Le marché de la seconde main, simple tendance ou vrai engagement ?
Rédigé par Pauline Malier
Le 14 sept. 2020
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2020 est à bien des égards une année de tournant. La prise de conscience de l’urgence écologique à l’échelle mondiale se couple d’une remise en cause des modèles de production et de consommation, dont la mode est un exemple exacerbé. En réponse à ces inquiétudes, une part croissante de consommateurs se tourne vers la seconde-main, poussant les entreprises à s’adapter et à repenser en profondeur leur fonctionnement. Marché concurrent ou complémentaire ? Les marques doivent-elles elles aussi faire preuve de résilience et si oui, quelle stratégie adopter ?
Si l’essor de l’achat de seconde-main – vêtements déjà portés et revendus – est contemporain, c’est qu’il s’ancre dans la prise de conscience de l’impact des industries de production de masse sur la planète. La surproduction liée au rythme effréné des fashion-week et à la constante recherche de nouveauté, entraîne, chaque année, la destruction de tonnes de vêtements. Le fonctionnement de la fast-fashion, mode à très bas coût dont H&M et Inditex sont les deux têtes de files, est au cœur de ces préoccupations, mais n’est malheureusement pas le premier secteur à réagir. Ce sont les marques de moyenne gamme et de luxe qui tentent de trouver des solutions innovantes pour repenser leurs modèles économiques.
À ces voix se couple une demande croissante de mode responsable côté consommateurs. Et alors qu’une majorité d’individus était plutôt frileuse à l’idée d’acheter des vêtements déjà portés, ils étaient plus de 40% en France en 2019 à se tourner vers la seconde-main (selon une enquête IFM-Première Vision Paris 2019. Écoutez Thomas Delattre en parler ici). L’ouverture de ce marché est-elle le signe d’un engagement réel et pérenne des marques et des consommateurs ?
Plateforme de seconde main en ligne Camaïeu
La seconde main impose des changements structurels aux marques de mode
Plusieurs pistes peuvent expliquer la volonté actuelle de consommer différemment. La baisse du pouvoir d’achat, d’abord, d’une partie de la population, qui se tourne vers des produits moins chers. La seconde main est proposée à des prix moindres, et à prix égal, acheter un vêtement certes déjà porté mais in fine de meilleure qualité est perçu comme plus intéressant. Les attraits financiers et qualitatifs sont forts, justifiants aussi le succès du vintage et de la friperie. Mais si les consommateurs de vintage, souvent experts et à la recherche d’un style pointu, existent depuis longtemps, c’est bien la démocratisation de la seconde-main comme consommation à part entière – et non plus réservée aux individus dans le besoin – qui est un réel changement.
Ces évolutions arrivent en même temps, en France, que la loi anti-gaspillage proposée en 2019 par le Ministère de la Transition Ecologique, qui interdit notamment la destruction des invendus textiles. Les marques, doivent petit-à-petit trouver de nouvelles façons d’écouler leurs stocks d’invendus, enjeu important pour la fast-fashion mais aussi pour les industries de mass-market qui produisent à grande échelle. Ce changement sous-tend une réflexion sur les niveaux de production. Dans le luxe, l’enjeu est encore différent. Comment en effet continuer de proposer un objet de luxe, s’il est possible de le trouver en plateforme de revente quelques semaines plus tard ? La seconde-main induit ici une réflexion sur le concept même de luxe.
Plateforme de seconde main en ligne Kaporal
Des initiatives multiples ne doivent pas perdre de vue l’objectif écologique
Plateforme de revente, voutcher ou collecte en magasin, nombres de solutions permettent aujourd’hui aux marques de contrôler tout le cycle de vie de leurs produits. Comme l’explique Olivier Clair, fondateur de Disruptual, concepteur de solutions sur ces questions : « La seconde vie est réintégrée dans la stratégie de la marque, et permet de contrer la perte de trafic en magasin et de prospecter de nouveaux clients ». Dans le luxe, la voie a été ouverte par le chausseur J.M. Weston, sous l’égide d’Olivier Saillard, ancien directeur du Palais Galliera. Les clients peuvent ramener leurs anciens souliers contre un bon d’achat sur les nouvelles collections. Les anciennes paires sont rénovées et revendues en boutique dans un corner dédié. Mais si cette initiative est possible en chaussure elle apparaît plus complexe en prêt-à-porter, raison pour laquelle les initiatives en la matière sont encore timides dans le luxe.
Plateforme de seconde main Weston
Les marques de milieux de gamme ont, elles, réagi plus rapidement, car l’heure est à l’urgence. La marque de jean française Kaporal, développe sa plateforme kaporalvintage.com, un espace de revente et d’achat de particulier-à-particulier. L’idée est de ramener le produit Kaporal sur une plateforme dédiée à ces produits plutôt que de passer par une plateforme extérieure type Vinted, explique Guillaume Ruby, Directeur marque et communication. Le vendeur a ensuite le choix entre un paiement (en liquide) ou un bon d’achat utilisable sur les nouvelles collections. Ce procédé, utilisé par plusieurs marques, présente plusieurs avantages. « La seconde main en elle-même ne rapporte pas beaucoup d’argent, mais elle permet de créer du flux sur la marque et trouver de nouveaux consommateurs », explique Thomas Delattre, Professeur à l’IFM. Alors que les acheteurs à faible pouvoir d’achat pourront s’offrir des produits de la marque en seconde-main, le vendeur a lui le choix de d’acheter à nouveau du neuf.
Ainsi les premières initiatives sont là… et parties pour durer. Mais le marché de la seconde-main doit être vu, au delà d’une opportunité business ou d’un concurrent, comme une vraie raison de réfléchir à nos modèles. Le neuf restera un laboratoire en termes stylistiques et techniques. De nouvelles façons de produire sont en cours de développement telles que la technologie 3D ou l’utilisation de matériaux durables (lin, laine, fibres naturelles). La seconde-main est une alternative, permettant aux marques de produire moins et mieux, équilibrant un neuf innovant et une seconde-main toujours qualitative.
Car une mode vraiment durable ne peut exister que sous condition d’un engagement réel de ses acteurs.
Plateforme de seconde main en ligne Petit h Hermès
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