Dans la grande majorité des cas l’objet du désir incontrôlable devient celui d’une vraie indifférence. Vous ne vous souviendrez plus de la pièce en question. Vous n’en avez ni besoin ni envie (combien de choses avons nous achetées dans une incontrôlable extase en boutique, et finalement JAMAIS portées de retour chez soi ? Pourquoi j’ai acheté ce truc déjà ? Avec quoi j’ai mis ça ?). Si le désir persiste, la pièce attendra bien une semaine, deux, plus, et vous la garderez dans le coeur et le dressing bien plus longtemps.
- Deuxième exercice : n’y allez pas. Et faites la liste des belles choses qui vous font envie, un peu plus cher, plus intemporelles, à acquérir avec bonheur et un vrai sens du Style quand vous le pourrez. Même si ça la marque n’est pas 100% durable, c’est déjà un énorme accomplissement.
2 – Se renseigner avant d’acheter
J’ai besoin d’une tenue de sports ? Bien. Allons procrastiner sur l’internet mondial : existe-t-elle éco-concue ? Dites BONJOUR à notre annuaire des marques responsables.
3 – Lire les étiquettes
Certification Œko-Tex ? Label bio ? Manufacture européenne ou française ? Et lire parfois malheureusement aussi les messages cachés…
4 – Investir dans des pièces de seconde main
Notamment le vintage du temps de création et de manufacture déjà dépensés, des pièces en bon état ayant traversé les années, un Style unique/non répliqué, des matériaux qui ne pollueront ni dans leur conception ni par leur déchets… #economiecirculaire – Et on ne mentionne pas le cuir… C’est tout bénéfice !
5 – Acheter mieux
Mettre la main au porte-feuille, parce que le bien fait à un coût supérieur à un sandwich Subway, et une qualité qui se paie dans la durée. S’entraîner à comparer pour développer une attention spécifique aux tissus, aux finitions.
6 – Acheter local
Moins la chaîne de production est longue, moins on pollue.
7 – Favoriser l’artisanat
Moins d’intermédiaires, moins de produits chimiques, des pièces authentiques de meilleures qualités et en moindre exemplaires, anticlones. Un coup de fouet pour l’économie de son pays et la transmission des savoir-faire de traditions. Le patrimoine, c’est méga Good Goods.
8 – Louer ses vêtements
Par exemple avec Les Apprêtés.
Que consommer ?
1 – Choisir des matières responsables en fonction des saisons
En été du lin, beaucoup moins gourmand en eau que le coton pour sa production, en hiver de la laine d’alpaga plus que du cachemire.
2 – Des fibres naturelles
Sur la peau comme dans l’assiette, c’est mieux quand on peut identifier les matières premières…
3 – Tester des matières innovantes
Les biomatériaux : OK, c’est un peu le petit #WTF de la liste. Mais on fait le pari que demain la plupart de nos vêtements seront biodégradables.
4 – Le Tencel
Une fibre écologique soyeuse qui remplace la soie
5 – Les matières recyclées
En polyester PET (notamment les maillots de bains !) et en denim. Pour limiter la pollution, la conception de nouvelles matières dont la planète regorge et l’emploi de produits chimiques pour les traitements et les colorants
6 – Favoriser les pièces intemporelles
Comme un 2.55 Chanel, une belle montre, le briefcase d’une vie.
Faire vivre son dressing
1 – Faire bosser les couturier·es de quartier
Les vêtements ne sont PAS JETABLES. Soit dit et répété. Il y a en moyenne 4 couturiers/repriseurs par quartier à Paris, le votre deviendra votre meilleur ami, capable de faire renaître, de magnifier ou de transformer totalement un habit chéri qu’on croyait perdu. C’est comme dans Mario Bros, y’a plusieurs niveaux de difficultés :
- Level 1 : un trou ? Un bouton en moins ? Une tâche à camoufler ?
- Level 2 : un fitting inadéquat ? Une taille de prise ou de perdue à ajuster ?
- Level 3 : une veste de travail à pimper avec des séquins? #ilpeutlefaire – Soyez créatifs !
- Level 4 : do it yourself, #upcycling (ces hashtags commencent à bien faire)
2 – Jouer sur les accessoires
Sur des pièces intemporelles : Iris Apfel, tu connais ? Un accessoire a le pouvoir de MÉTAMORPHOSER une tenue.
3 – Entretenir & conserver
Trouver un pressing (bio !) de confiance à côté de chez soi, lavez mieux et donc moins souvent, c’est optimiser la consommation d’énergie et garder un produit dans le temps. Les tailleurs de nos grand-mères dormaient sous blisters… Ahem.
4 – Ne pas trier drastiquement son dressing !
Attention à l’effet rebond lorsqu’une crise de rangement vient vider son placard. Le minimaliste est une forme d’intégrité stylistique qui part d’une belle intention mais doit rester un idéal vers lequel on tend sans s’y soumettre. Sinon ça s’appelle l’intégrisme, et ça n’est n’est sain ni pérenne…
5 – Partager ou louer sa garde-robe
Une petite rente et une manière d’en faire profiter !
6 – Revendre
L’économie circulaire encore et toujours… (Le Bon Coin pour tout, Facebook Market Place pour n’importe quoi, Vinted pour les fringues de tout bords, Vestiaire Collective pour la seconde main de luxe, les dépôts vente, Selency pour les meubles, Les vides dressings, le panneau de petites annonces du taff).
Enfin… Déculpabiliser
Peu importe par où vous commencez, vous êtes déjà en train de vous poser la question. Alors BRAVO À VOUS.
Approchez ce nouveau mode de vie comme un jeu identitaire et non une punition.
La Mode est désir, le Style est accomplissement par ce qu’il nous offre de connaissance de soi. Chaque tenue est à vivre, et donc à concevoir comme une occasion de déguiser son âme avec l’apparat correspondant à l’humeur de la journée, à ce qu’elle nous réserve de fantastique. L’intermédiaire entre le monde et soi, c’est un vêtement.
Faites vos jeux.
La synthèse en fiche

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