Pourquoi les marques éthiques seront plus compétitives à terme
Rédigé par Victoire Satto
Le 08 févr. 2022
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La Responsabilité Sociétale des Entreprises est une stratégie inscrite dans le temps long. Elle est contraignante, elle coûte cher et crée des valeurs qui ne sont pas prises en compte dans le chiffre d’affaire. Tout porterait à croire que les sociétés qui ont investi des moyens financiers et humains dans la RSE sont moins rentables que celles qui ont ignoré cette démarche pour réaliser des marges toujours plus gourmandes. On pourrait penser que ces dépenses sont les premières – superflues ?- abandonnées après la crise. C’est précisément l’inverse [1]: les marques durables qui assument pleinement leurs responsabilités envers les employés, partenaires et tentent de maîtriser leur impact sur l’environnement, survivent mieux à l’heure actuelle. Ce sont elles qui ont gagné du terrain depuis le début de la crise sanitaire.

Les forces intrinsèques des marques responsables
1) Les marques éthiques n’ont pas besoin de transiter vers une production responsable
À l’heure où le virus nous rappelle notre vulnérabilité et la superficialité de nos habitudes consuméristes, de nombreuses marques déclarent ralentir leur course. On ne défile plus chez Saint-Laurent [2], les collections verdissent comme chez Mango [3], le luxe à la carte réduit sa course autour du monde chez Farfetch [4] qui mesure avec effroi l’impact de ses envois.
Les grandes marques souhaitent faire part de leurs bonnes intentions aux consommateur·ice·s, mi-enthousiastes mi-sceptiques. Les marques dont l’éthique fait partie de l’ADN n’ont pas attendu la crise pour partager leurs valeurs et continueront à communiquer sans effort ni budget additionnel pour convaincre.
2) Les marques éthiques sont plus proches de leurs communautés et ces communautés les soutiennent
Bien souvent, elles se sont construites en partageant leurs combats (la solidarité féminine), leurs interrogations sur les meilleures pratiques (coton biologique ou polyester recyclé ?), leurs améliorations continues (changement de packaging) en transparence. Elles ont une aptitude vraie à échanger directement via les réseaux, les newsletters ou les chats en ligne.
Les consommateur·ice·s les considèrent comme des personnes morales (ce qui devrait être la définition de toute entreprise) avec des forces et des faiblesses. Leur empathie en période de crise est donc majorée, ce qui se traduit par un soutien également économique.
3) Elles entretiennent, dans la durée, des relations de confiance avec leurs partenaires
Ce point est clairement ressorti lors de notre live Instagram avec Hindbag et a été soulevé Nathalie Lebas-Vautier de Good Fabric qui travaille depuis 17 ans avec les mêmes fournisseurs de coton biologique en Inde. La plupart des marques de fast-fashion changent de fournisseurs à chaque collection et vont au plus offrant (= au plus cheap), sans engagement éthique ou financier.
Les travailleur·euses du vêtement ne bénéficient généralement pas des droits fondamentaux ou d’un minima de revenu en cas d’arrêt d’activité. Du fait du COVID-19, des millions d’entre elles et eux sont brutalement dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins y compris alimentaires, pour une durée indéterminée [5].
Lorsque l’activité reprendra, la main d’œuvre non seulement ne sera pas aussi disponible et forte, mais risque d’être méfiante à l’égard de ces marques désengagées. À contrario, celles qui, comme Hindbag, auront assuré un salaire minimum à leurs partenaires malgré l’absence d’activité, pourront compter sur une reprise agile et efficace.

4) Elles distribuent en direct au consommateur·ice direct-to-consumer
La vente en ligne directe aux consommateur·ices n’est pas le seul canal de distribution mais prédomine chez ceux que l’on nomme les « dé-ene-vé-bé » / DNVB, un acronyme chéri des podcasts-où-on-prononce-trop-d’angliscismes qui signifie Digital Native Vertical Brand. Il définit les marques qui distribuent exclusivement leur
Avant l’avènement du digital, les marques étaient contraintes d’avoir leurs propres boutiques, ou d’être distribuées par d’autres (boutiques multi-marques, groupes…). Ce circuit a un coût, (locaux, entretien, salaires, marge de la boutique…) et multiplie le prix coûtant du vêtement par 4,5 en moyenne.
Globalement on décompose ainsi le prix :
Prix consommateur = [coût de fabrication du vêtement (x 2 ou plus pour la marque) + (x 2,5 ou 3 ou 4 plus pour le distributeur)] [7].
En résumé ! La vente en direct de la marque aux consommateur/rices via internet réduit significativement le coût final du vêtement, plus attractif pour les client·es. Par ailleurs l’économie induite pour les marques est profitable à la recherche et à l’innovation.
5) Les marques éthiques sont habituées à produire moins de collections, en petites séries voire en pré-commande
Qu’il s’agisse de petites séries comme chez Second Sew ou d’un système de précommandes comme chez Asphalte, les marques dont la production est raisonnée n’ont pas de stocks gigantesques à écouler absolument en vitesse, à brader, détruire ou remiser auprès de prestataires qui profiteront de la situation pour augmenter leurs loyers. Les produits, moins saisonniers et plus intemporels par soucis de durabilité, n’ont pas eu de mal à être écoulés dans le temps, n’étant pas inscrits dans une « tendance ». Les consommateur·ices n’ont pas été déçu·es de ne pas voir de renouvellement imminent et systématique de l’offre, car ce n’est pas ce qu’ils recherchent dans les marques éthiques.

Le marché se transforme
1) Les cartes du pouvoir d’achat vont se redistribuer
Les marques de fast-fashion comme celles de luxe « tape à l’œil » qui fonctionnent sur les its (bags, shoes, drops…) ont perdu de leur attractivité avec le déclin de « l’habillement social ». En confinement, pas de show off depuis son canapé ! On s’habille pour soi et cela se résume à nos pièces préférées, confortables et sans bling. Pour autant, nous aimons consommer, des parts de marché qui seront redistribuées au profit de marques à l’offre plus intemporelle et plus adaptée à nos modes de vie et à une prise de conscience qui nous recentre brutalement sur l’essentiel.
2) Les consommateurs étrangers, même pour le luxe, vont sans doute concentrer leurs forces d’achat sur leur propre pays
Hermès a causé une grande frayeur et certains partisans – desespérés ? – de l’ancien régime ont rêvé d’un revenge buying après un raid dans un magasin de l’enseigne, lors du déconfinement de Shanghaï. L’analyse plus fine de ce cas isolé montre que ce jugement aurait été trop rapide [8]. La communauté chinoise, habituée à acheter lors de ses déplacements (dans les aéroports et les villes mythiques telles que Paris), semble avoir rapatrié son pouvoir d’achat vers des boutiques de proximité et également des marques chinoises. Par ailleurs, le gouvernement chinois a lancé une opération de bons d’achat via les systèmes de paiement en ligne WeChatPay et AliPay. Le but est d’éviter une guerre des prix, des soldes débridées, et surtout, de favoriser les achats intra-muros pour prévenir une récession post crise (pour aller plus loin cf [9]). Il est donc peu probable que les dépenses s’effectuent, dans le futur, au profit de marques européennes.

3) Les marques retrouvent -au moins dans la communication- le sens des priorités
« Le succès du secteur du luxe a reposé sur des comportements narcissiques (auto-branding, réseaux sociaux) qui semblent totalement usurpés alors même que (…) la fonction la plus fondamentale de protéger les personnes n’est pas assurée par les États ». Ces valeurs superficielles qui constituaient parfois le plus fort atout de ces marques nous paraissent désormais obsolètes. Trouver une nouvelle raison d’être sera pour elles un grand effort et demandera un long travail d’acquisition de confiance des consommateur·ices. Les marques éthiques, intimement ancrées dans une démarche de bien être et de RSE, n’auront pas à se réinventer.
4) L’évolution des consommateur·ices citoyen·nes
Les citoyen·nes ont plus que jamais besoin d’être rassuré/es sur leurs achats. On veut savoir : ce qu’on mange, ce qu’on met sur la peau, où va notre argent, quelles marques favoriser. C’était vrai avant le COVID-19, c’est plus que jamais d’actualité. On assiste sans doute à la fin du règne de la consommation de masse, intimement associée à la crise.Nous voulons des marques qui apportent des preuves et des réponses, si possible certifiées, à nos questions. Nous accordons plus facilement notre confiance à des marques locales, françaises ou européennes et engagées pour une économie et des emplois également locaux. Ces marques ont compris que leur devenir ne se ferait pas sans avenir planétaire, pas non plus aux dépens de vies impunément exploitées, ou dans l’injustice ordinaire.
5) Les citoyen·nes consomment moins, des produits moins inscrits dans les saisons et la temporalité
Et cela s’apprête à durer : moins de sorties professionnelles, moins de voyages, moins de confrontations sociales. Tourner en rond dans nos foyers nous a fait faire un grand tri, réaliser avec d’autant plus d’acuité la quantité faramineuse de « possessions » qui polluent notre espace vital et mental plus qu’elles ne nous enrichissent. Moins de superflu, plus de durabilité. Des achats sans heurts pour notre bien être et celui de notre habitat planétaire global.
Consommer est un acte de foi en l’avenir, sa soutenabilité. Nous n’allons pas nous arrêter là mais nous pouvons le faire différemment. D’après une récente étude réalisée par Tagwalk sur 800 personnes, 75% d’entre elles sont prêtes à payer plus pour une marque engagée, 71% favorisent le local, 46% regardent attentivement une étiquette avant d’acheter un vêtement. L’humanité est sur le fil du rasoir, il n’y a plus d’histoire marketing suffisamment solide pour nous faire avaler la couleuvre d’une vie améliorée par un acte d’achat, motivé seulement par une campagne publicitaire. Il faut une raison d’être avant d’avoir, un atout que les marques éthiques ont constitutionnellement sur les autres.
Références
[1] BOF / Clare Press
[2] BOF
[3] Fashion Network
[4] Vogue
[5] WWD
[6] Blog Bonne Gueule
[7] BOF
[8] BOF
[9] BOF
[10] Le Monde
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