Le Made in Portugal est-il éthique et responsable ?
Rédigé par Renaud Petit
Le 14 janv. 2022
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Qui tente de mettre un peu d’éthique dans son armoire ne peut pas passer à côté du “Made in Portugal”. En quelques années, le pays est devenu un véritable Eldorado pour les marques de mode éthique, grandes et petites. En tant que consommateurs et consommatrices, sait-on vraiment pourquoi la fabrication portugaise plaît tant aux marques qui se prétendent vertueuses ? Faut-il faire considérer la simple mention “Made in Portugal’ sur une étiquette comme un label de qualité et une marque de responsabilité ? Pour répondre à cette question et mieux analyser la situation, il convient d’abord de définir ce que l’on entend par “responsable”.
D’abord une marque de responsabilité sociale
Conditions de travail difficiles, rémunération quasi-inexistante, exposition à des produits toxiques… L’impact social de la mode est extrêmement lourd. Selon l’ADEME, les ouvrier·e·s du secteur au Bangladesh gagnent 0,32 $ par heure ce qui correspond au salaire le plus bas du monde. Au Pakistan, leur salaire est de 0,55 $, le 3e plus faible du monde. Ces deux pays représentent l’immense majorité des importations textiles de l’Europe.
Toutefois, il n’existe pas encore de label social qui garantit qu’un vêtement est fabriqué dans le respect des ouvriers. Les consommateur·ice·s n’ont donc, pour l’instant, pas beaucoup d’options pour s’assurer que leurs vêtements sont fabriqués par des personnes, rémunérées de manière décente et qui bénéficient de conditions de travail dignes.
La seule solution est de se diriger vers des pièces fabriquées dans des pays ou des régions du monde où le droit encadre les conditions de travail, comme en Union Européenne.
Le Made in Europe reste donc le meilleur choix pour une mode socialement éthique. “Les ateliers portugais sont très équipés et offrent des conditions de travail excellentes aux ouvriers et ouvrières, parfois équivalentes ou supérieures à celles qu’on trouve dans les pays voisins. Ça s’explique mathématiquement : quand une industrie va bien, elle a les moyens d’investir dans ses ateliers.” explique Jennifer Maumont, co-Fondatrice & PDG de la marque Jules & Jenn qui produit notamment ses chaussures au Portugal depuis 5 ans.
Un constat que nuance Nathalie Lebas-Vautier, entrepreneure engagée dans la mode durable depuis 20 ans et fondatrice de Good Fabric, qui accompagne notamment les entreprises de la mode dans leur stratégie RSE. D’après elle, il ne faut pas non plus fantasmer sur les conditions de travail au Portugal qui pourrait bien être victime de son succès : “Aujourd’hui, le Portugal est inondé de commandes et produit énormément. Il faut quand même souligner que les fabricants portugais font massivement appel à la sous-traitance. La confection est sous-traitée dans des plus petits ateliers : des garages aménagés en ateliers de couture, des ateliers à la maison, des ateliers déclarés mais moins structurés où les conditions de travail ne sont pas toujours optimales.”
Une main d’oeuvre accessible pour les entreprises, sans générer de misère
“Les salaires portugais sont évidemment moins importants que les salaires français mais le coût de la vie localement permet aux ouvriers et aux ouvrières de vivre dignement” assure Jennifer Maumont. Le salaire minimum portugais est aujourd’hui fixé à 740 € brut par mois et à d’ailleurs augmenté de 6 % en 2020 mais le coût de la vie y est, en janvier 2022, effectivement inférieur de 25 % à celui de la France. La situation financière des travailleurs et travailleuses du textile au Portugal est donc incomparable à celles de leurs homologues du sous-continent indien.
Le Portugal apparaît alors comme le Graal de la mode : un pays où la main-d’œuvre est qualifiée et abordable sans être misérable. Un constat que semblent confirmer les 20 ans d’expérience de Nathalie Lebas-Vautier : “Le Portugal reste compétitif en termes de prix et parvient à garder des productions très bien maîtrisées. Les Portugais et les Portugaises ont aussi une philosophie du travail très forte, une belle transmission des savoir-faire entre les générations. La qualité est donc de très bon niveau en général.”
Côté responsabilité environnementale, la réponse est plus complexe
L’industrie de la mode compte principalement sur le fret aérien pour le transport de ses marchandises, des pays du sud vers les pays du nord. L’ADEME alerte “Parce qu’il est le plus rapide, l’avion est souvent le moyen de transport le plus utilisé mais il est aussi émetteur de gaz à effet de serre, responsable du changement climatique” Toujours selon l’ADEME, la mode générerait 1,2 milliards de tonnes de gaz à effet de serre chaque année.
La fabrication européenne apparaît donc comme une solution évidente pour réduire l’impact carbone de nos vêtements. Logiquement, plus un produit est fabriqué localement, moins l’impact de son transport vers son lieu de consommation est élevé. On peut donc ajouter la Responsabilité environnementale aux atouts du Made in Portugal.
Néanmoins, l’industrie de la mode est ultra-mondialisée. La mention « Made in Portugal » ne garantit pas que les matières utilisées sont sources localement et que plusieurs éléments n’ont pas eu à traverser la moitié de la planète en libérant des kilos de CO2 sur leur passage pour atteindre une usine de fabrication portugaise.
Ainsi, y a-t-il vraiment une différence en matière d’émissions de CO2 liées au transport entre un vêtement fabriqué au Portugal à partir de coton indien et un vêtement fabriqué en Inde à partir de coton récolté sur place ?
Dans la mesure où le vêtement est bien consommé en Europe, oui. L’importance des émissions carbone d’un produit dépend avant tout de son poids et un vêtement fini pèse plus lourd que la matière première seule qui servira à sa production. Ainsi, on émet sensiblement moins de carbone en faisant venir du coton jusqu’au Portugal pour fabriquer un pull, qu’en faisant venir un pull déjà monté directement depuis le Bangladesh.
Un intérêt économique pour toute l’Union Européenne
Le coût de la main-d’œuvre rend compliquée l’émergence d’une production textile dans une grande partie de l’Europe. Le Portugal fait figure d’exception et parvient à faire émerger une nouvelle industrie sur le continent et de créer des emplois et de la valeur au sein de l’Union européenne. Une situation qui bénéficie à l’ensemble des citoyens et citoyennes de l’UE.
Le Portugal voit également naître une filière de grande qualité à mesure que l’industrie évolue et grandit. Peu à peu, la place qu’y tiennent les usines historiques de fast fashion (Inditex en tête) tend à se réduire tant les commandes de marques vertueuses et qualitatives affluent. Le pays accueille aujourd’hui des marques plus haut de gamme qui promettent de lui attirer la confiance de l’industrie dans son ensemble.
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