Le Black Friday n’est pas un sujet
Rédigé par Victoire Satto
Le 22 nov. 2022
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Incitation permanente à l’achat, consommation de produits inutiles et culture du tout-jetable… Il n’y a bientôt plus assez de jours disponibles dans l’année pour absorber toutes les promos. Le Black Friday est une aberration commerciale aux conséquences écologiques désastreuses. Dans cet article, on vous explique pourquoi tout le monde est perdant lors du Black Friday, et pourquoi il faut s’abstenir de consommer.
Qu’est-ce que le Black Friday et pourquoi le boycotter ?
Côté marques
Le #blackfriday est une opération commerciale créée comme des inter-soldes. Cela comprend le fait de solder des vêtements invendus, bradés jusqu’à leur coût de revient (-70, -90%… ça donne matière à réfléchir au prix boutique pratiqué le reste de l’année, vous ne trouvez pas ?) mais également des vêtements conçus spécifiquement à cet effet, quelques semaines avant.
Concrètement et à titre d’exemple :
- En Ouzbékistan, haut lieu de la culture du coton, on extrait les enfants de plus de 5 ans de l’école sur décret gouvernemental pour les faire bosser dans les champs afin d’aider à la cueillette (5 ans + travail forcé : ça fait tilt ?).
- En Chine les semaines qui précèdent ce genre d’événement sont appelées « Black Season », la saison noire durant laquelle le travail et la rudesse des conditions s’intensifient drastiquement pour le même salaire, les employés sont menacés de renvoi, dans ces régions à travail précaire. Sauf si on met particulièrement à contribution des ouighours car cela ne change pas vraiment leur quotidien habituel. Les travailleurs mangent et dorment sur place en usine – coûts retenus sur leurs salaires – pour assurer un volume horaire suffisant car ils habitent des campagnes lointaines. La surveillance est constante, les portes sont fermées durant le travail. Pour assurer un rendement maximal et un absentéisme nul, les sorties ne sont pas autorisées, les papiers d’identité sont confisqués, les menaces de renvoi sont ici aussi classiques. A date, on estime à environ 500 000 le nombre de ouïghours enfermés.
Brûler ces H&M et leur douze collections / Du haut des HLM certains n’ont qu’une saison.
Odezenne – Novembre
Certaines marques profitent de cette journée pour écouler leurs stocks, sans casser drastiquement leurs prix. C’est par exemple le cas d’Organic Basics dont on soutient les engagements par ailleurs le reste de l’année. Dans ce cas, cela peut soulever selon nous deux problématiques éthiques : d’une part, celle de l’hyperproduction (en l’occurrence, il peut aussi s’agir de prototypes et de produits défectueux mais utilisables, non vendables à prix habituels) d’autre part, celle d’une prise de position manquée.
L’appel au boycott nous semble nécessaire, à fortiori de la part de marques d’envergure, pour faire en sorte que le plus grand nombre réalise l’absurdité de cette journée qui nous réduit à exister/accéder au bonheur par le seul acte de consommation.
Côté consommateur·ice·s ?
Une étude de l’Observatoire Société & Consommation révèle que 59% des Français·e·s n’envisageaient pas de profiter du Black Friday en 2021, contre 43% en 2019. 2020 a transformé nos tendances de consommation : les Français·e·s étaient 39 % à déclarer vouloir se tourner vers des circuits courts et une fabrication française et 90% des moins de 30 ans déclaraient qu’une marque ne devrait survivre que si elle présente une mission et une raison d’être claires. Nous sommes de plus en plus nombreux·se·s à refuser de troquer l’être contre l’avoir.
De plus en plus conscient·e·s qu’il s’agit de vêtements mal conçus et mal coupés, déclinés en quantités astronomiques nous changeant en clones, dont les fibres courtes de mauvaise qualité perdront leur propriétés après quelques lavages, dont les microparticules de plastiques dérivent à ces mêmes lavages dans les océans, dont les composants majoritairement chimiques sont issus du pétrole… Long story short. Autant de motifs de boycott massif et sans appel.
En ce vendredi noir, ne peut-on envisager de meilleur programme que de se ruer sous les néons chaleureux d’une galerie commerciale, faire le pied de grue en ligne pour ne pas rater l’occasion d’acheter un vêtement dont on a ni besoin ni envie et dont la durée de vie n’excédera pas un post Instagram ou le mois de janvier (et oui, en janvier : c’est les soldes !) ? Silence de consternation. Le slogan de cette journée “Shop until you drop” n’est pas à envisager au second degré : c’est littéralement que nous nous asphyxions ainsi que nos écosystèmes sous des montagnes de vêtements bas marché qui finissent dans des décharges.
Les initiatives anti-Black Friday sont-elles nécessaires ou stratégiques pour les marques ?
Les initiatives anti-Black Friday des marques
Le Green Friday
Créé en 2017 par Jean-Paul Raillard, Président de la Fédération Envie, sous la forme d’une association, Green Friday est né du monde de l’électroménager, domaine roi de l’obsolescence programmée. Au départ assez discret et très engagé, le collectif exige de la part de plus de 500 adhérents des garanties en termes d’utilisation et de provenance des matières premières ou encore de l’emploi des salariés.
Des ateliers solidaires
Altermundi fait partie du collectif Green Friday qui oppose au Black Friday une journée d’actions et de réflexion pour promouvoir le commerce responsable. Vers une culture du moins mais mieux. Pas de soldes, pas de promotions incitatives et trompeuses mais 10% du chiffre d’affaires de la journée versé à l’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée).
Make Friday Green Again
Le collectif Make Friday Green Again se mobilise via un site web, fédère plus de 1200 marques pour rappeler les conséquences désastreuses de cette journée. Le collectif Make Friday Green Again regroupe tous les profils de marques. Certaines marques ne l’ont jamais fait. Certaines sont des repenties et ont pris la décision de sortir de ce cercle vicieux. Dans les deux cas, les marques s’engagent à ne pas faire le Black Friday en 2022 et par la suite.
Patagonia, joue la carte de discrétion
Après la campagne choque “Don’t buy this jacket” qui avait fait la une du New York Times en 2011, un film-poème présentant la campagne ‘Achetez Moins, Exigez Plus, la lettre ouverte du CEO sur Medium, cette année Patagonia est à nouveau discrète et décide de ne rien changer à ses habitudes sur son e-shop.
De nombreuses marques éthiques ferment leur e-shop pendant 24h
Et la législation ?
Pour l’instant, aucun mouvement de la part des Etats, quels qu’ils soient, pour interdire ni même un temps soit peu réduire formellement cette journée et le Cyber Monday.
”Anti”, “Green”, “Just” Friday… Ceci n’est pas une autre campagne de marketing
Nous sommes tous hypocrites avec cette notion de “mode durable”, qui ne peut pas l’être pas définition, mais c’est mieux que rien.” selon les mots d’Arizona Muse au micro de notre podcast. On préfère penser que le greenwashing, s’il existe ici, est le pendant du badbuzz : il fait parler, jaser, débattre. Il a le mérite d’informer et désormais, le retour en arrière n’est pas possible. Entre 2013 et 2022, on peut au moins admettre qu’il s’est écoulé peu de temps avant que l’on crie à l’aberration et ces mouvements prennent de l’ampleur.
Cependant ces paroles ne seront bénéfiques que si elles sont mises en actes. On en appelle au bon sens, des consommateur·rice·s comme des marques. Halte à l’opportunisme et à ces opérations commerciales sans fondements. Place à l’action concrète. Toute marque solidement convaincue de son impact et déterminée chaque jour de l’année à le maîtriser, à se remettre en question pour mieux faire (produire moins, des vêtements qui durent et incitant à les remplacer par nécessité ou plaisir durable) n’a pas à scander de message ponctuel “green” contre les dérives commerciales de la culture du tout jetable.
Ne pas faire de promo voire fermer son e-shop est bien plus puissant pour un consommateur qui saluera le geste et reviendra le lendemain ou des semaines plus tard, quand il en aura besoin, avec l’intime conviction de servir une cause juste et une entreprise qui partage sa vision d’un futur soutenable.
Faites l’amour, pas les magasins.
Références
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