Quelles sont les raisons qui font de la mode la 6ème industrie la plus polluante dans le monde ?
Rédigé par Simon Offen
Le 26 mai 2023
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L’industrie de la mode a connu une croissance exponentielle durant ces dernières décennies, avec des marques qui rivalisent pour produire des vêtements à des prix toujours plus attractifs. Cette production de masse a entraîné une consommation effrénée de matières premières, d’eau et d’énergie, ainsi qu’une production de déchets astronomique. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la production de textiles représente actuellement environ 1,2 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, chaque année. De plus, les pratiques de production souvent opaques et les conditions de travail dans les usines de confection dans les pays en développement soulèvent également des préoccupations éthiques et sanitaires. Néanmoins, de nombreux·se·s acteur·rice·s, avancent des solutions pour repenser le système et ainsi tendre vers un modèle plus vertueux. Dans cet article, nous faisons état des différentes externalités de l’industrie textile.
La production de matières premières polluantes, du champ au tissage
L’un des gros problèmes de l’industrie textile réside dans sa production de nouvelles matières. En effet, à force d’innovations, les grands producteurs de vêtements qui souhaitent produire des textiles résistants, mais à bas coût, ont aussitôt hissé la pétrochimie en source majeure de fibres synthétiques. Ces matières requièrent des quantités importantes en eau, en énergie, mais également en traitements chimiques.
Ces étapes de fabrication ont un impact considérable sur les milieux naturels dans lesquels sont rejetés les produits de traitement. Ils représentent un haut risque pour la santé des ouvrier·ère·s qui peuvent être sujets à des irritations, allergies, voire des problèmes respiratoires et des cancers. Concernant les matières les plus polluantes, on retrouve, le polyester, le nylon ou encore, le coton.
Le polyester, grande star des « vêtements à jeter », est une matière apparue dès les années 40, elle constitue de nos jours plus 70 % des matières synthétiques. D’après le site de l’ONG Textile Exchange, le polyester représente à lui seul 54 % de la production globale de fibre sur l’année 2021. Le polyester recyclé, qui n’est, par ailleurs, pas non plus une alternative optimale, représente 14 % de ce pourcentage. Même lorsqu’il est question de produits naturels, comme le coton biologique, il ne faut pas baisser la garde. La présence de plan OGM à proximit de parcelles de cultures biologiques entraîne une contamination des plantations certifiées bios à proximité.
C’est notamment pour cette raison que l’enseigne H&M a été épinglée par The Financial Times, qui a fait appel au laboratoire pour analyser le coton biologique vendu chez le géant suédois, révélant que 30 % des échantillons contenaient du coton génétiquement modifié.
Plusieurs entreprises travaillent dans la confection de matières plus durables qui tendent à se démocratiser davantage. On peut citer le TENCEL, le Chanvre, le lin, le coton biologique, Lenzing ECOVERO, mais encore bien d’autres, que vous pouvez retrouver dans notre lexique des matières.

Une consommation importante en eau et la pollution des milieux aquatiques
Les matières synthétiques libèrent une quantité colossale de microplastiques à chaque lavage, qui vont terminer leur périple dans les milieux aquatiques.
En parallèle, environ 93 milliards de mètres cubes d’eau sont utilisés par l’industrie de la mode chaque année, soit l’équivalent des besoins de cinq millions d’individus. Les matières naturelles ne sont pas alimentées que par de l’eau de pluie, à l’image du coton, la demande importante à l’échelle mondiale pousse la majorité des agriculteurs à intensifier leur production. La mode ne touche pas simplement les milieux terrestres et les nappes phréatiques. Elle représenterait 20 % de la pollution des eaux, surtout due à la teinture et aux traitements de nos textiles.
Détresse sanitaire et économique pour les ouvrier·ère·s
La mode a également un coût humain qui ne peut pas nous laisser insensibles. Aux alentours des années 60 et 70, avec une industrialisation des pays en développement, nombreux sont les fabricants occidentaux qui ont décidé de faire produire dans des pays tels que la Chine, l’Inde ou encore le Bangladesh. Pourquoi ? Tout simplement, car ce sont ces localisations où les salaires sont les plus bas. Parmi elle, l’une des localisations les plus importantes est le Bangladesh, tristement connu pour l’épisode de l’effondrement de l’usine Rana Plaza. Ce scandale a révélé l’impact de nos garde-robes bon marché à l’autre bout du monde, avec 1238 personnes, surtout des femmes, qui ont perdu la vie et 2500 personnes blessées. Cette accentuation de la production est également due à la décision. De la part de Pékin d’augmenter les salaires progressivement entre 2001 et. 2011. Le Worker Rights Consortium démontre que les salaires chinois ont augmenté de 124 % pendant cette première décennie.
Progressivement, les grandes enseignes ont fait migrer leurs sous-traitants vers les pays L’Asie Sud-Est et l’Ethiopie. Le Bangladesh est le second producteur mondial de textile. Cette industrie est d’une importance capitale dans le développement du pays et sa participation au commerce international, avec pas moins de 80 % de ses exportations dans ce secteur. Au fil de son industrialisation et de revendications de la part des employés, les sous-traitants ont été dans l’obligation de multiplier les augmentations de salaire. Le salaire moyen des employés du secteur de textile atteint environnement, 83 € par mois.

Une pollution des déplacements
Revers de plusieurs décennies de délocalisation, il est dorénavant plus rentable de produire ses pièces très loin, dans des pays où la force ouvrière est sous-payée, que de produire moins, à l’échelle européenne, voir localement. Selon un rapport de la Fondation Ellen MacArthur, le coût énergétique des transports des marchandises dans la mode constituerait 10 % des émissions de CO2. Pour l’acheminement par voie maritime, ce pourcentage s’établit à 4 %. Mais le coût environnemental des transports ne représenterait 2 % des externalités de la mode, qui transporte surtout ses marchandises par le biais de porte-conteneurs et dont les émissions sont davantage liées à l’énergie.
L’essor des modes de livraison express, ponctuels, voire sous forme d’abonnement, comme le propose ASOS et son offre ASOS Premier, accentue encore chez les consommateur·rice·s un sentiment d’illusion de l’instantané, en réduisant toujours plus les délais de fabrication, et donc la qualité et les droits pour celleux qui la font. Il n’augmente que davantage la pollution du dernier kilomètre.
La pollution des déplacements dans l’ombre est également présente dans la communication de la mode : les shootings, les Fashion Weeks impliquent généralement des déplacements importants pour les priviligié·e·s. Selon un rapport publié en 2019 par Positive Luxury, un défilé de mode peut générer jusqu’à 241 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre, rien qu’en déplacements. Certaines villes montrent déjà l’exemple, comme Copenhague, qui pour atteindre ces objectifs de durabilité a pris des initiatives fortes comme la sélection de designer·e·u·s engagé·e·s, l’utilisation de lieux à impact. Elle s’organise pour une réduction de la durée des défilés, l’organisation d’ateliers et d’expositions sur les thématiques de transition de l’industrie, ou encore, recyclage et la réutilisation des vêtements.

Un volume de production au-delà des ressources
Notre vision du vêtement a aussi grandement changé ses dernières années. Aidée par un marketing sur les réseaux sociaux, la mode se renouvelle encore plus vite. Un nouveau rapport à l’immédiat qui incite les marques à poursuivre une production toujours plus rapide des articles. Ces produits sont souvent de piètre qualité, imitant une tendance qui pourra facilement être likée sur les réseaux.
Le nombre de vêtements produits dans le monde a considérablement augmenté au fil des années. Selon des estimations, la production de vêtements a quadruplé depuis les années 1980, pour atteindre plus de 100 milliards, d’après l’ADEME. Cette hausse de la production est alimentée par la demande croissante des consommateur·rice·s pour des vêtements à bas prix et à la mode, qui entraîne une habitude au mythe de l’abondance et du renouvellement. La valeur émotionnelle du vêtement est faible et son usage quasi unique.

L’industrie de la mode, un mix énergétique colossal
L’énergie alimentant les pays producteurs de textiles et de vêtements est dépendante d’un mix très carboné. On s’explique : 90% des textiles et vêtements produits dans le monde le sont en Asie. Des pays tels que la Chine, le Bangladesh ou l’Inde ont pour principales sources énergétiques le charbon et le gaz. Rares sont les avancées en matière d’énergies vertes, solaire, éolienne ou hydraulique, à quelques exceptions près comme le Vietnam.
Selon les données de l’Agence internationale de l’énergie pour 2020, le charbon représente environ 70 % de la production d’électricité en Inde, tandis que le pétrole et le gaz naturel représentent environ 20 %. Au Bangladesh, le charbon représente approximativement 64 % de la production d’électricité, tandis que le gaz naturel représente approximativement 33 %. Hors, 95% des émissions totales d’une entreprises de mode sont incluses dans le scope 3, soient toutes les indirectes amont/aval dans la chaîne de production, et liées à l’énergie requise pour faire tourner les machines.

Une nouvelle voie possible, à commencer par les consommateur·ice·s
Les mutations sont en constante évolution, du côté des consommateurs, qui deviennent au fil des scandales de production davantage regardants sur l’impact environnemental et social de ce qu’iels portent. Ce constat s’appuie en partie des chiffres obtenus du sondage entrepris par le Global Fashion Agenda, ONG dédiée à la mode durable, où 75 % des consommateur·rice·s des cinq pays étudiés considèrent le développement durable comme extrêmement ou très important. En France, d’après une enquête de la Haute École de Conseil en image et le cabinet Thotaim, plus de 78 % des Français déclarent être prêts à payer plus cher pour des vêtements écoresponsables.
De nombreuses actions œuvrent au quotidien, par des conférences, des émissions, documentaires, mais également des pétitions, comme récemment avec le collectif d’acteurs de la mode et leur pétition pour contraindre et réglementer les activités du mastodonte SHEIN. Au fil des années, l’éveil semble se faire et les actions de chacun·e pour une consommation plus saine semblent à se démocratiser. Nous pouvons orienter notre modèle vers un des principes plus raisonnés, en favorisant la sobriété, afin de redessiner une industrie plus en phase avec l’urgence écologique que nous ne faisons qu’entamer.
Références
- Impact environnemental de l’industrie textile
https://www.theecoexperts.co.uk/blog/top-7-most-polluting-industries
- Pollution de l’eau
https://www.clear-fashion.com/blog/l-industrie-de-la-mode-la-pollution-de-l-eau
https://www.lexpress.fr/styles/plaisirs/mode/h-amp-m-utilise-du-coton-ogm-certifie-bio_844565.html
https://forest-natural-workwear.com/fr/blog/la-pollution-textile
- Empreinte carbone des pays producteurs
http://media-publications.bcg.com/france/Pulse-of-the-Fashion-Industry2019.pdf
https://www.iea.org/data-and-statistics/data-tools/methane-tracker#comparison-sources
- Révolution conso-acteur·i·c·e
- Droit des travailleur·euse·s :
https://edition.cnn.com/style/article/rana-plaza-garment-worker-rights-accord/index.html
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