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Heïdi Sevestre, glaciologue, nous donne des nouvelles fraîches de la cryosphère 

En ce début d’hiver, où l’ensemble de l’Europe affiche des températures anormalement chaudes et où les grandes stations de ski sont devenues dépendantes des canons à neige, nous sommes allés à la rencontre de la Reine des Glaces, Heïdi Sevestre, afin de faire le point avec elle sur l’avenir de nos saisons. S’il n’y avait qu’un seul mot à retenir : action !

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Heidi Sevestre – Equipement Helly Hansen

Qui êtes-vous, Heïdi Sevestre ?

Je suis une amoureuse de la montagne depuis l’enfance. J’ai su ce que j’ai voulu faire, lorsque adolescente j’ai rencontré un guide de haute montagne qui m’a dit : “Heïdi, tu sais, il existe des personnes qui étudient les glaciers et ils sont même payés pour ça !”. Ça a fait tilt. Je suis donc glaciologue et ravie de l’être !

Plus particulièrement, je travaille auprès du Conseil de l’Arctique – ndlr. l’Arctic Council est une institution intergouvernementale, lieu de discussions informelles autour des problèmes environnementaux rencontrés par cette région du monde. Ma mission est de comprendre comment les glaciers réagissent aux changements climatiques et la manière dont ils nous impactent. J’ai également une casquette administrative, avec mon équipe, nous coordonnons toute la recherche (avec près de 800 expert·es) concernant le dérèglement climatique en Arctique. Pour finir, nous communiquons le fruit de ce travail auprès des gouvernements. 

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Scientifique de formation, comment vous est venue cette appétence pour la vulgarisation auprès d’une large audience ?

Ce qui est drôle, c’est qu’au début, communiquer était ma plus grande hantise parce que j’étais très réservée. Cependant, lors de mon doctorat, je me suis prise au jeu. J’ai eu la chance de le réaliser à l’Université la plus au Nord de l’Arctique, c’est malheureusement l’endroit qui se réchauffe le plus vite sur Terre, 6 à 7 fois plus vite : c’est apocalyptique. Il y a cependant un avantage à ce réchauffement : un grand nombre de personnes importantes s’y rend afin de rencontrer des scientifiques. C’est à ce moment-là que mon université m’a poussé à aller à leur rencontre.

Les scientifiques ne sont pas ou peu entraînés à communiquer. Mais si la science n’est pas communiquée, elle n’a pas ou peu d’impact.

 

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Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la cryosphère et en quoi elle est importante au sein de l’écosystème planétaire ?

Ce n’est pas très compliqué. En effet, la cryosphère correspond à tout ce qui est glacé, ce qui représente environ 10% de la surface planétaire. On y retrouve : 

  • La neige 
  • Les glaciers, tels que ceux que nous avons dans les Alpes et dans les Pyrénées 
  • Les deux calottes polaires : le Groënland et l’Antartique
  • La banquise, c’est-à-dire cette glace qui se forme sur les Océans des régions polaires 
  • Le permafrost, un sol qui est gelé en permanence 

Aujourd’hui, les scientifiques se rendent compte que cette cryosphère est une géante aux pieds d’argile : elle est bien plus sensible que nous le pensions. Et la sauvegarder est un enjeu crucial, pour être plus concrète, voici les deux principales raisons pour lesquelles il faut la protéger : 

Le niveau des Océans 

Si toute cette glace terrestre fondait, cela représenterait environ 65 mètres d’élévation du niveau des Océans, ce qui est non négligeable. Par exemple, 700 millions de personnes vivent “seulement” entre 0 et 10 mètres d’altitude et nous assistons d’ores et déjà à des déplacements de populations ou  au recouvrement d’eau de terres agricoles. Que nous habitions près des Océans ou non, nous serons forcément tous touchés puisque la montée des eaux bouleverse nos frontières et nos activités économiques. 

L’eau potable

Secondement, ces glaces représentent nos plus grandes réserves d’eau douce sur Terre, on estime ces réserves à près de 70 % de l’eau potable. Donc avec la fonte de ces surfaces gelées, nous perdons un bien irremplaçable et vital.

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Ces réserves de glaces, quel rôle jouent-elles dans nos vies, notre quotidien ?

Pour ajouter une corde à l’arc de la cryosphère, il faut savoir que c’est elle qui régule le climat de toute la planète. D’une façon un peu plus romancée mais qui n’en reste pas moins véridique : le développement de notre espèce, homo sapiens sapiens, s’est toujours fait lorsqu’il y avait de la glace sur Terre

Pourquoi cela nous affecte au quotidien ?

Aujourd’hui, en France, nous nous prenons déjà en pleine face les effets de la fonte de la glace de la banquise de l’Arctique. Cela se traduit par des évènements extrêmes telles que les grandes sècheresses, les semaines de froid intense ou les averses impressionnantes. Pour ainsi dire, tout ce qui est hors des normales de saison, est lié directement avec ce qu’il se passe dans l’Arctique. Ce qui est logique, puisque cette région, en perdant sa glace, perd son rôle de stabilisateur et perturbe ainsi l’ensemble du Globe jusqu’aux moussons en Inde. C’est assez hallucinant.

Mais en ne regardant que notre cryosphère française, elle est utile pour produire de l’hydroélectricité, pour irriguer ou pour maintenir le débit des rivières. S’il n’y avait plus de glaciers, le Rhône verrait son débit diminuer de 40 %, ce qui serait un chamboulement total de l’activité économique qu’il condense, sans parler du fait que ses eaux ne seront plus capables de refroidir les centrales nucléaires en été. 

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Comment, en tant que citoyen·ne contribuer à protéger ces glaciers ?

Pour moi, déjà, éduquer le plus de personnes possible est capital afin qu’elles se posent les bonnes questions ou tout simplement osent en poser. Parce que lorsque l’on comprend réellement ce qu’il se passe, on réagit normalement assez vite ! Ensuite, il est essentiel de comprendre le pouvoir de l’action collective, ce qui commence par le fait de donner son vote à ceux·celles qui ont compris l’urgence dans laquelle nous sommes, et cela fonctionne pour toutes les élections : au niveau national, professionnel, universitaire, … Il est inutile de se tirer dans les pattes, il faut faire communauté en créant le monde de demain ensemble.

Enfin, il n’y a pas de recettes miracles non plus, si l’on veut sauver nos glaciers, il faut tout faire pour réduire notre consommation d’énergies fossiles

Vous évoquez dans votre discours, l’urgence de mettre en place une action climatique plus ambitieuse. Qu’entendez-vous exactement par là ? 

En glaciologie, la vie est très simple : il ne faut pas dépasser les 1,5 degrés d’augmentation des températures (même si nous y courons avec de l’élan). Au-delà, nous perdons totalement le contrôle de ce qu’il se passe et nous franchirons un point de non retour. Avec les COP et les conférences du climat, les pays sont censés ne pas dépasser cette limite, ou le moins possible. Finalement, ce que nous leur demandons est d’être ambitieux, ce qui veut tout simplement dire : qu’ils tiennent leurs engagements ! Les populations ne sont pas idiotes et demandent plus d’actions de leur part. Il faut qu’ils aient le courage de montrer que notre futur peut-être différent.

En tout cas, les choses s’améliorent, il y a une quinzaine d’années, nous allions directement vers +3 ou +4 degrés celsius d’ici la fin du siècle. Aujourd’hui, sur le papier, nous sommes plus autour de +2, +2,5 degrés. Ce qui reste toujours trop, bien évidemment.

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Croyez-vous que cet objectif sera tenu ?

Complètement. Si je n’y croyais pas, je n’aurais pas de raison de me lever le matin. ce n’est pas que de la méthode Coué, je vois également des choses qui évoluent très rapidement. 

Avez-vous des exemples de ce qui a changé pour le mieux dernièrement ?

Lors de la COP 27, on m’a donné l’opportunité de parler face à seize pays et de les briefer sur la toute dernière science de la cryosphère, j’ai pu vraiment leur rentrer dedans et ils ont finalement crée une coalition, ce qui était inespéré, cela faisait des années que nous y travaillions

L’organisation qui a motivé cette coalition, a été très intelligente puisqu’elle a réunit des pays qui ont de la glace et qui subissent directement l’élévation du niveau des mers. Jusque là, ces pays ne communiquaient pas entre eux de ces sujets. Cette coalition donne une force de motivation envers des décisions favorables à ces processus internationaux. Ils ont même parlé de la cryosphère dans le texte final de la COP : c’est le début d’une Révolution. Les gouvernements comprennent l’ampleur du problème, avant ils nous écoutaient mais sans réagir. 

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Je souhaite que tout le monde tombe amoureux des glaciers et comprenne qu’il n’y a pas de temps à perdre pour les sauver.

Si nous suivons les prévisions d’augmentation d’1,5 degrés celsius jusqu’en 2050, que se passera-t-il ? À quoi devons-nous nous préparer ?

J’aime bien rappeler qu’en fait ces 1,5 degrés ne sont pas un objectif, c’est vraiment une limite. Donc il ne faut pas tout faire pour aller vers les 1,5 degrés, mais tout faire pour en rester aussi loin que possible ! Si nous sommes réalistes et optimistes, nous allons tout juste toucher les 1,5 degrés, puis nous espérons redescendre. 

Avec ce scénario, il est certain que nous aurons déjà perdu une partie de la cryosphère, on estime que d’ici la fin du siècle en respectant cette limite, il nous restera 30 à 40 % des glaciers dans les Alpes. Donc en 2050, il en restera un tout petit peu plus que ça. 

Face aux changements à venir, il est vraiment crucial de se préparer à ce qu’il va se passer : déjà, à +1,1/ +1,2 degrés, il y a d’immenses changements météorologiques. Il parait donc évident qu’à +1,5 degrés, cela sera encore plus important. Les épisodes extrêmes seront plus fréquents et plus puissants. Il faut donc travailler sur l’adaptation physique : les moyens de transport, la construction des bâtiments, la protection des ressources et des espaces naturels. Mais il faut aussi et surtout accompagner psychologiquement la population face à ces bouleversements. Et selon moi, cela va obligatoirement passer par une éducation nationale parce qu’on va nous demander de revoir notre façon de vivre sans nous expliquer de façon claire les raisons qui motivent ces contraintes et ce qu’il se passera si nous ne nous y plions pas. 

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Au contraire, au-delà de cette limite, à quoi nous attendre ?

Pour l’instant, c’est vers cette voie que nous nous dirigeons, que l’on souhaite ou non l’entendre. Il est assez compliqué de dire à quel point la situation va être compliquée, le GIEC évoque carrément le fait que cela menace la survie de l’espèce tout entière. La quasi totalité des glaciers ne sera plus là, ce qui est donc une menace énorme sur nos réserves d’eau douce. 

Quand nous atteignons les +2 degrés, nous débutons une déstabilisation inarrêtable du Groënland et de l’Antartique, nous pourrions voir plus d’un mètre d’élévation du niveau des mers d’ici la fin du siècle, certains même évoquent la possibilité d’une élévation de 3 à 4 mètres. En ce qui concerne le permafrost, il émettrait autant qu’un pays. À +2 degrés, il émettrait autant de gaz à effet de serre que l’Union Européenne, sauf qu’à l’inverse d’un pays, il est impossible de le réguler. Sans parler de tous les microbes, les bactéries et les virus qui seraient relâchés !

Du côté de la santé, l’air serait de plus en plus irrespirable. Enfin, tous les écosystèmes naturels sur lesquels notre civilisation repose seraient sous de grandes pressions. Par exemple, les Océans qui absorbent une grande partie des gaz à effet de serre, s’acidifieraient. En conséquence, les eaux deviendraient corrosives et toute la chaîne alimentaire serait impactée… Passés les +2 degrés, ces phénomènes là continueront à s’amplifier et à s’accélérer quoique nous fassions

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Il faut du courage, de l’ambition et de l’éducation pour comprendre pourquoi c’est important.

Avez-vous des ressources à conseiller à des profanes afin que l’on puisse se renseigner ? 

C’est une bonne question parce qu’il existe déjà un énorme travail de réalisé. Si je ne devais vous conseiller qu’une seule source, ce serait Bon Pote et son site internet ainsi que le livre qu’il vient de publier : Tout comprendre sur le climat (ou presque). D’ailleurs je l’ai commandé pour absolument toute ma famille ! Pour moi, ce genre de travail est capital. La communauté scientifique n’est pas très douée pour communiquer (ce n’est pas l’envie qui manque pourtant !), et ce type de personne nous aide grandement à faire passer le bon message !

Que pensez-vous du tourisme glaciaire qui explose ces dernières années ? Certains l’envisagent comme un tourisme de la dernière chance …

Si l’on regarde simplement les faits, il est clair que le tourisme est polluant. Mais heureusement, il y a de plus en plus de tourismes qui naissent et qui offrent des alternatives responsables avec une empreinte carbone diamétralement opposée au tourisme de croisière ou en avion. Mais je reste divisée sur le sujet car je me rends pleinement compte de l’électrochoc que cela peut faire aux touristes d’aller voir ces glaciers. Cependant, si vous y allez, il faut s’y rendre en ayant envie d’apprendre quelque chose. Je vois la Mer de Glace à Chamonix – où j’ai eu l’occasion de réaliser de nombreuses interventions publiques – et certes, il reste des personnes qui ne viennent que pour faire un selfie mais beaucoup vienne pour apprendre et pour passer à l’action après. Parce que quitte à avoir un impact carbone négatif sur des zones extrêmement fragiles, autant s’engager à rapporter quelque chose de positif à la société. De nombreux scientifiques sont convaincus que le fait de montrer ce qu’il se passe est un outil de sensibilisation. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas besoin d’aller très loin, nous avons de magnifiques glaciers en France dans les Pyrénées et dans les Alpes !

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Pour conclure

Il est crucial que les gens comprennent exactement la situation dans laquelle nous sommes, je crois qu’ils méritent de comprendre pourquoi les scientifiques parlent de crise. Une fois que c’est dit, ce n’est pas en baissant les bas que nous arriverons à surmonter cette crise ! Chaque être humain à un rôle important à jouer et il faut rappeler que nous pouvons tout à fait nous épanouir en passant à l’action. Et surtout, il faut faire avec ce que l’on a : notre gouvernement, nos entreprises, nos familles et ensemble se concentrer sur l’action ! Je dirai pour terminer, comme le dit si bien la team The Good Goods : “Enough bullshit!”. 

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