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La cellulite, une chimère marketing et un vain combat

Annoncée comme étant l’ennemi numéro un des femmes par les revues et les magazines qui leur sont dédiés, la cellulite est une légende sexiste inventée dans les années 1920. Bien que cette centenaire aigrie cherche – littéralement – à nous faire la peau, il est possible de refermer le livre et de le ranger à sa place : sur les étagères dédiées aux contes et aux légendes folkloriques. Retour sur la courte biographie de cet insupportable personnage.   

La cellulite, en pratique

De sa conception à nos jours 

L’invention de la dite cellulite est tristement située sur notre territoire, en France. On trouve en effet sa première mention en 1873, dans la douzième édition du Dictionnaire de médecine d’Émile Littré et de Charles Robin. Voici ce qui, à l’époque, est considéré comme de la cellulite : “nom donné par quelques auteurs à l’inflammation du tissu cellulaire ou lamineux”. Le concept balbutiant n’est pas encore teinté de croyances ou de morale, il fait simplement référence à un état inflammatoire des cellules humaines, ce qui est indiqué par le suffixe médical “-ite” (comme appendicite, gastrite, otite, bronchite, etc). 

La suite de l’histoire se situe au XXe siècle et plus exactement au début des années 1920, lorsqu’en 1923 une équipe de médecins français présente et publie à la Société de Médecine de Paris un Rapport sur la cellulite. L’un des membres de de ce groupe, le Docteur Louis Alquier, isole cette pathologie en 1924 : c’est la véritable naissance de la notion de capitons. Ne faisant plus partie de l’organisme, la cellulite est un corps étranger aussi appelé “infiltrat interstitiel”, qu’il convient de combattre sous peine d’affaiblir la paroi de nos vaisseaux sanguins. Le succès est retentissant, à la fin des années 20, la cellulite devient une maladie à la mode que les médecins se plaisent à soigner à travers divers traitements redoublant tous d’originalité. 

Mais si le corps médical ne parvient pas à s’accorder sur les causes et les traitements, une chose fait cependant l’unanimité : elle est un mal féminin, la nature supposée des femmes étant le fait d’être pénétrables, au sens propre comme au sens figuré. Notre sexe, envahit par le mal qu’il n’a pas su combattre, devient malsain, soumis aux contraintes, victime de son environnement. La morale imprègne l’appréciation de notre santé, le discours médical transforme alors une simple caractéristique sexuelle secondaire en véritable symptôme.

Dans les années 1930, les liens entre la médecine et la mode se resserrent. Certains spécialistes publient même leurs articles dans la presse féminine, popularisant encore un peu plus le concept médical. On recense sa première grande apparition en février 1933 dans la revue Votre Beauté.

Couverture de Votre Beauté, février 1933, n°276 (1)

 

Ce dernier va plus loin, et qualifie même la cellulite en 1935 de : “chair dégénérée, un mélange de matières plus voisines de l’urine que du sang ou de l’eau”. En 1937, c’est au tour du très célèbre Marie-Claire de traiter le problème au sein de son dixième numéro.

Couverture et pages 16 et 17 de Marie-Claire, 7 mai 1937, n°10 – Source : BNF

Cette mode, teintée de lipophobie, traverse l’Atlantique pour arriver aux États-Unis d’Amérique dans les années 1960, grâce ou à cause de l’installation d’un salon tenu par le Docteur Ronsard. 

Aujourd’hui, bien que la cellulite ne soit plus une pathologie, elle reste considérée comme un problème à combattre grâce à laquelle la presse, les parapharmacies et les salons de beauté font leur choux gras – en 2012, le marché lié à l’élimination de la cellulite représentait à lui seul, 16 milliards d’euros. Un marché fonctionnant uniquement sur la culpabilisation et la destruction de l’estime des femmes comme l’explique l’influenceuse Isabella Davis (@isabelladavis6) sur son compte Instagram : “À 16 ans, je frottais la cellulite qui recouvrait mes fesses jusqu’à ce que l’eau du bain en dessous de moi devienne rouge”. 

Penser la cellulite

Une critique misogyne de nos modes de vie modernes

Si les capitons sont partagés par la grande majorité des êtres humains de sexe féminin, tout état de santé, de morphologie ou d’âge confondus, pourquoi diantre avons-nous pu considérer la cellulite comme laide ce dernier siècle ? Comment les attentes sociales autour de nos corps de femmes ont pu s’accentuer pour devenir irréalistes au point de nous demander de sacrifier une de nos caractéristiques secondaires ? 

À cela plusieurs raisons. Une première piste réside dans le vocabulaire que nous employons en France, qui n’est pas assez riche et inclut sous un seul mot un état inflammatoire grave ET un caractère sexuel secondaire : la cellulite. Les mots ont un poids, une importance que l’on ne peut nier. En rangeant sous le même terme deux états très différents, les confusions et les quiproquos sont aisés et cela laisse rapidement penser que notre anatomie est constituée d’un processus proche de l’intoxication. Contrairement à l’anglais, qui lui distingue la cellulitis, une maladie infectieuse de l’hypoderme, de la cellulite, un dépôt de graisse sous cutané recensé chez les femmes sur certaines parties de leur corps.  

Seconde explication, liée, elle, au calendrier politique et économique. Effectivement, ce n’est pas une coïncidence si les capitons ont commencé à susciter l’intérêt des foules dans les années 1920, alors qu’avant, elle n’était ni vue, ni remarquée. Cette époque de l’entre-deux-guerres (1918-1939) est caractérisée par l’obtention de libertés économiques et sociales pour les femmes, qui ont brillamment supporté l’effort de guerre en gérant seules leur foyer.

Gagnant une indépendance économique grâce à un travail, les femmes actives voient les injonctions s’accentuer, comme pour leur rappeler que leur beauté n’est que leur seul véritable capital. La lutte contre la cellulite des femmes et donc de façon sous-jacente une lutte contre ce monde d’après, trop moderne. De nombreux médecins appuient d’ailleurs leur argumentaire sur les attitudes fatigantes du travail féminin et de la vie en ville contre nature.

Pour être moralement correcte si vous souhaitez travailler, il faudra désormais arborer un corps mince et travaillé, le contraire justifierait votre faiblesse d’esprit et de votre cruel manque d’auto-contrôle, vous seriez laide esthétiquement et moralement. Cette façon de réduire les femmes à leur enveloppe corporelle, affaiblit leur estime et donc leurs rêves d’indépendance. Il faut croire que la cellulite a été un rappel à l’ordre patriarcal afin de maintenir l’équilibre des rapports de force et du système de genre. Le travail est alors uniquement ouvert à celles qui sont assez mignonnes pour décorer le bureau de ces messieurs.  

Références

  1. Geers, Alexie. « Un magazine pour se faire belle. Votre Beauté et l’industrie cosmétique dans les années 1930 ». Clio. Femmes, Genre, Histoire, Belin, 2014, Objets et fabrication du genre, pp. 249-269.
  2. Ghigi, Rossella. « Le corps féminin entre science et culpabilisation. Autour d’une histoire de la cellulite », Travail, genre et sociétés, vol. 12, no. 2, 2004, pp. 55-75.
  3. Lemire, Catherine. (Réalisatrice). (3 Octobre 2012). « Il était une fois la cellulite : des capitons et des femmes ». [Émission de radio]. France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/au-fil-de-l-histoire/il-etait-une-fois-la-cellulite-des-capitons-et-des-femmes-6268800 
  4. Vigarello, Georges. (2004). « Histoire de la beauté. Le Corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours ». Paris, Éditions du Seuil. 

 

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Commentaires 1
  1. “les femmes actives voient les injonctions s’accentuer, comme pour leur rappeler que leur beauté n’est que leur seul véritable capital” et devienne également une nouvelle cible marketing, nouvelle potentielle acheteuse donc opportunité de trouver un domaine pas encore exploité qui leur sera uniquement dédié

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