Quel est le coût environnemental de nos vacances ?
Rédigé par Victoire Satto
Le 09 juil. 2022
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La crise climatique nous pousse à réfléchir à l’absurdité de la course aux likes, pour laquelle nous sacrifions notre amour-propre et notre environnement. Dans cet article écrit à 4 mains par Victoire Satto et Hélène Kaufmant, on fait le bilan : comment Instagram et nous-mêmes détruisons des lieux magiques sur le globe.
Impact environnemental de nos voyage : atterrissage en fracas
Le contexte COVID a fait du bien à la planète
Au placard les déferlantes de touristes. Tandis que les aéroports réclamaient une baisse de la fiscalité pour subsister (WHAT THE !!)[1], la Nature se réjouissait de nos états confinés. Notre enfermement nous a contraint à redoubler de créativité pour pousser virtuellement les murs et rendre nos espaces aussi instagrammables que ces endroits où l’on partait en week-end sur un coup de tête, au moindre enterrement de vie de garçon.
Ironie du sort mondialisé : la Terre a choisi un minuscule virus messager pour nous sommer de rester chez nous sous peine de mort, afin qu’elle-même puisse bénéficier d’un peu de répit. Les courbes d’émissions de C02 sont en chute libre, les fleurs repoussaient entre les pavés.
De notre côté, nous apprenions à vivre localement, à nous approvisionner davantage chez le maraîcher qu’au supermarché, à planter des graines sur nos balcons qui deviennaient des potagers urbains, à sympathiser avec nos voisins à 20h. Chacun·e se moquait bien de savoir si son intérieur imparfait correspond aux clones de décoration générés par AirBnb ou si sa prochaine destination de vacances aura un potentiel de likes suffisant.
Pourtant, avant le confinement, c’est bien là que nous en étions arrivés : à prendre des billets d’avion en fonction de la photogénie des sites touristiques. La dernière GoPro sur la tête et le meilleur selfie-stick en main, nous avons sans crier gare ravagé des lieux rares, parfois secrets, qui sont aujourd’hui impraticables ou nécessitent de faire plusieurs heures de queue pour y tirer son portrait. Les images ci-dessous vous parleront davantage… Ce qu’on aimerait à travers cette illustration, c’est dépasser la culpabilité pour proposer d’autres modèles.
Les lieux détruits ou dégradés par la folie d’Instagram
La rue crémieux à Paris
Un pavé paisible et des maisons aux couleurs acidulées dont les propriétaires sortent désormais en se contorsionnant, pour ne pas apparaître sur les photos des hordes de touristes.
Roy’s Peak en Nouvelle-Zélande
Le sommet d’une montagne où l’Homme abandonné les bras en croix semble communier avec la Nature… au prix d’une file d’attente de plusieurs heures et sous des centaines de paires d’yeux étudiants cette même pose pour l’optimiser quelques minutes après.
Lake Elsinore aux États-Unis
Il a suffit d’un post viral pour saccager durablement un champ de coquelicots au voisinage d’une petite ville paisible de 50 000 habitants.
« Poppy Apocalypse » : Small California city overrun by thousands of tourists declares ‘public safety crisis’ titre le New York Times
Chechaouen au Maroc
Une ville officiellement nominée comme l’une des plus instagramables du monde. Des heures de files d’attente pour une pose sur les marches d’escalier d’une vieille ville où le commerce d’artisanat a fait place à la disposition orchestrée de fleurs, optimisant les décor du cadre carré.
Santorini en Grèce
Des pierres blanches, des toits bleus. Au paysage idyllique de quelques loca·ux·les priviliégié·e·s s’ajoute désormais de l’auto-bronzant à la louche et des Insta-husbands auxquels les instagrameuses répètent toute la journée que « Non, ce n’est pas mon meilleur profil, recommence ! ». L’état grec s’est vu contraint d’imposer une limite aux nombres de visites quotidiennes.
Des comptes qui dénoncent le phénomène
Le compte @Instarepeat
Ce compte répertorie les images identiques, retouchées ou copiées, réalisées sur des sites pris d’assaut par les toursites.
Le compte @InfluencersInTheWild
Ce compte montre les dessous de la réalisation des images glamour de nos quotidiens, aussi extraordinaires qu’enviables. À pleurer de rire plutôt que de désespoir devant la bêtise de nos contemporains.
Post COVID : où en est-on ?
Étude de cas de la Grèce
Nous avions envie d’y croire, et ce, non par pur excès d’optimisme et de naïveté, mais parce que les statistiques encourageantes concernant la baisse mondiale de notre empreinte carbone, ainsi que la mobilisation de la presse au niveau international révélant la prise de conscience de notre impact sur l’environnement nous poussaient à rêver d’un monde meilleur au moment de notre sortie au grand jour et à l’air frais. Que nenni. À croire que l’Homme a vraiment la mémoire courte, pourtant dans ce cas-ci, c’est bel et bien sa persistance qui fait toute sa qualité. Pire encore (ou mieux, c’est à vous d’en juger) cette crise a également été le révélateur de projets réalisés sous cape. L’année 2013 a été l’occasion rêvée pour certains promoteurs américains d’acheter à l’abri de l’attention médiatique des réserves naturelles à des pays endettés mais au potentiel instagrammable incroyable.
Quand le malheur des uns fait le bonheur des autres.
C’est malheureusement les cas d’un site à la beauté époustouflante : Erimitis, un espace naturel sauvage jusqu’ici préservé, qui fait la fierté du patrimoine Grec. Ses plages de sable blanc donnent accès à une eau bleu turquoise. À y regarder de plus près, on a envie de croire que le paradis terrestre pourrait bel et bien exister.

Sunset at Erimitis beach, Paxos island, Greece.

@villagiovannina
Mais ce petit bijou fait aujourd’hui les frais d’avoir trop brillé. En effet, une partie de cette zone naturelle – qui n’a pas été protégée par le gouvernement Grec par un label – a été rachetée, par un fond de dotation américain, au prix ridicule de 25 millions d’euros, soit sept fois moins que sa valeur réelle sur le marché. L’objectif de la transaction nommée Kassiopi ? Détruire les espaces en question (soit environ 500 hectares) pour y construire un hôtel cinq étoiles qui contiendra une immense marina pouvant contenir jusqu’à 600 yachts, des beach bars ou encore des villas privées. Pour couronner le tout : des bulldozers ont déjà commencé leur travail… La chance au sein de ce désastre écologique c’est que la tranquillité des malfrats a été de courte durée, puisque, grâce au Covid-19, les travaux ont pu être franchement ralentis (voire stoppés).
Cette accalmie a permis aux militants d’organiser leur riposte sur les réseaux sociaux, internet, mais aussi et surtout à travers le dépôt d’un dossier a posteriori à la Cour Européenne des Droits de l’Homme afin que la réserve puisse bénéficier d’un label officiel de réserve naturelle, qui n’avait pas été demandé par le gouvernement grec. Une grossière erreur, puisqu’en l’absence de cette protection, Erimitis n’est protégée d’aucune façon. Suite à l’avancée des procédures de destruction de la zone, des experts ont été appelés afin de répertorier sa richesse. Il en est ressorti que la Péninsule d’Érimitis est vitale pour la biodiversité grecque et albanaise – l’Albanie, qui se situe à moins de deux kilomètres de Corfou, y possède un parc naturel dont le destin dépend également de cette zone grecque.
Effectivement, la valeur écologique de cette zone est exceptionnelle en ce qu’elle reste l’une des seules à ne pas être affectée par le développement urbain de l’île de Corfou. Ses zones humides sont des points d’arrêts utilisés depuis des centaines d’années lors de la migration des oiseaux, on y recense également 282 espèces de plantes, 100 espèces de champignons ainsi qu’une riche faune de reptiles, mammifères, amphibiens … Détruire cette biodiversité reviendrait à menacer la vie de ces êtres vivants mais aussi celle des être humains vivant aux alentours puisque l’on sait déjà que cela causerait d’importantes conséquences au niveau de la pollution de l’eau et donc de sa qualité.
Jusqu’où sommes-nous prêt·es à aller pour avoir le feed instagram le plus parfait ? Saisissons l’occasion que les confinements répétés nous ont donnés pour apprendre de nos erreurs : si la nature existe, c’est qu’elle est une frontière aussi belle que nécessaire entre nous et le monde sauvage. La pénétrer, c’est la/nous mettre en danger.
Comment changer d’attitude pour plus de responsabilité ? Re-booter nos voyages
Cette parenthèse temporelle est une occasion unique de challenger nos habitudes et de repenser la consommation telle que nous l’avons laissée : omniprésente, immédiate et sans limite. Nous sommes en train de réaliser que nos « besoins » présumés de commander à 23h sur Amazon Prime ou d’acheter une Xème tenue pour la prochaine soirée ne sont pas réels, mais guidés par des entreprises qui produisent dans le seul but de nous faire consommer.
Nos achats ne répondaient pas à un besoin ni ne constituaient un service, ils étaient un pansement à changer quotidiennement sur la plaie béante de notre bon sens. Ce dernier, comme la Nature, reprend ses droits alors que nous avons mis cette frénésie sur pause. À nous de saisir cette opportunité pour considérer dès à pressent une autre forme de voyage, local, raisonné, en continuité de celui que nous avons entrepris dans nos intérieurs.
Ce que l’on traverse actuellement est réel. Les émotions positives ou négatives liées au confinement auront toujours sur les images Instagram la supériorité du vrai, loin de la désillusion des likes et d’un mensonge virtuel collectivement accepté.
Références
[1] Les Échos
[2] BBC
[4] Les Possédés – Lauren et Boudard et Dan Geiselhart
[5] A. (2020, 3 diciembre). THE ECOLOGICAL VALUE OF ERIMITIS. Save Erimitis. https://www.erimitis.gr/en/2020/12/03/the-ecological-value-of-erimitis/
[6] The disastrous plans of the greek government and NCH Capital for Corfu. (2019, 28 noviembre). Save Erimitis. https://www.erimitis.gr/en/apeili-eng/
[7 ]M. (2021, 25 junio). International environmental Alliance issues Red Alert to prevent destruction of Erimitis wetlands. Tour Du Valat. https://tourduvalat.org/en/media/international-environmental-alliance-issues-red-alert-to-prevent-destruction-of-erimitis-wetlands/
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