Rencontre avec Alden Wicker, fondatrice du média Ecocult
Rédigé par Victoire Satto
Le 08 juin 2022
Minutesde lecture
Octobre 2017, New York nous offre un été indien, l’occasion rêvée de multiplier les rencontres de sens et les moments avec des humains du bout du monde qu’il y a quelques jours à peine on touchait virtuellement du doigt sur la toile. Alden Wicker est une jeune femme brillante, audacieuse et très informée. Journaliste autodidacte spécialisée dans la consommation responsable, équitable et respectueuse de l’environnement, elle a fondé son blog Ecocult et le comité Ethical Writer & Creative, un collectif d’indépendants qui cherchent à améliorer le monde par leur travail, augmenter les normes de l’honnêteté et de la transparence dans l’industrie. Son appartement est baigné d’une lumière qui rend grâce aux plantes qui l’habitent, scintillent en écho sur les objets en cuivre, donne vie aux livres qui vibrent lorsqu’on les feuillette. Une ode à la sérénité dans une citée agitée. On entrevoit alors Alden dans toute sa personnalité : une âme paisible dans une vie effrénée, qui cherche la lumière autant qu’elle la transmet. Fragments d’une eco-conversation sur l’éducation, la perfect French mum et le sens Style aux États-Unis.
Qui êtes-vous, Alden Wicker ?
Je suis Alden Wicker, journaliste freelance et éditeur d’Ecocult, un blog d’information principalement dédié à la mode durable. J’ai épousé un architecte & DJ d’origine vénézuélienne. Je suis américaine et bientôt world citizen : on part voyager pendant un an autour du monde en 2018.
Quand j’étais enfant, j’étais une nerd. J’ai passé les cinq premières années de vie dans le sud au milieu de la forêt, toujours dehors en solitaire, à explorer les environs. Nous n’avions pas de voisinage. J’ai grandi avec une mère très informée, quasiment la seule famille libérale aux alentours. Elle m’a très vite inculqué la notion d’empreinte de nos actes sur l’environnement, et la nécessité de réparer les choses lorsqu’elles pouvaient l’être. Elle était très écoconsciente il y a trente ans déjà, sans pour autant appartenir au mouvement hippie. C’est une décoratrice d’intérieur talentueuse, et très chic !
Nous sommes une famille de lecteurs, voraces ! Au dîner on débattait ensemble, mais au petit déjeuner, le midi, chacun de nous avait de quoi lire en mains. De tout : des romans, des magazines, des revues, ma grande soeur et moi scrutions les caricatures des politiques avant même de savoir ce qu’elles pouvait signifier.
Quel est votre rapport au vivant ?
Notre éducation au respect de l’environnement a comporté très tôt des notions élémentaires telles que la gestion des déchets, l’impact des 4×4 sur l’écosystème des champs, la lutte contre la construction d’un terrain de golf sur des terres arables…
J’ai eu la chance d’accéder à un camp pour enfants précoces appelé Green River Preserve en Caroline du North. J’ai appris les préceptes de la culture Cherokee dans les montagnes, avant qu’ils n’en soient chassés, leur respect des écosystèmes et leur quotidien. Ça a éduqué mon regard à mon être, mon propre environnement, ma sensibilité aux hommes et à la nature. J’avais 7 ans, c’est la première fois que j’ai rencontré avec un vegan, c’est aussi la première fois que j’ai pris conscience du plastique omniprésent, en tant qu’enfant, en observant nos barres de céréales.
À chacun de nos achats, on affecte des personnes qu’on ignore et des endroits sur terre qu’on ne visitera jamais.
Comment avez-vous été éduquée en ce sens ?
Ensuite nous avons emménagé dans le Maryland, j’ai été admise dans la seule école privée non affilée à une religion dans le quartier. Quand les autres enfants participaient à des journées découvertes à Disneyland, on partait faire du camping sauvage. On apprenait à débattre sur les engagements politiques de chacun en tant que citoyens, ce qui se cache dans les discours, en émettant nos propres opinions, avec des mots de gosses et des raisonnements très basiques mais très constructifs, par exemple, la guerre mondiale : ce pourquoi c’est arrivé et ce pourquoi ça peut recommencer ici, les influenceurs dangereux, la prospérité. Et deux notions fondamentales qui m’ont marquées à vie.
Nous sommes tous humains. Les Etats-Unis n’ont rien d’exceptionnel.
Par exemple, quand Trump a été élu, je ne me suis pas sentie désemparée. J’étais préparée à ça, je savais que ça pouvais arriver. Certes, ça ne signifie pas pour autant que je sais comment m’en sortir…
Pourquoi avoir fondé un média ?
Enfant, je voulais être éditeur pour Vogue. Je me suis inscrite à des cours de journalisme au lycée et j’ai poursuivi cette voie.
Pour autant jusqu’ici je n’ai jamais écrit pour eux. Je sais que le fléau majeur des magazine de Mode féminins de nos jours est qu’ils sont gouvernés par les publicitaires. Ils tuent les histoires, la spontanéité des écrits, la réalité des aspirations du lectorat féminin parce qu’ils imposent le contenu des pages publiées.
Ce qui est triste, c’est que les journaux au contenu éditorial sourcé, profond, résultant d’un réel travail de recherche comme le New Yorker, perdent de l’argent et sont financés en vase communiquant par d’autres médias, superficiels et nourris par des annonceurs. Lorsque les sujets sont traités avec sérieux, ce sont des dossiers graves sur la condition féminine : le viol, la parité, la charge mentale. Jamais sur l’industrie du vêtement. C’est un cercle vicieux perpétuel et éminemment politique.
J’en achète quelques-uns cependant : Marie-Claire, Elle, The New Yorker. Je garde un oeil sur eux, j’adorerai écrire pour eux. Mais je crois qu’il va falloir un peu de temps encore avant qu’ils ne soient prêts pour ce que j’ai à dire en matière de Mode… Les marques elles-mêmes n’ont souvent même pas une idée précise de la qualité de leurs fournisseurs et ne s’inquiètent pas forcément beaucoup à ce sujet.
J’adore écrire. Il devient de plus en plus compliqué d’en vivre de nos jours, mais j’ai commencé enfant et je ne crois pas pouvoir m’en passer. Si je n’écrivais pas, je serais personal organizer. Je suis très organisée et obsessionnelle !
Plus sérieusement, j’adore trois choses dans l’écriture:
- l’Art d’écrire, en soi
- collecter les informations, essayer d’en extraire la véracité et les partager avec d’autres
- traduire des faits apparemment fades en récits amusant

Quel est votre rapport aux vêtements ?
J’ai une vraie relation amour/haine avec mes vêtements. J’adorerai avoir une garde-robe minimaliste, une capsule faite de quelques pièces. Les américaines sont des fétichistes du Style des françaises, simple et chic. Sobre et capable de bluffer pour autant.
« Buy less buy better » fait partie intégrante de votre ADN, malgré les vagues générées par Zara et H&M. Malgré tout j’adore les vêtements, les belles choses, j’adore m’habiller. Je suis convaincue que la bonne tenue peut littéralement changer l’issue de ta journée. Je ne crois pas qu’on puisse considérer que ce ne sont « que » des vêtements, qu’il est impossible qu’il nous définissent. Bien sûr, pas uniquement, mais c’est une facette de ce nous sommes. On ne se définit pas par ses vêtements, mais on communique à l’autre la façon dont on se définit nous-mêmes par nos vêtements.
J’aime exprimer mon état d’esprit du moment par mon Style. J’essaie en permanence de réorganiser mon placard et de trier mes vêtements, ce qui est très compliqué car j’en aime chaque pièces.
Il y a quelques années, je me suis soumise à un bon exercice : partir un an en voyage et donc décider ce que je garde, ce que je stock et donc paie pour garder, et donner. Choisir quels vêtements je serais excitée de retrouver à mon retour. J’adore le service qu’ils me rendent mais c’est une love/hate relationship. Il existe une limite ténue entre une pièce fétiche et un piège coupable dont on n’ose plus se débarrasser.
Quel rapport les Américain·e·s ont-ils·elles à leurs vêtements ?
Les américains ont une relation aux vêtements et à leur consommation différentes de celle des new-yorkais, elle-même différente de celle des habitants de Brooklyn. Il semble que dans ce domaine, Brooklyn donne le ton de ce vers quoi l’on souhaite aller. Il existe un fossé grandissant entre la façon dont les femmes s’habillent ici versus Manhattan. On porte peu de talons, on s’essaie au confort le plus souvent. Tout le monde ici aime expérimenter. Il n’y a pas de règles, tu peux tout essayer et la bizarrerie est encouragée. Nous chérissons la liberté & de pouvoir se vêtir comme bon nous semble au quotidien.
Les adresses d’Uptown & SoHo sont très haut de gamme, Lower East Side contient les petites marques et les créateurs, Brooklyn le vintage et le confortable. Nous avons beaucoup moins de marques durables et responsables qu’à Berlin ou Amsterdam, mais l’effort est engagé. Il y a également un amour historique des new-yorkais pour le Garment District un espace de manufacture à l’ouest de Times Square, datant des années 30. Il est toujours en activité au coeur de Manhattan et s’y rendre est très étrange, tourner le dos à une zone touristique, aux high ends bars et restaurants s’immerger dans une usine de vêtements. À ce jour il y a essentiellement des ouvriers asiatiques, des femmes, et des néons. On a l’impression d’être en Chine. Mais une troisième génération d’entrepreneurs lèvent actuellement des fonds pour délocaliser la production à Brooklyn où les loyers sont moins chers. Ils repensent une production Made In NYC de qualité, au sein d’un immense bâtiment incubateur pour une fabrication innovante réunissant des designers, des modélistes, des couturiers, de sorte qu’un concepteur puisse apporter une idée au rez-de-chaussée et sortir du dernier étage avec un échantillon fini, notamment pour des petites marques aux commandes limitées.
En 1960, 95% de ce que portaient les américains était fabriqué à New-York. Aujourd’hui c’est 3%
Et l’histoire de l’hyperconsumérisme dans ce pays ?
Les new-yorkais vont volontairement à l’encontre du reste des États-Unis.
Les américaines en général sont obsédées par les sacs Chanel, le Pliage de Longchamp, en nylon et les accessoires Tory Burch. C’est pour ce genre de pièces que le terme Basic bitches a été inventé. Il décrit une classe moyenne qui place beaucoup de son pouvoir d’achat dans les tendances, suivant stupidement le dernier trend dicté par la majorité, afin de gagner en popularité mais sans conviction stylistique.
Il te FAUT un Pliage Longchamp, des ballerines Tory Burch et un Pumpkin Latte Starbucks à la main, regarder telle série, suivre tel courant de tendances web. Ce terme n’est pas friendly, sujet à contentieux entre mes amies et moi. Évidemment tu peux apprécier un latte Starbucks, il ne s’agit pas d’en stigmatiser les consommateurs, mais tu ne définis pas ta personnalité sur un courant à suivre comme la masse. Tu dois te demander qui tu es pourquoi tu existes à travers tes achats. C’est un non sens de laisser les marques définir ce que l’on est, et d’un point de vue du style, c’est l’abolition de la prise de risque, de l’expression de soi. Je ne suis pas une perfectionniste, et certainement pas parfaite. Il faut de l’indulgence dans nos pratiques et dans notre façon de nous observer, de juger l’autre et sa différence.
Si tu fais le tour de mon appart, tu trouveras beaucoup de choses qui ne sont pas « durables ». Je ne veux pas fustiger. J’encourage avant tout mes lecteurs à s’informer, et à décider de ce qui fait sens pour eux. J’ai récemment fait ce constat amère : la mondialisation fait de chacun de nous un gros con. Nous consommons, agissons tous de façon néfaste pour l’environnement, par les vêtements, la nourriture, la technologie. Toute personne qui en blâme une autre parce qu’elle n’agit pas assez bien ou durablement à ses yeux est encore plus stupide.
Globalization makes an asshole out of all of us.

Que pensez-vous de la location de vêtements ?
J’adore l’idée de la location, j’ai quelques amies qui loue les pièces de défilés, à raison de trois par mois, et les gardent aussi longtemps qu’elles le souhaitent. Pour l’environnement c’est un coup de génie, c’est une belle façon de tester avant d’acheter pour être sûr(e) de vouloir garder la pièce ensuite, mais aussi de ne pas être victime de compulsion pour une occasion spéciale, et ne finalement jamais reporter un vêtement.
J’aime également beaucoup StyleLend également. Ce sont des vêtements loués par des particuliers, notamment des robes de cocktails ou des pièces rares.
Quelles sont vos recommandations pour visiter New York ?
Se promener au Whitney Museum, prendre le temps pour un café au sommet, continuer l’après-midi à se balader le long de la skyline, puis courir se changer pour une robe incroyable, et enchaîner avec une soirée http://www.standardhotels.com/new-york/features/le-bain sur le toit du Standard Hôtel, Le bain. La vue est magnifique, ils ont une crêperie à se damner, la musique est super.
Oh ! Et les rooftop parties à Brooklyn… Le street art de Bushwick.
Quelles sont vos icônes de style ?
La jeune maman française est mon idéal de Style ! Simple et fabuleuse, en jean droit et T-Shirt structuré. Classique efficace. Une blouse unie, une veste bien taillée. En tout cas c’est l’idée que j’en ai !
Mes lecteurs m’inspirent énormément, les conversations que nous entretenons, leur problématiques concrètes du quotidien. J’adore prendre le temps de rencontrer les gens en soirée et tenter de comprendre quelles peuvent être leurs attentes, beaucoup de mes thématiques d’articles viennent de là. Ils posent des questions dont j’explore les réponses quand je ne les connais pas. C’est génial pour moi et bénéfique pour eux, c’est d’ailleurs ce qui marche le mieux.
Une jolie citation pour finir ?
« L’une des pénalités d’une éducation écologique est que l’on vit seul dans un monde de blessures. Une grande partie des dommages infligés à la terre est tout à fait invisible pour les profanes. Un écologiste doit soit durcir sa carapace et faire croire que les conséquences de la science ne lui appartiennent pas, soit être le médecin qui voit les stigmates de la mort dans une communauté qui se croit bien et ne veut pas qu’on lui dise le contraire. »
Aldo Leopold.
C’est atrocement vrai. Plus l’on se cultive et l’on réalise la tragédie de notre propre Histoire écologique et Humaine, plus c’est douloureux et semble sans espoir. J’ai longtemps pensé que changer mes habitudes de consommation pouvait panser ces blessures, aujourd’hui je sais que c’est une pierre dans l’eau.
Il faut qu’on change complètement, profondément et consciencieusement de paradigme.
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