[PORTRAIT CEO] Marcel Nakam, entre héritage, croissance et expansion, la nouvelle ère de Jonak

Entreprise familiale née à Paris en 1964, Jonak a été reprise en 2013 par la fratrie Marcel et Lisa Nakam. Héritiers d’une marque façonnée par leurs grands-parents puis leur père, ils ont choisi de préserver l’esprit d’origine – « prix juste », artisanat – tout en l’adaptant à un marché en mutation. Modernisation, croissance, production européenne, RSE… : pour notre série de portraits, Marcel Nakam revient sur cette transformation et sur la manière de faire évoluer une marque sans en trahir son ADN.

Pourquoi avoir choisi de reprendre l’entreprise familiale et comment s’est organisée la transition avec votre père ?

Rejoindre Jonak a toujours été un projet partagé avec ma sœur Lisa : notre père nous a transmis très tôt sa passion. Mais avant de reprendre les rênes, il était essentiel de se former ailleurs. J’ai travaillé en banque d’investissement puis au sein du groupe Beaumanoir, où j’ai beaucoup appris en logistique, technologies de l’information (IT), fonctions support et produit. Lisa a suivi un parcours similaire, entre L’Oréal, Interparfums et Beaumanoir, elle aussi.

Vous avez pris la tête de Jonak en 2013. Pourquoi à ce moment-là et quelle était la priorité ?

2013 coïncidait avec l’essor du « luxe abordable » dans le prêt-à-porter, mais aucun acteur de la chaussure ne s’était encore positionné sur ce segment : c’était le moment d’accélérer et de transformer l’entreprise.

« Notre père était réticent au digital : jusqu’en 2013, tout était manuel, sans e-commerce ni réseaux sociaux », Marcel Nakam, directeur général de Jonak

Les premières années ont été consacrées au passage de relais entre la deuxième et la troisième génération. Notre père était réticent au digital : tout était manuel, sans e-commerce ni réseaux sociaux. La priorité a donc été la numérisation. Pendant cinq ans, nous n’avons presque pas ouvert de boutiques : le chiffre d’affaires est pourtant passé de 22 à 28 millions d’euros. À partir de 2018-2019, cette transformation nous a permis d’accélérer, et le chiffre d’affaires a été multiplié par quatre depuis.

Qu’est-ce qui distingue la marque sur le marché de la chaussure en France ?

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« 86 % de notre production est fabriquée au Portugal, 10% en Europe et 4% en Inde pour des modèles spécifiques », Marcel Nakam, directeur général de Jonak

L’ADN de Jonak repose sur des valeurs que notre père a toujours défendues : un juste prix, des marges raisonnables, l’absence de surenchère marketing et une production éthique. Dans les années 1990, il avait déjà fait le choix de maintenir la fabrication en Europe plutôt que de délocaliser en Asie.

Lorsque nous sommes arrivés, environ 70 % de la production relevaient de créations et 30 % de picking (achats de produits finis). Aujourd’hui, 100 % des modèles sont dessinés en interne et 86 % sont fabriqués au Portugal. Le reste est produit en Europe (Espagne, Italie, Roumanie) à l’exception d’un fournisseur en Inde pour quelques modèles très artisanaux, comme les sandales perlées.

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©Jonak

Quels sont les avantages concrets d’une production européenne et comment ce choix influe-t-il sur votre manière de travailler ?

Produire en Europe coûte plus cher à la pièce qu’en Asie, mais si l’on ajoute les coûts indirects – transport, délais rallongés, risques géopolitiques, manque de transparence – ce choix est cohérent ; la pandémie a même montré qu’il était plus sûr.

« Jonak est une marque française qui s’exporte, pas qui délocalise », Marcel Nakam, directeur général de Jonak

La proximité avec les usines façonne aussi notre organisation : petites quantités au lancement, réassorts rapides, peu de démarques. Un nouveau design représente 200 à 500 paires maximum, alors qu’un succès peut monter à 5 000-10 000 paires. Nous pouvons réassortir en quinze jours et développer un nouveau produit en six semaines. Résultat : moins de 10 % de résiduels, peu de surstockage et une démarque moyenne de 6 %.

Vous revendiquez une approche éthique, mais Jonak est rarement citée parmi les marques responsables. Comment l’expliquez-vous ?

Pendant longtemps, la priorité a été d’organiser l’entreprise, de la moderniser et de croître. Nous avons toujours eu des engagements RSE, mais nous ne savions pas les rendre visibles. Ce n’était pas une volonté de rester discrets : nous souhaitons aujourd’hui que cette dimension soit mieux connue. La communication sur ces sujets fait désormais partie de nos priorités pour 2026.

Vous vendez plus d’un million de paires par an. Comment garantir que la croissance n’entame pas la qualité ?

La qualité est ma première préoccupation ; c’est même une obsession quotidienne. Un taux de défectueux de 1 % peut paraître faible, mais à notre échelle cela représente 10 000 clientes insatisfaites. Je les vois passer et, pour moi, c’est un crève-cœur.

Pour éviter que la qualité ne se dégrade avec le volume, nous renforçons la coordination entre le studio, la direction produit et la direction RSE pour un suivi précis des prototypes, des matériaux, des finitions. L’objectif : une meilleure tenue dans le temps, moins de défauts et un produit durable à l’usage, car c’est là que se joue notre crédibilité.

Cette “durabilité d’usage” explique-t-elle le développement de votre service de réparation ?

Tout à fait. Une paire à 150 euros est faite pour être portée tous les jours : si elle n’est ni entretenue ni réparée, elle ne dure pas, même si elle est bien fabriquée. La réparation permet de prolonger la durée de vie plutôt que d’encourager l’achat d’une nouvelle paire. Le service – proposé aujourd’hui en boutiques à Paris – fonctionne très bien et nous avons l’intention d’y investir davantage.

Comment concilier production européenne, ambitions RSE et expansion internationale, que vous souhaitez accélérer ?

L’objectif n’est pas d’internationaliser la production mais la marque. Nos priorités pour les trois prochaines années restent européennes : Royaume-Uni, Espagne et Benelux, ce qui reste cohérent avec une fabrication sur le continent.

L’Asie existe dans notre développement, avec Hong Kong, mais cela représente une part infime. Jonak est une marque française qui s’exporte, pas une marque qui délocalise. Si un jour nous devions produire localement ailleurs, ce ne serait jamais pour réduire les coûts, mais uniquement si nous étions capables d’y garantir exactement le même niveau de traçabilité et de qualité.

Dans dix ans, à quoi ressemblera Jonak ?

À une marque internationale qui incarne un savoir-faire européen en matière de production et un savoir-faire français en matière de design, toujours au prix juste.

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