Comment communiquer efficacement sur son éco-responsabilité ? Entretien avec Solitaire Townsend

Solitaire Townsend est une fervente militante, une grande optimiste, ainsi que la cofondatrice de Futerra, agence fer de lance du marketing responsable. Son travail consiste en effet à faire preuve de créativité pour rendre la transition séduisante, inciter à la fois les consommateur·ices et les entreprises à évoluer. Solitaire est aussi autrice. Son dernier livre, The Solutionists, how businesses can fix the future, est sorti en 2023. Parmi ses idées les plus étonnantes, Solitaire affirme que les marques ne doivent pas chercher à communiquer sur la durabilité car ce serait un aller simple pour le greenwashing. Cet avis pour le moins tranchée nous a frappés. Que veut-elle dire ? Les marques de mode qui présentent fièrement leurs actions éco-responsables ont-elles tout faux depuis le début ? Nous lui avons donc demandé de développer son idée. Quels sont ses conseils pour les marques éco-responsables ? Que faut-il prendre en compte avant de communiquer sur ses efforts en matière de durabilité ?

Portrait de Solitaire Townsend.
Portrait de Solitaire Townsend. Crédits : Futerra

Comment les marques peuvent-elles communiquer leurs efforts en matière de durabilité tout en restant authentiques et honnêtes ?

Solitaire Townsend : Si vous voulez communiquer sur vos efforts ou sur vos réalisations en matière de durabilité, demandez-vous pourquoi vous le faites ? Le faites-vous pour encourager davantage de consommateur·ices à acheter chez vous ? Pour aider vos équipes à comprendre et à se sentir plus connectés à vos valeurs ? Parce que c’est un problème qui vous tient à cœur ? Ou voulez-vous communiquer à ce sujet parce que vous y avez investi beaucoup d’efforts et d’argent ? Et parce que tous vos concurrents le font ?
Les premiers objectifs que je cite sont très clairs et ils fonctionnent, et il existe des moyens de communiquer de manière authentique pour les atteindre. Les deux derniers objectifs, par contre, sont les principales raisons pour lesquelles beaucoup de campagnes sur la durabilité tournent mal dans la mode. Ces objectifs ne sont pas de bons objectifs pour communiquer sur vos actions en matière de durabilité. C’est le marketing de l’égo contre le marketing de l’éco.

Mais si vous dirigez une marque qui fait effectivement de bonnes choses pour protéger l’environnement, pourquoi ne pas simplement le faire savoir ?

Beaucoup de choses que fait une entreprise ne sont pas communiquées ! Vous ne communiquez pas sur vos processus RH. Vous ne communiquez pas sur vos pratiques comptables. Vous les faites parce qu’ils font partie de la bonne gouvernance de l’entreprise, pas pour la gloire. C’est pareil pour la durabilité ! Beaucoup d’actions en matière de durabilité relèvent de la bonne gestion, tout simplement. Ce sont des choses que nous devons faire, et c’est de plus en plus vrai à mesure que de nouvelles lois sont adoptées. Si votre entreprise interdit par exemple les plastiques à usage unique, ce n’est pas une grande réalisation. Vous deviez le faire de toute façon pour vous conformer à la législation. Beaucoup de gens parlent de durabilité comme quelque chose qu’ils ont choisie alors qu’en réalité, c’est souvent quelque chose qu’ils ont dû faire. Et si votre marque évolue dans le bon sens en matière de durabilité, tant mieux pour vous !

“Vous ne communiquez pas sur vos pratiques comptables. Vous les faites parce qu’ils font partie de la bonne gouvernance de l’entreprise, pas pour la gloire. C’est pareil pour la durabilité !”

Alors, quelle est la bonne question à se poser en tant qu’entreprise pour savoir si vous communiquez pour de bonnes ou de mauvaises raisons ? 

Demandez-vous ce que les consommateur·ices ont à gagner là-dedans. Si vous réalisez des actions positives en matière d’éco-responsabilité afin d’être plus compétitif et de gagner plus de consommateur·ices, vous devriez pouvoir savoir ce que ça leur apporte, et c’est ça qu’ils et elles veulent savoir. Rien d’autre. Évitez à tout prix les campagnes marketing qui ne parlent que de vous-mêmes. Parlons plutôt des consommateur·ices, de ce que nos produits vont leur faire ressentir, de la façon dont ils vont les faire paraître… Parlez de vos consommateur·ices pour parler de ce qui les intéresse. Si vous produisez des vêtements en matières durables, du chanvre par exemple, demandez vous pourquoi c’est mieux pour les consommateur·ices, et non pour vous-même. Est-ce que le chanvre est plus confortable ? Est-ce qu’il dure plus longtemps ? Est-ce qu’il a des qualités esthétiques ? Est-ce qu’il permet de créer des designs, des formes intéressantes ? Montrez en quoi les pratiques éco-responsables dans la mode permettent de créer une mode spéciale et créative !
On peut s’inspirer de ce qui s’est fait dans l’alimentation. Les marques de produits vegans ont bien saisi l’idée. Elles ont attiré des consommateur·ices en montrant que les substituts vegans ouvraient des portes en matière de cuisine créative, qu’ils offraient aux consommateur·ices des goûts, des textures et des expériences qu’ils n’avaient jamais eus auparavant. C’est ce que je veux voir dans la mode.

Les consommateur·ices sont forcément insensibles aux bonnes actions générales qui n’améliorent pas directement les performances des produits à l’usage ?

Le problème n’est pas que les marques ne savent pas monter une campagne de communication, mais qu’elles ont de mauvais objectifs. Elles veulent obtenir du crédit mais personne n’applaudit les entreprises pour ce qu’elles font bien, car ça devrait être normal. Si vous dites aux consommateur·ices que vous avez dépensé 50 000 € dans des actions écoresponsables, ils vous demanderont pourquoi vous n’avez pas mis 100 000 €. Si vous dites que vous avez réduit votre empreinte carbone de 50 %, il vous demandera pourquoi ce n’était pas de 70 %. Cette stratégie ne paie jamais.

“Si vous produisez des vêtements en matières durables, demandez vous pourquoi c’est mieux pour les consommateur·ices, et non pour vous-même.”

Le discours doit-il être moins technique, se concentrer uniquement sur l’explication des caractéristiques réelles des produits et oublier simplement l’initiative durable qui se cache derrière ?

Souvent, une initiative en matière de durabilité rendra un produit de meilleure qualité, plus beau, etc. Si c’est le cas, la marque doit vendre ces avantages. Elle n’a pas besoin de raconter tout le reste aux gens. Surtout, son propos ne doit pas être trop vague. L’important, c’est bien que la personne qui agit positivement vis à vis de l’environnement, c’est le consommateur en achetant le produits, pas la marque elle-même. Il y a une différence entre le fait de dire “Nous avons utilisé 45 % moins d’eau dans notre processus de fabrication par rapport à la moyenne” et dire “chaque consommateur économise deux litres d’eau en achetant ce produit”. Se concentrer sur l’impact des consommateur·ices est toujours plus efficace dans une campagne.

Quels sont les pièges courants dans la communication sur la durabilité qui mènent au greenwashing ?

Il y a 2 formes de greenwashing. Une qui repose sur une définition légale, et puis une autre qui varie selon la perception des consommateur·ices. Même si votre campagne est légalement considérée comme ne relevant pas du greenwashing, votre consommateur peut quand même le penser s’il trouve que vous avez l’air de vous vanter. Même si les mots ne sont pas du greenwashing, le ton peut l’être.

Pensez-vous que les entreprises de mode bénéficient d’opportunités spéciales pour communiquer sur la durabilité ? 

Ce qui est spécial avec l’industrie de la mode, c’est qu’elle cherche bien sûr à vendre des produits, mais pas que. Elle cherche aussi à raconter des histoires, à célébrer la beauté. La mode a plus de raisons de tendre vers la durabilité que d’autres industries qui sont peut-être un peu plus froides ou qui ne sont pas basées sur la créativité. La pollution, ce n’est pas beau. Le changement climatique, ce n’est pas beau. Ce ne sont pas des choses qu’on veut voir dans le monde. Les designers peuvent s’inspirer d’un monde durable et plus propre. Ça me passionne toujours lorsque je vois de nouveaux designers s’amuser avec des modes de conception plus durables comme l’upcycling, s’en servir pour imaginer des choses originales. C’est là que se trouve l’avenir.

Voulez-vous dire que vous ne croyez pas vraiment en la mode minimaliste, épurée et ultra-slow comme alternative à la mode renouvelée, qui génère plus de production et de déchets ?

Je comprends les marques qui préfèrent vendre un t-shirt blanc tout simple bien taillé, en pensant que cela gardera les consommateur·ices d’acheter d’autres produits encore et encore. Mais bon, au fond, ce n’est pas très joli ni très amusant. Bien sûr, s’il y a un marché pour cela, c’est génial, mais je doute que ce soit un marché particulièrement axé sur la mode en tant que concept. Quand je pense à la mode, je pense à quelque chose de fun, à la nouveauté, je pense à la beauté, à la créativité, à l’art.
Néanmoins, le fait que les gens veulent être stylés, à la mode, ce n’est pas vraiment le plus gros des problèmes. Le vrai problème, c’est qu’énormément de vêtements fabriqués ne sont même pas achetés. Je suis beaucoup plus préoccupée par un t-shirt à 2 € qui ne se vend même pas que par un t-shirt bien pensé vendu à 100 €, qu’il soit original ou pas. Des tonnes de vêtements vont directement du fabricant au détaillant pour être ensuite jetés. C’est ça notre plus gros problème.

Ce qui est également spécial chez Futerra, c’est qu’elle produit beaucoup de connaissances, d’analyses, de documents en open source. Récemment, l’agence a mis en ligne un guide dédié à la transparence : The Honest Product Guide. L’objectif : rétablir la confiance entre les entreprises et les consommateur·ices par un dialogue honnête. Un travail basé sur des entretiens et des analyses de marchés réalisées dans 7 pays différents. L’étude a également passé à la loupe 70 entreprises à travers le monde.

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