#SmartInfluence Aurane Kree, éco-féministe hypersensible
Rédigé par Victoire Satto
Le 05 févr. 2021
Minutesde lecture
#SmartInfluence est une série d’interview-portraits dédiée à la nouvelle génération de personnalité d’influence. Des femmes et des hommes aux engagements variés tels que l’écologie, la condition féminine, la voix de minorités, la revendication d’égalités sociales. Nous avons eu la chance de faire d’Aurane Kree, éco-féministe hypersensible, notre première invitée.
Aurane Kree perçue par The Good Goods (et pourquoi on l’adore)
Des messages puissants dans un écrin de douceur. Vous ressentez la crise écologique dans la chair ? Vous êtes tellement habitué·es à la misogynie ordinaire que vous ne savez pas la reconnaître ni comment vous insurger ? Vous aimeriez que les émotions soient célébrées plus que sujettes à la honte ? Bienvenue sur le compte Instagram d’une être humaine qui partage des mots comme on tend la main vers l’autre. “L’indifférence est has been, l’empathie is the new cool”. Aurane Kree a 28 ans. Elle a fait de son compte Instagram un espace de partage sur lequel elle écrit tout ce qui lui tient à cœur. Réflexions, prises de conscience, valeurs. L’éthique et l’écologie sont au centre de ses préoccupations. A travers ses messages, elles porte une multitude de luttes intersectionnelles : justice sociale féministe ou raciale, respect du vivant dans sa grande largeur, compréhension et soin de soi pour mieux aller vers l’Autre. Elle a fait de son mantra sa voie professionnelle : “Vivre, c’est contribuer”. Dans le cadre de notre série #SmartInfluence, on l’a rencontré pour parler d’elle et de son métier, encore peu reconnu, d’influenceuse engagée.
L’interview d’Aurane Kree
Une vie en décalage
Je m’appelle Aurane Kree, j’ai 28 ans et je suis hypersensible.
Mon hypersensibilité joue un grand rôle dans ma volonté de participer aux changements positifs de ce monde. Depuis toujours, elle me rend vivement concernée et touchée par les problématiques humaines, animales et écologiques. J’aspire à aider les gens, ce qui a pris plusieurs formes au cours de ma vie. Je me sens profondément en connexion avec le monde, l’empathie me pousse à agir et à m’exprimer pour contribuer à ma façon. Je n’ai jamais été “conforme”, au sens où la société l’entend. J’étais en perpétuel décalage scolaire et professionnel, j’avais peu d’amies. Mon parcours a été ponctué de pas mal d’épreuves, familiales et relationnelles, qui m’ont donné une inclinaison particulière pour les valeurs du cœur car c’était ce à quoi je pouvais toujours me raccrocher.
La bonté n’est pas fréquente dans notre système.
Une vie professionnelle inadaptée puis sur mesure
J’ai fait plusieurs métiers qui ne me correspondaient pas du tout. La pression sociale me poussait à “trouver ma voie”. Je devais essayer… Restauration, hôtellerie, esthétique, langues, droit. J’abordais tous les sujets avec curiosité mais pas durablement
Le fil rouge ? J’ai toujours écrit, voulu écrire et aider les Autres. Une intuition d’avoir à partager mes ressentis sur les réseaux. Un jour, j’ai publié une vidéo intitulée “Oser sa différence, assumer être soi”. En quelques heures, elle a été vue 20k fois, ce qui en 2014 sur Facebook était énorme ! Je m’exprimais face caméra, sans montage, sans scénario, expliquant que, quand on ne correspond pas aux normes, il est important de prendre la place qui est la nôtre et l’occuper telle que l’on est. Une communauté a commencé à se créer autour de moi. Ma vie était compliquée à cette époque, entre une relation avec un homme toxique, une exploration un peu extrême de la spiritualité, et une maladie d’Epstein Barr (mononucléose) dans sa forme la plus cognée qui m’a laissé KO pendant 2 ans.
Je me suis alors recentrée sur ce qui comptait pour moi : créer et partager.
Partager du contenu, c’est apprendre d’Autrui
En tant que créatrice de contenus, j’échange avec ma communauté, je suis consciente des attentes des gens, ce qu’ils reprochent au marketing. Mon rôle est d’essayer de les comprendre et de transmettre ces informations aux marques pour les aider à évoluer, comme par exemple être plus inclusives sur les morphologies, représenter davantage les personnes racisées.
On gagnerait tou·tes à recréer du lien, humaniser les marques qui prennent conscience des attentes d’Autrui. J’ai commencé par l’écologie, les petits gestes, puis mon compte a évolué vers des combats militants intersectionnels. Il parle de sujets de société, c’est exactement ce qui me correspond.
Mon organisation au quotidien
Sur mon compte, on trouve deux types de contenus :
- Les longs posts rédactionnels : ils transmettent mes inspirations du moment, mon cheminement personnel, mes recherches ;
- Les posts concrets : au sujet d’un thème ciblé comme la beauté naturelle, la mode éthique, la consommation.
C’est une ligne directrice à laquelle je ne déroge pas. Pour autant, il m’est impossible d’avoir un planning d’un mois à l’avance. Je tiens à rester libre dans l’élaboration de mes contenus, spontanée. J’essaie au maximum de cadrer mes plages horaires, entre la rédaction, la veille, les shootings et … l’administratif !
Je prends l’inspiration au moment où elle se présente, et elle se présente souvent !
Ma relation aux marques
Je suis démarchée par des marques, mes conditions de partenariat sont claires : j’ai besoin de tester un produit avant d’en parler et le fait que je le reçoive ne garantit en rien ma communication à son sujet. Les marques l’oublient souvent, surtout quand elles n’ont pas de budget et qu’elles considèrent la dotation comme une rémunération. Me faire mon propre avis est la garantie que je n’abuse pas la confiance de mon audience.
Aucun post n’est standardisé, la marque ne peut pas me l’imposer. J’ai besoin de m’approprier le contenu pour ne pas jouer un rôle qui ne serait bon ni pour moi, ni pour la marque.
La mode éthique
Je suis plus calée en beauté naturelle ! Les enquêtes mode sont plus laborieuses. J’écris aux marques pour leur demander de la transparence sur la fabrication, les usines, les matières, les certifications. La toute première fois où j’ai été contactée, c’était par une entreprise de drop shipping, il y a un an et demi…. Je m’en suis rendu compte à temps. Tout cela s’apprend.
Et financièrement ?
Aujourd’hui, je ne vis pas suffisamment de mon activité d’influence, mais c’est là que je veux aller, professionnellement. C’est une prise de risque, c’est un saut dans le vide. Quand on a des projets qui nous tiennent à cœur, il y a beaucoup d’investissements pour peu de retours au début et éventuellement par la suite, ça évolue. Je ne me fais pas d’illusion là dessus. En revanche, depuis peu, je n’accepte plus de travailler gratuitement, je préfère me concentrer sur mon contenu libre et faire grandir ma communauté.
Les frontières entre la vie pro et la vie perso
Mon compagnon est très heureux de ce que je fais. Être avec une personne qui respecte son travail, c’est la base. Lui est au-delà de ça, ce qui est loin d’être évident étant donné ce que cela implique au quotidien. Si je ne me force pas à lever le pied, comme je suis passionnée, je suis absorbée, je peux travailler 22h/24. Il m’aide à prendre du recul, notamment sur la gestion des émotions liées aux réseaux. Quand mon père est mort, je ne voulais pas qu’on pense que j’attirais l’attention à moi, cependant, prétendre que rien de spécial ne se passait était impossible. J’ai partagé la nouvelle, simplement, et connu très vite des pics de désabonnements. C’était un double coup dur. Je n’étais pas sûre de pouvoir créer à nouveau du contenu régulièrement, je suis encore au début du deuil. Il m’a beaucoup aidé à envisager mon travail d’une manière sereine.
La charge mentale émotionnelle liée aux contenus déprimants ?
Quand je traite d’un sujet difficile, tel que celui des Ouïghours, je suis épuisée. J’ai besoin d’un ou deux jours pour récupérer. Lorsque les contenus choquants deviennent votre quotidien : féminicides, viols, exploitation humaine, dégradation de l’environnement, on a tendance à élever son seuil de tolérance, on n’analyse pas directement la violence des informations reçues; mais elle est bien là et elle existe. Pour pouvoir la traiter et la partager, il faut accepter de regarder ce monde tel qu’il est. Ne pas la nier permet de lutter contre elle plus efficacement.
Il en va de même pour les DM désespérés ou colériques : avec l’expérience, j’ai admis que je n’étais ni psychologue ni coach de vie des personnes qui m’adressent des centaines de messages par semaine. Je les redirige systématiquement vers des professionnel·les quand j’estime qu’iels présentent une fragilité mentale. Pour les autres, j’assume le fait de dire non de temps en temps et je préserve mon énergie, tout en restant humaine dans mes réponses.
Quand nous serons épargné·es par le coronarvirus, j’irais à leur rencontre et j’étendrais mes combats, mes engagements dans la vie réelle. Je crois que vivre, c’est contribuer.
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