Faut-il ou pas faire des enfants en 2022 ?
Rédigé par Louna Scherrer
Le 24 janv. 2022
Minutesde lecture
Trouver un travail, un·e conjoint·e, un logement, se marier et avoir des enfants sont autant d’étapes à cocher pour “réussir” sa vie, selon les normes sociétales. Si l’on prend un peu de retard dans cette liste préconçue, la pression sociale nous rappelle vite à l’ordre…vous le savez probablement, notamment si vous êtes une femme trentenaire sans enfant. Et si l’accomplissement personnel pouvait se trouver ailleurs ? Faire des enfants peut être une source d’épanouissement pour certain·e·s mais c’est un choix qui ne convient pas à tou·te·s. Face à cette question politique et sociale qui soulève de nombreux débats, on a échangé avec Bettina Zourli, femme de 30 ans, cisgenre, heterosexuelle et child free. Rédactrice web, elle libère la parole sur le sujet en créant du contenu sur les réseaux sociaux, notamment à travers son compte Instagram @jeneveuxpasdenfant.
Naît on child free ou le devient-on ?
Une décision naturelle pour Bettina
Pas de déclic pour Bettina Zourli, mais plutôt un choix normal et naturel. Elle n’a jamais voulu d’enfant et n’a jamais pensé en vouloir. Bettina a eu la chance de grandir au sein d’une famille qui n’exerçait pas de projections sociales sur elle, comme cela peut être le cas dans certains foyers, avec des phrases du type “quand tu seras mère (…)” ou “tes enfants seront (…)”. Le choix de la parentalité était un non-sujet jusqu’à son mariage, au décours duquel elle réalise que concevoir des enfants est la suite logique pour beaucoup. Cette réaction sociétale stigmatisante l’incite alors à mettre des mots sur ce qu’elle ressentait et dire publiquement qu’elle ne souhait pas d’enfant.
La nécessité d’un coming out ?
Bettina est en couple avec un homme child free. Alors que personne ne demande “pourquoi ?” à un couple de futurs parents, une volonté de non grossesse demande souvent des justifications. Est-il nécessaire de réaliser un coming out ? Pour Bettina, pas de grande annonce mais plutôt une discussion avec sa famille, qui n’a pas été surprise. Bettina aime disposer de son temps libre avec spontanéité et mobilité, ce qui est plus contraignant (mais pas incompatible) avec une vie de famille.
“Parfaitement, je n’serais jamais comme t’es / Car j’ai rien fait comme tu m’as dit / Mais tu vois je souris aussi”
Eddy de Pretto, Parfaitement
Les raisons de (ne pas) vouloir d’enfants en 2022
Pourquoi être child free en 2022 ?
Nombreuses sont les raisons pour ne pas faire d’enfants en 2022, n’en déplaise à la pression sociale. Il existe autant de raisons de ne pas vouloir d’enfants que de personnes child free, et personne ne devrait avoir à se justifier. Mais comme la compréhension de l’autre permet plus de tolérance et de bienveillance, on a demandé à Bettina 6 raisons de ne pas vouloir d’enfants en 2022. Voici six arguments basés sur son expérience personnelle et les témoignages reçus sur son compte instagram @jeneveuxpasdenfant, qui constituent une liste non exhaustive des arguments child free :
- Parce qu’on en n’a pas envie.
- Par engagement féministe : faire un enfant, c’est la porte ouverte à l’exacerbation des inégalités, en particulier au sein d’un couple hétérosexuel. Les femmes sont majoritairement désavantagées par rapport à leur conjoint lorsqu’elles fondent une famille. À l’échelle du couple, c’est sur elles que repose une majorité de la charge mentale liée à la vie de famille. À l’échelle professionnelle, beaucoup ont encore du mal à concevoir qu’une femme puisse être mère de famille et business woman à la fois. Ce sont souvent les femmes qui prennent le plus de congés, travaillent à temps partiel pour s’occuper du ou des enfants, ce qui contribue à créer un plafond de verre qui les empêche de gravir les échelons du monde professionnel.
- Par préoccupation écologique. Comme beaucoup d’entre nous, Bettina est touchée par l’éco-anxiété. Sa décision n’est pas freinée par l’impact carbone généré par le fait d’avoir un enfant et la pollution que cela engendre, comme d’autres peuvent l’être. Sa principale inquiétude écologique serait de mettre un enfant au monde dans l’état actuel de la planète et l’avenir incertain de l’humanité, qui peut être anxiogène.
- En raison de la Tocophobie, qui est la peur d’être enceinte et d’accoucher (du grec tokos « accouchement»).
- Par préoccupation financière. Selon Bettina, le manque d’aisance financière peut malheureusement constituer un frein, notamment pour les femmes. Elles sont plus facilement touchées par la précarité financière que les hommes, phénomène exacerbé dans le cas de la monoparentalité. La peur de ne pas pouvoir subvenir correctement aux besoins de son enfant, ou d’être précarisée voire paupérisée, peut être une source d’inquiétude et de dissuasion.
Fonder une famille en 2022
Oui, à condition de se poser les bonnes questions
Bettina ne juge pas le choix de vouloir des enfants. Elle met en avant l’importance de la réflexion dans la prise de décision :
Mon désir est-il né de la pression sociale qui me pousse à suivre la norme ou d’une réelle envie personnelle ?
Est-ce que faire un ou des enfants me rendra plus heureux·se ?
Est-ce compatible avec mes ambitions futures ?
Pour elle, il est important de déconstruire la vision de l’enfant comme l’aboutissement d’un couple.
Oui, à condition d’être en bonne santé mentale
Le parcours parentalité doit être, selon Bettina, sous réserve de santé mentale. Cette dernière est souvent négligée, alors qu’on prend rapidement en considération la santé physique, car elle est visible. Or, le foyer est pour les enfants un lieu de violences et de traumatismes potentiels, causés par des adultes en mauvaise santé mentale. Réaliser une thérapie individuelle, ou en couple, peut être un bon moyen d’y voir plus clair. Bettina condamne ce qu’elle qualifie de “bébé pansements” : les enfants qui sont faits dans l’espoir de “sauver” sa vie de couple.
©Ponyo sur la falaise
@jeneveuxpasdenfant, un compte qui met en lumière un sujet tabou
La création du compte Instagram
Lors de la publication de son essai “Child free, je ne veux pas d’enfants” en 2019, il existe peu de compte Instagram qui traitent de cette question, notamment dans l’espace francophone. Si elle a beaucoup aimé rédiger ce livre, ce format n’est pas propice à l’interaction. Mû par une volonté de transmettre ses connaissances et de discuter avec une communauté, elle crée son compte en mai 2019. Ainsi, elle libère la parole et redéfinit la norme. Ce compte permet aux personnes childfree de déculpabiliser, de s’identifier, de gagner en visibilité et d’avoir un lieu d’échange. Bettina partage les témoignages qu’elle reçoit, de femmes et d’hommes qui trouvent le compte libérateur et constatent qu’iels ne sont pas seul·e·s face à cette décision. Aujourd’hui, elle aborde des thèmes plus diversifiés, comme les douleurs vulvaires, les enfants victimes de violences ou bien la sexualité en général.
Le compte instagram de Bettina
Les pays francophones et la culture des naissances
La France est un pays très nataliste, puisque c’est l’un des pays Européens qui connaît le taux de natalité le plus important. Historiquement, la population est un enjeu national. On doit notamment cet héritage de repopulation au traumatisme post-guerre et à la volonté de repeupler le pays. Bettina souligne que le terme child Free, qui existe depuis plus de 50 ans aux Etats-Unis, n’a d’ailleurs pas d’équivalent officiel dans le dictionnaire francophone.
Couple et parentalité, et si on déconstruisait notre vision des choses?
La question de la parentalité est centrale dans le couple et peut être source de discussions, de conflits voire de frustrations. On ne peut forcer quelqu’un à vouloir un enfant, et inversement. Bettina est mariée à un homme également child free, elle s’interroge cependant sur la notion de parentalité en couple.
Pourquoi faire un enfant doit-il se faire uniquement dans le cadre d’un couple ?
Pourquoi ce ne serait pas un projet sociétale ?
Bettina a une vision du couple rationnel et n’idéalise pas sa relation. Pour elle, la valeur d’une histoire sentimentale ne réside pas dans sa durée mais dans les moments passés ensemble. La séparation n’est pas forcément un échec, c’est un signe que les envies respectives des partenaires ont évoluées.
Child free : Les recommandations culturelles de Bettina
Les livres :
- Lâchez-nous l’utérus, de Fiona Schmidt
- Un féminisme décolonial, de Françoise Vergès, qui lui a permis de décentrer son point de vue autour de la parentalité (et d’y apposer le prisme du racisme)
- Sortir de l’hétérosexualité, de Juliet Drouar, car iel explique brillamment en quoi le couple hétérosexuel peut être une source d’exacerbation des inégalités
- Les articles de Maïa Mazaurette pour changer sa vision de la sexualité
Les comptes instagram :
- @tantquejeserainoire et son podcast
- @momepodcast qui interviewe des personnes variées sur le désir ou non d’enfant(s)
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