Tout comprendre sur les perturbateurs endocriniens et comment les éviter
Nous sommes constamment exposé·e·s aux perturbateurs endocriniens. Pourtant, nous ne connaissons pas tout à fait les conséquences d’une telle exposition. Afin de nous éclairer, nous avons posé nos questions au Docteure Mélanie Popoff, médecin spécialisée en santé environnementale et co-fondatrice d’Alliance Santé Planétaire [1], que nous avions interviewée au sujet de l’impact de la pollution sur la reproduction [2].
Le fonctionnement des perturbateurs endocriniens et l’apparition de la dénomination
Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien [3] ?
Un perturbateur endocrinien est une substance qui perturbe le fonctionnement du système hormonal (ou endocrinien, les deux termes sont synonymes).
Comment agissent-ils [4] ?
Le système hormonal ou endocrinien est un réseau de communication entre différents organes, dont les hormones sont les messagères qui transmettent les informations. Ces hormones sont produites par les glandes et voyagent à travers le corps via la circulation sanguine. Tout cela se fait sous le contrôle d’une cheffe d’orchestre située dans le cerveau, la glande hypothalamo-hypophysaire. Appartiennent par exemple au système hormonal : la thyroïde, les ovaires et les testicules, le pancréas, ou encore les surrénales.
Les perturbateurs endocriniens pénètrent dans l’organisme par contact cutané (la peau), par la respiration ou l’ingestion. Le problème c’est qu’ils ressemblent fortement à des hormones et vont donner des mauvaises informations aux organes, soit en mimant, d’une manière inappropriée, le message d’une hormone, soit en empêchant le trajet de l’hormone jusqu’à l’organe soit en faisant obstacle lors de la fixation de l’hormone sur l’organe.
Quand la notion de perturbateurs endocriniens est-elle apparue ?
On a commencé à soupçonner les produits chimiques d’avoir un impact délétère sur la santé et le système hormonal dès les années 1960 (grâce aux travaux de Rachel Carson). Le terme “perturbateur endocrinien” a été accepté par la communauté scientifique en 1991, après l’Appel de Wingspread qui a suivi la Conférence de Wingspread aux États-Unis, organisée par Theodora Colborn, zoologue et biologiste américaine. Elle y avait réuni des spécialistes avec qui elle avait collaboré lors de ses travaux portant sur l’impact de la pollution sur la faune, mais aussi sur la santé humaine. C’est cet appel qui a diffusé au-delà du monde scientifique la notion que l’exposition des femmes enceintes aux produits chimiques est dangereuse pour le fœtus.
© Time Couverture du 4 Octobre 2010
L’omniprésence des perturbateurs endocriniens
Où se trouvent les perturbateurs endocriniens ? Existe-t-il des moyens de diminuer leur présence autour de nous, réglementaires par exemple ?
C’est bien là le problème. Nous sommes tous et toutes exposé·e·s aux perturbateurs endocriniens en permanence, car ils se trouvent dans nos produits du quotidien (cosmétiques, gel douche, dentifrices, produits ménagers, contenants alimentaires, poêles anti-adhésives, bougies d’intérieur, plastiques, détergents, colles, peintures, jouets, biberons, meubles, canapés, vêtements), nos aliments (dans l’eau, les poissons ou les légumes, sous forme de résidus de pesticides ou de métaux lourds), dans l’air qu’on respire (rejet des pots d’échappements, combustion, rejets des sites industriels, pesticides, tabagisme actif ou passif). Certaines professions sont particulièrement exposées : les métiers du nettoyage, l’agriculture et la viticulture, les personnes qui travaillent dans la fabrication de plastiques, d’emballages, les métiers de la cosmétique et de la coiffure…
Les études d’imprégnation menées en France par Santé Publique France témoignent de l’omniprésence des substances chimiques dans les organismes, dont certaines sont des perturbateurs endocriniens ou même des substances cancérogènes. Par exemple, l’étude ELFE [5] a révélé la présence de phtalates chez 99 % des femmes enceintes testées. L’étude ESTEBAN [6], quant à elle, mesure régulièrement les taux de pesticides et d’autres substances (PCB, dioxines, furanes) chez un large échantillon de la population (adultes et enfants) ; les derniers résultats montraient que la moitié de la population était imprégnée en Lindane, insecticide utilisé en agriculture jusqu’à son interdiction en … 1998 ! Cela montre que certaines substances peuvent rester présentes très longtemps dans l’environnement. On parle de polluants organiques persistants ou POP, comme la chlordécone, un pesticide longtemps utilisé en Guadeloupe et en Martinique pour lutter contre le charançon de la banane, et qui a contaminé une grande partie des sols et des eaux souterraines. On parle même dans certains cas de polluants éternels, et les plus célèbres sont les composés perfluorés, que l’on retrouve entre autre dans les poêles anti-adhésives (voir le film Dark Waters réalisé par Todd Haynes en 2020 [7]).
Pour mieux comprendre, on peut classer les perturbateurs endocriniens de différentes manières :
- Selon s’ils sont des substances naturelles (comme les métaux lourds ou les phytoestrogènes) ou de synthèse (comme les plastiques).
- Perturbateurs endocriniens avérés, suspectés ou présumés : classement effectué par l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en fonction du niveau de preuve scientifique de leur dangerosité. Par exemple, le Bisphénol A a été interdit en 2011 dans les contenants alimentaires après avoir été classifié PE avéré par l’ANSES.
- En POP ou non POP.
- Et enfin par famille chimique : parabènes, phtalates, bisphénols, dioxines, formaldéhyde, médicaments, pesticides, métaux lourds, parabènes, PCB, perfluorés…
Malheureusement, la réglementation européenne (appelée REACH) ne permet pas d’interdire une famille de molécule Les molécules doivent être répertoriées une par une, et celles suspectées dangereuses pour la santé sont soumises à une procédure d’autorisation. Cela rend les évaluations et les restrictions d’utilisation très longues. À ce jour, on compte plus de 200 000 substances chimiques, et seules 15 ont été interdites depuis la création de REACH en 2008 ! Ainsi, le Bisphénol A, désormais interdit dans les biberons et les tickets de caisse, a été substitué par… le Bisphénol S !
En France, dans l’optique de réduire l’exposition de la population et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens, une Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE) [8] a été lancée en 2014. Elle vise à favoriser la recherche dans le champ des connaissances sur les perturbateurs endocriniens, à former davantage les professionnel.les de santé sur ce sujet, à développer des actions de prévention auprès des populations les plus vulnérables, en particulier les femmes enceintes, les couples en âge de procréer, et les jeunes enfants. L’organisme Santé Publique France a développé un site [9] à destination du grand public pour mieux s’informer et réduire son exposition.
Les perturbateurs endocriniens, sont-ils directement responsables de certaines maladies ?
C’est bien là le problème. Il est difficile de faire un lien direct entre l’exposition à une molécule et la survenue d’une maladie. En effet, la maladie peut survenir des années plus tard, parce qu’on est en permanence dans un bain (ou cocktail) de dizaines de produits chimiques, et parce que l’effet sur nos organismes est différent en fonction de notre âge !
Je m’explique : on a vu que les perturbateurs endocriniens vont “hacker” notre système hormonal. Or, il y a un moment en particulier où les hormones sont primordiales dans nos vies, c’est lorsque nos organes se forment, au tout début de notre vie foetale. Le cerveau, par exemple, se développe à partir de la 5ème semaine, et les hormones thyroïdiennes sont très importantes pour sa formation. Les glandes sexuelles, elles, commencent à se former entre la 7ème et la 8ème semaine sous l’effet d’autres hormones. Ainsi, un hacking en plein milieu de la formation de nos organes peut contribuer à certaines malformations ou maladies après notre naissance. On suspecte par exemple les perturbateurs endocriniens de participer à la survenue d’endométriose, de malformation des organes génitaux masculins, de troubles de la reproduction, mais aussi de troubles du développement neurologique (dont les troubles du spectre autistique), ou encore d’obésité ou de diabète.
Il y a aussi autre chose qui peut se passer pendant notre vie de foetus. Il existe un phénomène qu’on appelle épigénétique, qui est la possibilité d’activer ou d’éteindre l’activité d’un gène, c’est-à-dire que l’ADN va s’exprimer où pas, sous l’effet de l’exposition à des molécules (c’est ce qui fait que les jumeaux peuvent avoir le même ADN mais avoir des maladies différentes). Et des polluants comme les perturbateurs endocriniens peuvent créer une “programmation épigénétique” d’une maladie, qui pourra se déclarer des années plus tard, et même se transmettre à nos enfants ! C’est le cas par exemple des cancers survenus chez les petites filles après que leurs mères ont été exposées à un médicament pendant leur grossesse, le Distilbène. Les petites-filles développent aussi des cancers alors que c’est leur grand-mère qui a été exposée !
Tous ces mécanismes d’action font que les études “classiques” (1 molécule = 1 maladie) sont difficiles à mener. Alors la communauté scientifique se base aujourd’hui sur un faisceau d’arguments pour lancer l’alerte sur les perturbateurs endocriniens, et qu’on les identifie comme réel facteur de risque de cancers et de maladies, au même titre que le tabac ou l’alcool. Le principe de précaution est aussi souvent invoqué pour faire avancer la réglementation européenne sur les perturbateurs endocriniens. C’est très important de faire bouger les lois, car même si on peut réduire son exposition par des mesures individuelles (voir le site de Santé Publique France [9]), c’est tout l’environnement qui est désormais contaminé.
Quelques exemples d’actions simples pour réduire son exposition :
Quelques mesures qui me paraissent primordiales, en particulier dans la période de conception et de petite enfance : bien aérer son logement (l’air intérieur est plus pollué que l’air extérieur), ne pas faire chauffer des contenants alimentaires en plastique, limiter au maximum la consommation de poisson gras comme le saumon ou le thon, laisser tomber les produits de nettoyage colorés et les bougies parfumées (le propre n’a pas d’odeur, tout peut se faire avec vinaigre blanc et bicarbonate), limiter au maximum les cosmétiques (saviez-vous qu’une femme mange en moyenne 2 kg de rouge à lèvre dans sa vie ? Et qu’ils contiennent une bonne dose de métaux lourds), bien laver et éplucher les fruits et légumes, et les consommer biologiques dans la mesure du possible (mais l’offre reste chère).
Bien s’informer, discuter avec son entourage, avec les professionnelles de la petite enfance, rejoindre des associations, faire pression sur les élu·e·s de son territoire… Tout cela peut contribuer à diminuer le risque de maladies, pour nous, pour nos amis non-humains et pour les générations futures !
Il est possible de réduire son exposition aux perturbateurs endocriniens, dans cet article, Docteure Mélanie Popoff nous a partagé de nombreuses solutions et des ressources afin de s’informer.
Les pages LinkedIn et Instagram d’Alliance Santé Planétaire, co-fondée par le Docteure Mélanie Popoff que vous pouvez retrouver sur LinkedIn.
Références
[1] La santé humaine ne s’envisage pas sans respect des limites planétaires.
[2] Les conséquences graves de la pollution sur la reproduction humaine.
[3] Endocrine Disrupting Chemicals: Summary for Decision-Makers, World Health Organization, 2012. URL : https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/78102/WHO_HSE_PHE_IHE_2013.1_eng.pdf. La définition française est retranscrite sur la page dédiée à la Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens, site du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, 2021. URL : https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-sur-perturbateurs-endocriniens.
[4] Deux vidéos pour comprendre les perturbateurs endocriniens en images :
- « Comment fonctionnent les perturbateurs endocriniens ? » [2 : 24 min], Le monde. URL : https://www.youtube.com/watch?v=esSfDjp1jkg.
- « C’est quoi un perturbateur endocrinien ? » [2 : 25], Brut. URL : https://www.youtube.com/watch?v=ypc_FOApBPM.
[5] Imprégnation des femmes enceintes par les polluants de l’environnement.
[6] Exposition aux pesticides de la population française : résultats de l’étude ESTEBAN.
[7] Les perfluorés, des polluants “éternels” et omniprésents, Libération.
[8] Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens, site du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, 2021. URL : https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-sur-perturbateurs-endocriniens.
[9] 1000 premiers jours.
Ça peut aussi vous intéresser
Espace commentaire
(0)