Les défis planétaires qui se présentent à nous sont tels qu’ils ne peuvent plus être occultés. Il n’est plus une semaine sans que les médias ne nous annoncent de nouveaux records de réchauffement et le chapelet des catastrophes qui les accompagne. 6 des 9 limites planétaires ont été enfoncées et d’inquiétantes boucles de rétroactions semblent se déployer sous nos yeux à un vitesse que personne n’imaginait il y a peu encore. Pour autant, la quasi-absence de la question écologique dans les dernières campagnes électorales pose la question de la place que nous accordons réellement au futur de l’humanité.
Lorsque mon mentor, feu Jacques Blamont, père de l’aérospatiale française, affirmait dans les années 2000 que nous étions en train de commettre une gigantesque erreur d’analyse, il n’imaginait pas la dimension prophétique de ses écrits. Son raisonnement relevait d’un bon sens qu’aujourd’hui encore nous n‘entendons que rarement : nous ne serons pas dix milliards au milieu du 21eme siècle, affirmait-il, mais, au regard du taux de croissance capitalisé et de la courbe d’enrichissement des ménages, 15 milliards en … “équivalent consommation”. C’est imparable et cela explique notre difficulté à faire face à l’accélération de nos déprédations envers la planète et leurs effets mortifères. Elle explique aussi la neutralisation des efforts de certains par les effets de la surponction des autres. L’homme me fait penser aux termites de nos campagnes, à grignoter toujours plus la poutre dans laquelle il est installé, jusqu’à l’effondrement ?
Face à cette situation, le débat sur les solutions semble tourner en rond, sans cesse renvoyé aux constats de l’inefficacité. Il s’exprime notamment dans la discussion conflictuelle entre les tenants de la fuite en avant technologique et ceux de la décroissance économique. Reflet aussi de clivages sociaux-politiques sans avenir au regard des enjeux. Plus l’on est à gauche plus on est décroissant, plus on est à droite plus on penche vers le techno solutionnisme, voire et l’accélérationnisme. Christopher Guérin, patron de Nexans, illustre parfaitement cette contradiction. Star auto proclamée de la “décroissance”, ne disait-il pas, trois jours avant une grande conférence sur la décroissance à Change Now 2023 que le secteur de l’électricité était à la veille de trente glorieuses d’hyper croissance ? L’œil frétillant de l’électricien face à une maison des années trente dont il faudrait intégralement refaire le câblage.
La déponction au chevet de ce qui peut être encore sauvé ?
De ces constats naquirent, un beau jour de 2023, l’idée d’un déplacement de la focale sémantique, afin de regarder notre rapport à la planète sous un angle légèrement différent.
“Si la terre se meurt de notre surponction de ses ressources, une forme de logique s’imposait dans l’idée de la déponction.”
Action – Réaction
L’évidence du terme était telle que nous le “google-isions” prestement afin de nous enrichir des articles et des recherches sur le sujet. Contre toute attente, le mot n’existait pas dans cette assertion et il n’en fallut pas plus pour attiser la curiosité et les énergies d’une quinzaine d’entre nous, le collectif pour la déponction. La définition officielle de la Déponction, posée par ces quelques sages, parle d’elle-même : la déponction est un concept de développement économique et sociétal qui vise à réduire au minimum l’usage des ressources naturelles tout en maintenant un niveau de bien-être et de prospérité durable. Ce terme incarne une approche systémique et holistique, intégrant des pratiques de gestion durable des ressources, l’innovation technologique, et des modèles économiques régénératifs. La déponction cherche à équilibrer les besoins humains avec la capacité de renouvellement de la nature, en privilégiant des cycles fermés où les déchets deviennent des ressources, et en minimisant l’empreinte écologique à toutes les étapes de la production, de la consommation et de leur logistique.
“La déponction est un concept de développement économique et sociétal qui vise à réduire au minimum l’usage des ressources naturelles tout en maintenant un niveau de bien-être et de prospérité durable.”
La déponction n’est pas une discipline de plus, qui viendrait remplacer la circularité, la durabilité, la sobriété, l’économie régénérative ou symbiotique.
Elle vient les chapeauter, dans un esprit de synthèse et de clarification. Sa force est triple.
- Tout d’abord elle est simple à retenir et à conceptualiser pour un esprit sensibilisé aux sujets de la planète.
- Elle tire ensuite une forme de légitimité du fait qu’elle est porteuse en son sein (et à la différence de la décroissance), du moyen et de la fin. Réduire notre ponction sur les ressources dans la planète pour un monde qui doit savoir se satisfaire de la contribution générative annuelle de la planète.
- Elle est enfin un pont entre les décroissants et les technologues. Elle n’est en effet pas exclusive du capitalisme en l’amenant à généraliser les pratiques de la circularité et de la durabilité sans pour autant lui demander de se faire harakiri de ses fondamentaux ; la création de richesse et la profitabilité.
Après tout, n’est-ce pas Decathlon lui-même qui reconnaît que la vente de produits sportifs de seconde main est aussi rentable que la production et la vente de neufs ? On rêve d’une industrie de l’électroménager qui nous vende des produits à durée de vie multi décennale accompagnés d’une garantie d’entretien et de réparation à voie. Que dire de la généralisation d’une mode durable et circulaire en alternative à la fast fashion tant décriée.
Les ressorts du capitalisme alimentent une mécanique de croissance linéaire et de siphonage sans retour de nos ressources. Cela n’est pas tenable. Promouvoir le capitalisme de la déponction n’est donc pas qu’une option parmi d’autres, c’est elle seule qui permettra le nécessaire équilibre entre la satisfaction des besoins humains et la capacité de ressourcement de la nature. Elle doit nous permettre de dépasser les clivages idéologiques en offrant une feuille de route pragmatique et inclusive. C’est une invitation à repenser notre rapport à la consommation, à l’innovation et à la croissance pour bâtir une société véritablement durable. Il est urgent de passer d’un destin collectif à un dessein collectif. Ne nous trompons pas de débat : quand le concept de décroissance est clivant et participe à figer des positions confrontationnelles, la déponction nous embarque, elle, sur le chemin consensuel d’une autre croissance, maîtrisée et raisonnée.
Bien évidemment, entre l’idée et sa diffusion généralisée dans les esprits, il y a un monde que l’édition de quelques tribunes n’a pas pour prétention d’évangéliser à elle seule. L’envie du collectif pour la Déponction n’en est pas moins de tester le concept et de le confronter à l’esprit de ceux et celles qui, de leur côté, réfléchissent aussi à leur rapport à la planète. Des conférences, des écrits, un hackathon, des ateliers sont donc en gestation afin d’enrichir cette toute jeune réflexion. Des collectifs sectoriels trouveraient aussi et assez naturellement leur place dans cette démarche afin, secteur par secteur, de travailler sur une possible déclinaison de la Déponction dans les modèles d’affaires de chacun. La mode et le textile, particulièrement exposés à la critique quant à leurs externalités négatives, pourraient y contribuer, n‘est-il pas ?
Arnaud Poissonnier est un entrepreneur social Français reconnu, par ailleurs auteur et conférencier.
Il est le fondateur du site de Crowdfunding de microcrédit Babyloan.org. Spécialiste du financement participatif, de l’économie collaborative et de l’entreprenariat social, il est engagé depuis de longues années au service de la planète. Il est notamment à l’origine du dispositif de plaidoyer photographique REGARD, creuset du concept de Déponction.