Seconde main : créer de la valeur émotionnelle en racontant les histoires des vêtements
Rédigé par Coline Laurent
Le 24 mai 2023
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Alors que de nouvelles boutiques de seconde main ouvrent chaque semaine en France (et c’est une excellente nouvelle pour la mode circulaire !), ces nouveaux acteurs du marché commencent à se différencier les uns des autres. Quand certains se positionnent sur le prix, ou sur l’offre, d’autres, moins agressifs commercialement, cherchent à créer de la valeur émotionnelle ajoutée, en racontant des histoires. Tour d’horizon de différentes manières de faire, en 10 boutiques pas tout à fait comme les autres, sélectionnées avec soin par le collectif Encore.
Valeur émotionnelle ajoutée, ques aco ?
La patine d’un meuble ancien, une trace de réparation sur un vêtement vintage, ou un nom inscrit sur un objet, attestent qu’il a déjà eu une vie. Quand ? Où ? Avec qui ? Sont autant de questions que les consommateur·ice·s aiment à se poser, quand iels découvrent une pièce de seconde main.
Le concept de la Valeur Émotionnelle Ajoutée des produits d’occasion a été développé par le collectif Encore, par opposition à la valeur économique, qui si elle reste la première motivation à acheter de la seconde main [1], n’est pas ce qui rend le plus fier·e [2].
Selon le philosophe Heidegger, l’usure d’un objet est précisément ce qui permet de prouver que celui-ci est “utile”. C’est son “processus d’usage” qui fait venir un produit « à notre rencontre », (Les Chemins qui ne mènent nulle part, 1962).
Un autre penseur, plus contemporain a également publié sur le sujet de notre attachement émotionnel aux objets : Hartmut Rosa, dans Résonance (2021) déplore que l’accélération de nos rythmes de vie nous rende étranger·e·s aux objets que l’on possède. Il explique qu’autrefois, en réparant, en prenant soin de nos objets, nous y mettions un peu de nous-mêmes. La frénésie de consommation d’objets neufs, déshumanisés et sans histoire, lui apparaît comme un mal à combattre.
C’est aussi le sens de l’engagement du collectif Encore,convaincu que l’objet d’occasion, grâce à son histoire, permet à chacun·e de ressentir des émotions. Ce sont elles qui permettent de rendre la seconde main plus désirable.
Le site du Collectif Encore
Comment créer de la valeur émotionnelle en boutique de seconde main ?
En prenant le temps d’échanger avec ses client·e·s
Sans surprise, la façon la plus traditionnelle mais la plus efficace pour créer de l’émotion et raconter l’histoire d’une pièce est de l’avoir chinée soit même, et d’être présent·e en boutique pour transmettre son histoire au client.
À Paris, la boutique Un Jour Une Vieillerie en est un exemple hors du commun. Dans seulement 30m2, Alexandra présente des milliers d’objets, chinés en France, en Italie ou aux Etats-Unis, et pas un seul duquel elle n’ait rien à dire. On y vient comme dans un musée des souvenirs, et pour rencontrer sa gérante, qui aime raconter autant que découvrir les histoires que lui racontent ses client·e·s. D’ailleurs, elle immortalise souvent ses rencontres, en boutique (la sienne, ou chez d’autres brocanteurs).
Dans une interview, Alexandra déclare même que sa boutique “ce n’est pas vendre des choses, ce sont des histoires” et que ces histoires représentent “une sorte de rémunération pour [elle]”. Si vous ne pouvez pas lui rendre visite, vous pouvez la découvrir sur son compte Instagram ou dans l’épisode 3 de Mémorable.
Dans un autre registre, moins pop et plus bohème, mais toujours très lié à l’histoire des objets, la boutique Une Place Pour Chaque Chose à Carnac (Morbihan). Caroline chine et répare si besoin chaque objet de sa boutique. Sur Instagram, elle utilise souvent le hashtag #SauverLesChoses, pour faire le récit des “sauvetages” qu’elle réalise chaque semaine.
Grâce à des étiquettes qui racontent des histoires des objets
C’est LA solution la plus facile à mettre en place dans toutes les boutiques qui pratiquent le dépôt-vente, accueillent des dons, où dont les sélectionneur·euse·s chinent à la pièce (mais ne sont pas toujours en boutique pour transmettre les histoires).
A La Textilerie, des étiquettes sont à la disposition des déposant·e·s pour qu’iels y inscrivent leur nom, et une petite histoire.
La créatrice Sad Valentine explique sur chaque pièce la provenance du tissu et sensibilise à ses imperfections.
Le coin brocante du restaurant La Cantina à Paris regorge d’anecdotes car tous les objets ont été trouvés dans la rue. Cet espace, créé à l’initiative d’un éboueur, est particulièrement intéressant car il fait écho aux travaux de Roux et Gaillard [3], selon lesquels certains consommateurs voudraient “sauver de la poubelle” les objets d’occasion, car ce sont des pièces qui “ont une âme”.
Légères, rapides à remplir et à accrocher, les étiquettes sont un média intime et efficace pour apporter un petit supplément d’âme aux pièces que l’on examine.
Les étiquettes à histoire créées par le collectif Encore sont disponibles à la vente pour les professionnels. Contactez-les si elles vous intéressent !
Avec un téléphone à anecdotes, pour s’inspirer, et ralentir
Dans les boutiques Chez Henry, les histoires de vêtements sont à l’honneur. En plus des étiquettes à histoires, c’est toute une scénographie qui a été imaginée en boutique pour créer de l’émotion.
À Dinan, à Houilles et à Bordeaux, un téléphone à histoires permet de découvrir, pour chaque touche, une voix racontant une anecdote à propos d’un vêtement.
Louise Prévost, animatrice régionale des boutiques Chez Henry, est justement venue avec ce téléphone sur le podcast Mémorable.
Sans connaître l’histoire, comment créer de l’émotion ?
Proposer des animations en boutique
À l’instar d’Utopia Parents Club, à Lille, qui a installé un espace de jeux pour les enfants au milieu de ses rayons de seconde main, proposer des activités est une excellente façon de créer des souvenirs, et associer à la découverte d’un objet d’occasion un souvenir heureux.
Parmi les idées d’animations, on peut citer l’exemple des ateliers d’écriture, proposés par le Café Studio, des ateliers de personnalisation de vêtements proposés par Jermène, ou encore des ateliers de réparation, comme le font Les Récoupettes à Lille ou Sauve qui peut, à Paris.
Susciter l’imaginaire
En dernier point, la publicité, et le branding en général, peut aussi être une façon de se créer de la Valeur Émotionnelle, en suscitant l’imaginaire des consommateur·ice·s.
C’est le cas par exemple de Petit Bateau avec sa campagne de pub Changer Demain, qui affiche plusieurs prénoms d’enfants sur une même étiquette.
Le nom de la boutique peut lui aussi faire appel à l’histoire, sans que l’on connaisse réellement la traçabilité de chaque pièce. La boutique Histoires d’Enfants à Lorient, ou Des Histoires sans fin, à Rennes, comptent sur leurs noms évocateurs de transmission de souvenirs.
Enfin, il est possible d’accessoiriser les pièces de seconde main, même sans connaître leur histoire. Dans les boutiques Mercato par exemple, les étiquettes dessinées par Coline Lebaratoux ornent certains produits, et sont à disposition des clients qui viennent pour un cadeau (voir image ci-dessous).
Vous vendez de la seconde main et vous souhaitez apporter davantage de valeur à vos produits ? Le collectif Encore peut vous accompagner. Découvrez leurs réalisations ici et parlez-leur de votre projet !
Le site du Collectif Encore
Références
[1] Circular economy 2022, https://www.capterra.fr/blog/3145/ecologie-economies-raison-achats-de-seconde-main
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