Oser et apprendre à dire NON
Rédigé par Marion Jourdan
Le 26 mai 2021
Minutesde lecture
Le “oui” est parfois bien plus facile à prononcer qu’un “non”. Chacun est composé de trois lettres en apparence anodine, pourtant pas assumées et reçues de la même manière dans les mœurs et la société. Par peur, culpabilité, doute… les raisons de ne pas oser dire “non” sont multiples. On émet alors des “non” hésitants et des “oui” sans conviction. Si beaucoup d’entre nous ont davantage appris à subir une situation plutôt que d’y opposer un stop franc, c’est parce que nous ne sommes pas assez éduqué·e·s, conscient·e·s de l’importance du “non” et des manières non violentes de le communiquer… On vous propose d’apprendre avec des méthodes simples : pour oser dire non à ses parents, à ses employeurs, à ses amis, aux principes… Un tel sujet requiert bien 3 points de vue humains ! Nous l’avons donc écrit à 6 mains.
Mais c’est un non bien plus précieux qu’un oui.
Nekfeu – Galatée
Pourquoi est-on habitué·e·s à ne pas dire non, particulièrement dans la mode ?
Born in the 60’s à 2020 : pas de combat de Boomers VS Z qui tienne. Nous sommes toutes & tous des enfants de la télé, des écrans, des espaces publics privatisés et massivement occupés par la publicité dont notre champ visuel est rempli jusqu’à la nausée. La nausée rétinienne, un concept à explorer. Nous avons appris sans la remettre en question la théorie selon laquelle “réussir sa vie” est associée à la matérialité. Le bonheur, ainsi, serait directement corrélé à la consommation.
Gavé·e·s commes des oies qui ont depuis longtemps perdu toute sensation de faim, nous avons court-circuité nos cerveaux, sautant l’étape de la réflexion en pleine conscience qui précède tout acte…, dont celui de l’achat. Puisque consommer rend heureux·se, passons à la caisse sans questions. Oui mais voilà, cet adage est un mythe. La science a démontré que le bonheur est asymptotique, passé le cap de x milliers de dollars gagnés par an.
La joie n’est pas livrée avec la résidence secondaire, un xième trip au bout du monde pour un weekend ou une nouvelle garde-robe, toute éthique qu’elle soit.
Nous manquons d’information disponible, nous ne prenons plus le temps de la chercher. Nous n’interrogeons plus notre boussole interne (l’intuition, vous la connaissez ?) pour guider avec bon sens vers ce qui nous fait du bien, les valeurs que l’on souhaite transmettre, les entreprises que l’on veut soutenir.
Indignons-nous dans la douceur : ré-apprenons à dire non. Grâce à des méthodes de Communication Non Violente, du temps et des exemples inspirants. Car oui, de la même manière qu’on reconnecte avec son corps et sa faim en s’intéressant au contenu de son assiette, on peut reconnecter avec ses choix, dont ceux qui concernent nos vêtements, en y réfléchissant.
Comment dire non ?
Dire non est le socle du respect envers soi. La condition fondamentale à la préservation de nos désirs, de notre corps, de nos convictions. Le non est le garde-fou qui prévient l’insoutenable, bien souvent, celui-ci n’arrive pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais est l’addition de petits moments pernicieux au quotidien qui nous rendent malheureux·ses.
Le non est un remède qui devient préventif à mesure qu’on le pratique. C’est aussi une marque de respect pour l’interlocuteur·ice à qui l’on refuserait un date ou une proposition de travail de façon claire et polie, plutôt que de laisser planer un “Maybe” ou un oui finalement transformé en sms d’excuses peu crédibles, à la dernière minute. Nous sommes la génération du bouton intermédiaire entre YES et NO, la génération du FOMO.
Une personne qui dit “oui” à tout et claque la porte une fois le point de non-retour franchi n’est pas plus admirable, généreuse ou altruiste qu’un individu qui prononce le “non” à voix haute en expliquant les tenants et les aboutissants. Prenons l’exemple d’un enfant, il serait injuste de le punir sans lui avoir expliqué qu’il n’était pas poli ou propre de mettre ses doigts dans son nez.
La dépression est la récompense que nous obtenons pour nos efforts de conformité.
Jean-Paul Dubois – Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon.
Evaluer ses limites
Estimer ses propres limites est essentiel pour son bien être et le respect d’autrui. Nous ne pouvons pas attendre que les autres devinent nos limites : “Moi, j’aurais agi de cette manière”, “Il me paraît évident que c’est déplacé” sont des non détournés et des affirmations fermées qui condamnent l’hypothèse d’une discussion, d’une résolution vers une entente amiable qui tiendrait compte à la fois de son propre refus et de l’opinion adverse.
Lorsque s’effacent les frontières de l’acceptable (ok pour un compromis en pleine conscience) et de l’inacceptable (la transgression des lois, le manque d’hygiène…), nous ressentons colère et frustration, que nous communiquons .
Ces mêmes émotions sont la sonnette d’alarme à reconnaître, le “trigger” / la gâchette à identifier pour désamorcer la bombe qui suit. Il s’agit donc de se connaître soi-même, de plus en plus rapidement jusqu’à anticiper le message de cette petite voix interne, celle qui chuchote “non”.
Poser ses limites
Poser ses limites induit de jongler avec trois étapes :
- Dessiner le périmètre de l’acceptable et de l’inacceptable (le plus gros du travail);
- Apprendre à exprimer simplement et clairement ses limites à autrui;
- Répéter de temps à autre.
Préparer la forme du “non”
Souvent, les personnes qui ne sont pas très à l’aise avec le fait de dire non ont des réflexes relationnels qui ne sont pas adaptés. Nos mots, tournures de phrases en disent long sur nous aussi bien sur nos doutes, nos peurs que notre entrain… Dans la formulation de nos propos, le plus difficile est de faire simple (comme dans beaucoup de choses de la vie). À force d’apprentissage, nous en saisissons les rouages.
- Opter pour des formulations positives : à la question “pourquoi pars-tu ce week-end ?” une personne peut répondre “parce que je ne me sens pas bien en ville”, et une autre “parce que j’ai besoin de me ressourcer dans de grands espaces”.
- Éradiquer le mécanisme qui vise à donner de fausses raisons au refus : il existe deux non imparables : “Non, je n’ai pas besoin” et “Non, je n’ai pas envie”. Souvent perçus comme abruptes, ils sont dilués dans des mixtures faites d’excuses, de prétextes et d’explications peu crédibles et/ou convaincant·e·s. Ce que notre conditionnement, fruit de notre éducation, de nos vécus ne nous disent pas, c’est que le risque de cette stratégie répandue est de passer pour un·e lâche et un menteur·se ou d’être poussé·e dans nos retranchements. Alors, au pied du mur, il ne nous reste que deux options : capituler avec un “Bon d’accord, entendu” ou assumer par l’énonciation d’une des deux armes fatales “ “Non, je n’ai pas besoin” et “Non, je n’ai pas envie”.
- Communiquer sa demande avec précision : plus une phrase est vague, plus il y a de risques de malentendus, de déception et de conflits. Que signifie “Choisir et privilégier des marques éthiques ?”, “Qu’est-ce qui définit un employé agréable ?”, “Comment être une personne avec des valeurs ?”. Une formulation concrète par l’emploi d’exemples tangibles duplique les chances d’être compris. Une série de questions permet d’éclaircir la formulation et d’affiner la pertinence de notre raisonnement : “Qui, Que, Quoi, Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Qu’est-ce que je souhaite ? Quelles sont les alternatives ?”
- Cesser de se justifier :
– Un individu qui s’excuse et se justifie se rend automatiquement coupable de quelque chose.
– Un refus court et affirmé est plus convaincant qu’un long discours mal ficelé. La forme est alors tout aussi importante que le fond.
– Ne laissez pas s’immiscer le “pourquoi” est primordial pour ne pas finir dans les cordes sur le ring de l’accusation et risquer de se sentir redevable de donner une explication.
– Ne pas hésiter à légitimer son refus aux yeux des autres “Je t’ai expliqué la raison de mon refus, si tu ne la conçois pas, je ne peux rien faire de plus”
– Pour tout cela, marque un blanc de quelques secondes – même si c’est difficile ! – désarçonne bien souvent l’interlocuteur. Par exemple, le vendeur de cette enseigne qui veut absolument vous donner un 100e totebag. - Faire preuve de crédibilité : le langage non verbal (gestes, intonations, expression du visage…) doit aller de pair avec le langage verbal (le discours).
Formuler le “non”
Le refus tient lieu lorsque la demande est inacceptable, que la situation acceptée ne nous convient plus, que l’on ne peut (ou ne veut) honorer la requête. Il existe diverses manières d’exprimer un refus avec diplomatie. Nous en évoquerons trois :
- Le refus total
Qui dit catégorique ne dit pas forcément désagréable. La posture à adopter est celle de la compréhension et de l’empathie. De manière calme, on peut exprimer son refus de manière définitive. Une explication n’est pas de rigueur mais elle peut éventuellement être énoncée. Après avoir prononcé le refus à voix haute, on peut proposer des solutions et alternatives. Exemple : “Je comprends que… je ne souhaite pas (ou ne veux pas)… parce que… Peut-être pourrions-nous envisager…”
- Le refus partiel
La requête d’autrui ne peut être que partiellement remplie (du fait de sa disponibilité ou de sa volonté). La formulation s’articule en deux temps : d’une part on exprime avec précision les éléments que l’on peut/veut satisfaire, d’autre part, on évoque les limites.
Exemple : “Je ne serais pas disponible à 14h00 mais je peux passer te récupérer à 13h00 si c’est bon pour toi.”
- Le refus accompagné d’un changement
Lorsque l’on évoque un problème à évoquer, il est conseillé d’avoir quelques alternatives ou solutions.
Exemple : “Je comprends que (l’empathie et la compréhension), mais (la description des faits et des circonstances), cela a une incidence sur (les conséquences), c’est pourquoi j’ai pensé à (les solutions), cela permettra de (les avantages).
- Pratiquer la méthode du disque rayé
Cette méthode consiste simplement à répéter la même chose autant de fois que nécessaire. On doit se montrer de plus en plus gentil et aimable à chaque répétition, être dans la compréhension et l’empathie dans la première partie de la phrase, puis l’argumentation associée à la négation. A l’image d’un disque rayé qui répète sans arrêt les mêmes paroles, jusqu’à ce que l’autre abandonne.
Un exemple :
Vous : “Je sais que ce sont les soldes, malheureusement non, je ne pourrais pas t’accompagner”.
Elle/Lui : “Je ne veux pas y aller seul·e, ce sera moins fun !”
Vous : “Je comprends que cela te contrarie, mais je ne cautionne pas les promos et je ne veux pas me laisser tenter”
Elle/Lui : “Oh ça va, t’es pas obligé·e d’acheter !”
Vous : “Je sais que tu me soutiens, mais non. Je préfère occuper différemment mon temps libre”.
Elle/Lui : “OK, comme tu voudras !“
Il y a plus de fois ou je dis « je dois » que d’fois ou j’me dis « je veux »,
Y a plus des fois et j’ai pas le choix que d’fois ou j’me dis « je peux ».
Ben Mazué – Quarantaine
Ils elles ont dit non : des exemples citoyens, de marques ou de médias
Dire non, c’est renoncer… Mais la liberté n’est pas d’avoir le choix, c’est de le faire ! Nos quotidiens sont un exercice subtile de jonglage entre ces deux affirmations. Voici une liste non exhaustive d’exemples de refus, pour inspirer vos prises de positions au quotidien, particulièrement dans une démarche éco-responsable :
À l’échelle citoyenne
- Aux strates et aux journaux que l’on distribue dans la rue, qu’on accepte par politesse mais que l’on ne lira pas
- Aux publicités intempestives qui envahissent nos boîtes aux lettres, avec un “stop pub”, petit et redoutablement efficace !
- Aux tickets de caisse
- Aux newsletters qui s’accumulent notre boîte mail et génèrent de la pollution numérique.
- À l’emballage aux serviettes en papier proposés par les boulanger·e·s pour envelopper notre sandwich
- Aux goodies gratuits dans les magasins
- À la tentation des réductions “2 pour le prix d’1”
- Aux sacs plastiques proposés par les vendeur·se·s
- Aux fraises en hiver, et autres fruits et légumes importés du bout du monde.
À l’échelle d’une marque
- Steven Passaro est un jeune créateur de Haute Couture masculine qui a choisi de partir à Londres et apprendre notamment l’upcycling, plutôt que de travailler en France pour des Grandes Maisons de couture dont les principes éthiques ne correspondaient pas aux siens. Il prône le zéro déchet, l’upcycling et évite au maximum les matières polluantes.
- Nombreuses aujourd’hui sont les marques qui s’opposent au Black Friday
À l’échelle d’un média
Nous parlons en connaissance de cause, The Good Goods est un média de mode éco-responsable. De ce fait, on accepte de travailler avec une marque à partir du moment où elle remplit les critères éco-responsables énoncés dans notre charte, ou qu’elle est prête à communiquer en transparence sur ses forces et ses faiblesses. Elle accepte également que l’on fasse un état des faits de son activité et que l’on communique sur ses informations.
À l’échelle d’un·e influenceur·se
En 2019, l’influenceuse Enjoyphoenix a refusé de se rendre au festival de Cannes. Pour elle, cet événement est tout sauf écologique. Elle dénonce notamment l’impact des yachts, des jets privés, des trajets en voiture et le gâchis alimentaire.
Références
- Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) – Marshall B. ROSENBERG
- Entreprise Contributive – Céline Puff Ardichvili & Fabrice Bonnifet
- Killingsworth MA. Experienced well-being rises with income, even above $75,000 per year. PNAS. 2021;118(4). doi:10.1073/pnas.2016976118
- The Life-Changing Magic of Not Giving a F**k – Sarah Knight
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