Comment réduire l’exposition aux polluants dans les vêtements et les chaussures ?
Les vêtements et les chaussures peuvent être à l’origine d’allergies et d’irritations cutanées. Au regard des plaintes régulières des consommateur·ice·s, les autorités françaises ont demandé à l’agence sanitaire (Anses) de réaliser une expertise pour éclairer la situation et les enjeux. Dans cet article rédigé par un expert invité, Guillaume Karr, auteur du blog Santé des enfants et environnement*, nous vous proposons de parcourir les principaux résultats de cette expertise et quelques bonnes pratiques pour diminuer les expositions préoccupantes.
On retrouve des dizaines voire des centaines de substances chimiques dans les vêtements et chaussures que nous portons. – Site Internet de l’agence sanitaire française (Anses)
Les dermatologues reçoivent régulièrement des patients présentant un eczéma, voire une brûlure de la peau, après avoir porté des chaussures ou des vêtements. – Vigil’Anses n°16. Mars 2022
Cet article invité a été écrit par Guillaume du blog Santé des enfants et environnement*.
Polluants issus des vêtements et des chaussures : éléments de contexte
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a été saisie par les Ministères chargés de la Santé et de l’Economie, en réponse aux signalements réguliers de cas d’allergies et d’irritations cutanées liées à des vêtements ou des chaussures. L’objectif était notamment d’identifier la potentielle présence de substances irritantes ou sensibilisantes, d’évaluer les enjeux sanitaires associés, puis de faire des recommandations pour mieux maîtriser les risques.
Pourquoi est-ce que ces ministères ne font pas eux-mêmes leur propre expertise ? C’est parce qu’en France, suite à certaines crises sanitaires des années 90 (sang contaminé, vache folle…), l’évaluation et la gestion des risques ont été séparées. En d’autres termes, l’évaluation des risques doit se mener indépendamment des pouvoirs publics qui auront pour mission de maîtriser les risques évalués.
En particulier, cette séparation vise à protéger l’évaluation des risques de toute influence extérieure. Une des missions de l’Anses consiste donc à mettre en place des collectifs d’expert·e·s indépendant·e·s, répondant aux principes d’impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire. Et ainsi, ce dispositif a pour but d’obtenir l’expertise la plus robuste possible.

Expertise de l’Anses : les principales conclusions à retenir
Préoccupations justifiées
Pour celles et ceux qui souhaitent rentrer dans le détail de l’expertise réalisée, voici en référence les rapports et les avis de l’Anses associés [1–4]. Selon nous, voici les principales conclusions à retenir pour les consommateurs.
- L’expertise a « mis en évidence la présence d’une multitude de substances » dans les vêtements et les chaussures testés. Ces substances proviennent d’un ajout intentionnel ou de résidus involontaires issus des procédés de fabrication. Certaines de ces substances peuvent conduire à des allergies cutanées.
- En dehors de ce type d’études spécifiques, les données de composition disponibles s’avèrent limitées. Et c’est pourquoi, les experts de l’Anses « incitent les responsables de la mise sur le marché à mieux connaitre la composition exacte de leurs produits ». En complément, l’Anses appelle à une meilleure connaissance des conservateurs (biocides) utilisés pour le transport des articles.
- Les analyses réalisées ont permis d’identifier plusieurs articles non conformes à la réglementation sur les substances chimiques. Par exemple : un vêtement contenant de la benzidine. En ce sens, les experts de l’Anses « rappellent » aux pouvoirs publics « l’utilité des contrôles au niveau de la filière des textiles et des articles chaussants afin d’éviter la présence, sur le marché français, d’articles non conformes à la réglementation ».
- Les analyses réalisées ont aussi montré « d’importantes émissions de COV » (Composés Organiques Volatils). Néanmoins, les risques sanitaires correspondants n’ont pas fait l’objet d’un examen approfondi.
Insuffisances de la réglementation en vigueur
- Certains seuils réglementaires s’avèrent insuffisamment protecteurs. Par exemple : le seuil du chrome hexavalent dans les chaussures.
- Certaines substances ne correspondent à aucun seuil réglementaire pour certains types de matière, alors que des expositions peuvent être préoccupantes. Par exemple : le nickel dans les textiles d’habillement ou le drométrizole dans le cuir.
- Certaines des substances détectées, en plus de leur caractère sensibilisant ou irritant cutané, présentent un potentiel CMR (cancérogène, mutagène ou reprotoxique). Par exemple : le 4-aminoazobenzène.
- Aucune donnée toxicologique n’est disponible pour certains des colorants mesurés, ce qui ne permet pas d’obtenir une maîtrise des risques satisfaisante. Par exemple : les colorants CI Disperse Orange 37/76 et CI Disperse Yellow 23.
- La présence de certaines substances devrait faire l’objet de restrictions. Par exemple : cadmium, 2-Phénoxyéthanol, Aniline.

Polluants dans les vêtements et les chaussures : les suites à donner
L’Anses recommande aux responsables de la mise sur le marché de ces articles de « travailler à la mise en place d’un dispositif d’information (étiquetage, emballage) du consommateur en particulier les populations déjà sensibilisées, permettant de signaler la présence potentielle de [substances sensibilisantes] ».
Cette recommandation fait écho au marquage « [nano] », qui informe les consommateurs de la présence de nanoparticules dans certains produits, et qui d’ailleurs pourrait être aussi appliqué aux vêtements [5]. Et plus généralement, cette recommandation s’inscrit dans la logique soulignée par Edmond Rostand : « L’obligation d’endurer nous le donne le droit de savoir ».
Au regard de ces conclusions, la réglementation actuelle peut être considérée comme insuffisamment protectrice. La France et la Suède ont donc monté une demande de restriction dans le cadre de la réglementation européenne sur les produits chimiques. Cette demande porte sur « plus d’un millier de substances allergisantes cutanées présentes dans les vêtements et les chaussures ». En 2020, elle a reçu l’aval des comités d’experts de l’Agence Européenne des produits chimiques (ECHA). Pour le moment, à notre connaissance, la Commission Européenne n’a pas encore répondu à cette demande.

Quelques compléments pour nourrir les réflexions
Besoin d’agir au niveau individuel
Certain·e·s lecteur·ice·s, découvrant ces sujets, pourraient s’émouvoir à la lecture de conclusions aussi sévères. Malheureusement, en matière de santé environnementale des populations, les insuffisances de l’action des pouvoirs publics sont soulignées depuis de nombreuses années. Et ces critiques ne viennent pas uniquement du monde associatif. C’est par exemple le cas de plusieurs Inspections Générales [6–8], de missions parlementaires [9,10], du Conseil économique, social et environnemental (CESE) [11], de scientifiques de référence [12–16] du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) [17], ou encore de l’Agence Européenne de l’Environnement (AEE) [18].
Il ne s’agit pas ici de faire des procès d’intention. Il s’agit juste de constater que l’action des pouvoirs publics manque d’efficacité alors que les enjeux sanitaires sont forts. De plus, les lacunes identifiées sont nombreuses et parfois structurelles. Par conséquent, les pouvoirs publics ne pourront probablement pas corriger la situation à court terme. Donc comme le souligne Barbara Demeneix, spécialiste des perturbateurs endocriniens, « étant donné qu’à l’heure actuelle nous ne pouvons pas compter sur les réglementations, nous devons donc nous demander ce qu’il est possible de faire au niveau individuel » [19].
Bonnes pratiques de santé environnementale
Pour réduire les expositions préoccupantes, on peut s’appuyer sur des bonnes pratiques de santé environnementale reconnues. Par exemple :
- L’Anses recommande de laver tout vêtement pouvant entrer en contact avec la peau, avant la première utilisation et selon les recommandations du fabricant. Et pour prolonger cette recommandation, on peut considérer l’achat de vêtements de seconde main (donc lavés à de multiples reprises !).
- L’Anses mentionne plusieurs labels pouvant servir de « guides pour les consommateurs ». Par exemple : Label européen écologique, Œko-Tex, BlueSign. Dans cette approche, le recensement et l’analyse de labels faits par l’ADEME constituent un point de repère utile [20].
Pour aller plus loin, une approche complémentaire consiste à mieux connaître les fabricants et leurs pratiques. C’est notamment ici que le travail de The Good Goods rentre en jeu.
Les enfants, une population plus sensible
Pour un même niveau d’exposition, les dommages potentiels sont plus forts chez les populations sensibles comme les enfants. En effet, le développement de leur corps s’appuie sur des processus facilement perturbables, notamment au cours des « fenêtres de vulnérabilité ». Pendant ces périodes, l’exposition à des substances toxiques peut conduire à des dommages graves et pérennes [21,22]. Ces dommages peuvent concerner l’enfant et l’adulte qu’il deviendra. Les parents ont donc besoin de pouvoir assurer un haut niveau de protection contre les pollutions environnementales.
Et pour faire le lien avec le thème de l’article, ils peuvent notamment appliquer cette recommandation complémentaire de Santé publique France : « Pour les vêtements de bébé, on évite les imprimés et motifs en PVC », dont la toxicité et la stabilité font l’objet de préoccupations.
En parallèle, les enfants se montrent également sensibles aux environnements naturels de qualité. Ces environnements sont associés à de nombreux bienfaits pour leur santé, aussi bien physique que mentale [23]. Par exemple, pour les enfants, habiter à proximité d’un espace vert a été associé à un plus faible risque d’allergies, d’obésité et d’asthme [24].
Entourons nos enfants d’environnements favorisant la santé !
Si ce thème des environnements favorisant la santé vous intéresse, vous pouvez retrouver Guillaume sur le blog Santé des enfants et environnement où il partage des conseils et des astuces pour vous aider à entourer les enfants d’environnements plus sains, avec moins de pollutions et plus de nature. Vous pouvez également suivre son travail sous la forme de podcasts et de vidéos.
Références – polluants issus des vêtements et des chaussures
1. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Évaluation des effets sensibilisants ou irritants cutanés des substances chimiques présentes dans les articles chaussants et textiles d’habillement. 2018.
2. Anses. Avis de l’Anses relatif à la synthèse des deux phases de l’étude biomédicale relatives à la sécurité des articles chaussants et textiles d’habillement. 2021.
3. Anses. Vigil’Anses n°5. Dermatites de contact dues à des vêtements ou des chaussures : de nouvelles substances en cause. 2018.
4. Anses. Vigil’Anses n°16. Allergies cutanées : de nouvelles substances en cause dans les vêtements ou les chaussures. 2022.
5. Marano F. Faut-il avoir peur des nanos ? Buchet-Chastel, 2016.
6. Pipien G, Vindimian É. Évaluation du troisième plan national Santé-Environnement – Rapport n° 011997-01. Ministère en charge de l’environnement – Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), 2018.
7. Buguet-Degletagne B, . Evaluation du troisième plan national santé environnement et préparation de l’élaboration du plan suivant – rapport N°2017-176R. Inspection générale des affaires sociales (IGAS), 2018.
8. Carotti S, et al. La santé-environnement : recherche, expertise et décision publiques. Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Inspection générale des finances (IGF). Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGDD), 2020.
9. Toutut-Picard É, Josso S. Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale. 2020.
10. Commission des affaires sociales du Sénat, Jomier B, Lassarade F. Santé environnementale : une nouvelle ambition. Rapport sur les orientations et la gouvernance de la politique de santé environnementale. 2021.
11. Conseil économique, social et environnemental (CESE). Pour une politique publique nationale de sante environnement au coeur des territoires. 2021.
12. Gnansia E. Santé-environnement: avec le PNSE4, l’Etat «repart encore de zéro». Journal de l’Environnement, 2020.
13. Landrigan PJ, et al. The Lancet Commission on pollution and health. The Lancet 2018.
14. Persson L, et al. Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities. Environ. Sci. Technol. 2022.
15. Demeneix B, Slama R. Endocrine Disruptors: From Scientific Evidence to Human Health Protection. European Parliament Reports 2019.
16. Bonvallot N, et al. Pour une gestion alerte du risque chimique – Risques (éco)toxicologiques pour les êtres humains et l’environnement dans une logique de biodiversité. Expertise collective. Rapport final. 2021
17. Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Évaluation globale des Plans nationaux santé – environnement (2004-2019). 2022.
18. Harremoës P, et al. The precautionary principle in the 20th century: Late lessons from early warnings. European Environment Agency (EEA), 2013.
19. Demeneix B. Cocktail toxique. Odile Jacob, 2017.
20. Agence de la transition écologique (ADEME). Labels Environnementaux. Consommer responsable ! Oui, mais comment ? 2019.
21. Landrigan PJ, Etzel RA. Textbook of Children’s Environmental Health. Oxford University Press, 2014.
22. Balk SJ, Etzel RA. Protecting Your Child’s Health: Expert Answers to Urgent Environmental Questions. Am Acad Pediatrics, 2021.
23. Agence européenne de l’environnement (AEE). Healthy environment, healthy lives: how the environment influences health and well-being in Europe. 2020.
24. Dadvand P, et al. Green spaces and cognitive development in primary schoolchildren. Proceedings of the National Academy of Sciences 2015.
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