Nathalie Lebas-Vautier – Good Fabric

Nathalie Lebas-Vautier, Good Fabric
Ne pas attendre les crises pour agir. Pour Nathalie Lebas-Vautier, la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) est un projet d’entreprise qui s’inscrit dans une logique d’existence : faire le bien, armé.e de bon sens. La stratégie RSE repose sur l’engagement ferme d’un comité de Direction dont les idées positives diffusent au sein des équipes et des partenaires sur toute la chaine de production. Ensuite, il faut vite se mettre en actes, mesurer concrètement ses résultats et anticiper constamment le prochain défi à relever. Nathalie Lebas-Vautier est entrepreneure engagée dans la mode durable depuis 17 ans. Elle a fondé avec son mari en 2004 une marque éthique pionnière et l’une des plus connues en France : Ekyog.
Depuis 4 ans, le couple vit une nouvelle aventure au sein de Good Fabric, une seconde entreprise qui accompagne les marques dans leurs diagnostic et stratégie RSE, du terrain à la remodélisation de leur business model, en imaginant la société idéale à 2030 et 2040.
L’ÉPISODE DE PODCAST AVEC NATHALIE LEBAS-VAUTIER
LES DÉRIVES DU CACHEMIRE ET DU COTON BIOLOGIQUE
PRÉSENTATION
Je suis Nathalie Lebas-Vautier, entrepreneure engagée dans la mode durable depuis 17 ans et maman de 2 petites filles.
J’ai démarré dans le textile, travaillant pour différentes marques internationales. Pendant 10 ans, j’ai eu l’occasion de beaucoup voyager en Asie, appliquant le métier qu’on me demandait de faire : négocier le bon prix pour fabriquer un bon produit, délivré au bon moment.
J’avais alors peu conscience des Humains qui intervenaient sur les maillons de cette industrie. Le travail que je menais ne faisait pas sens pour moi qui ne comprenais pas pourquoi il fallait gagner toujours plus en marges, au détriment de la qualité, des conséquences environnementales ou sociales de nos actes.
Je passais beaucoup de temps au travail. À 30 ans, devenue maman, j’ai ressenti le besoin de changer. En cherchant à en connaître davantage sur l’impact du textile, j’ai rapidement découvert que le coton était la culture la plus polluante au monde, celle qui consomme le plus d’insecticides, pesticides et d’OGM quand on la rapporte à la surface agricole mondiale totale.
Mon mari et moi nous sommes concertés : nous avons lâché nos jobs, quitté Paris pour la Bretagne, notre région natale, et quelques mois plus tard, Ekyog est née, après une suite de voyages et de rencontres.
CHERCHEURS D’UNE ÉTHIQUE EN OR
Quand vous avez des convictions et peu d’argent, la notion de timing dans le business est importante. Développer des filières textiles alternatives a un coût, qu’il est impossible d’imposer si le marché n’est pas prêt à l’absorber.
Nous avons rendu ces filières possibles car nous avons créé une marque. Une marque pionnière en son temps, aventure entrepreneuriale portée par une formidable équipe humaine.
Dans un tel projet, rien n’est gagné d’avance car tout est à réinventer, vous êtes en permanence hors de votre zone de confort. Les moments de respirations sont rares.
En 14 ans, nous avons ouvert 51 magasins sur le territoire français, créé un peu plus de 130 emplois et su démontrer qu’il était possible de produire mieux, prendre en compte tous ces critères humains et environnementaux de traçabilité et surtout de sortir de son seul rôle économique bien qu’étant une marque.
Aujourd’hui on parle beaucoup de « Raison d’être », de « Mission sociale des entreprises ». Pour Ekyog, ces termes étaient inexistants car partie intégrante de l’ADN de marque au démarrage.
À titre d’exemple, dans la continuité de notre entreprise, nous avons créé une association pour soutenir la qualité de vie et l’économie locale dans les régions de nos partenaires. Nous avons contribué à financer d’autres cultures que celles du coton, comme les lentilles qui constituaient un revenu supplémentaire, la construction de puits d’eau potable, améliorant la santé des femmes, le développement de sites d’éducation pour les enfants, un premier pas vers la liberté.
Avec des petits moyens, on fait de grandes choses. Ni l’argent ni le fait de communiquer ne suffisent. L’essentiel est dans l’action. Je reste convaincue – peut-être à tort – que lorsqu’on fait les choses avec le cœur, on ne ressent pas le besoin de le crier sur tous les toits.
CONSTRUIRE UNE FILIÈRE QUAND ON EST PIONNIER
Quand nous avons commencé il y a 17 ans, la filière de coton biologique était quasiment inexistante. Le premier partenaire qui a accepté de nous suivre l’a fait pour nos idées, alors que nous n’avions pas de clients et très peu d’argent. En échange, nous avions à offrir des connaissances et une capacité à l’accompagner dans la fabrication de produits désirables. Un échange réciproque de services et une synergie d’actions à un timing commun.
À l’époque, l’Inde comptait 15 agriculteurs de coton biologique. 15, ce n’est rien ! Aujourd’hui ils sont plusieurs milliers. Nous travaillons toujours ensemble.
Avoir une personne locale pour partenaire est un atout sans pareil. Quelle que soit votre expérience, vous ne pouvez pas vous substituer à quelqu’un qui connaît l’histoire de son pays, son gouvernement, la conduite à tenir dans le business. Nous nous sommes mutuellement portés.
Il y a 17 ans il n’y avait pas d’électricité, tout était à la bougie. Tous les enfants n’allaient pas à l’école. Aujourd’hui, les infrastructures sont en dur, il y a l’électricité, les enfants sont tous scolarisés. Lorsqu’on s’y rend, nos discussions portent aujourd’hui sur l’éducation des filles et le mariage qu’il ne faut pas forcer.
Tout part de la volonté. Lorsque vous l’avez trouvée, il faut se mettre en marche pour se confronter à la réalité du terrain. Les courageux sont les faiseurs, ce sont eux qui donnent beaucoup.
LA SOURCE DES MATIÈRES PREMIÈRES
L’impact n’est pas seulement lié au choix des matières, aux fournisseurs de rang 1. L’impact est présent en amont, dès les étapes de culture, d’élevage qui produisent la matière première du textile. Les apparences sont trompeuses. Si les matières issues de la pétrochimie sont notoirement polluantes, le coton conventionnel qui est massivement utilisé l’est aussi. L’OMS dénombre 200000 personnes intoxiquées dans le monde par le seul contact de ces pesticides. Le bambou, le soja contribuent à une production textile dont les procédés de transformation eux aussi sont très délétères pour l’environnement. Aujourd’hui, 17 années après, des alternatives responsables comme le Tencel existent. Lorsque nous avons commencé, il existait un seul type de jersey en coton biologique de 180g/m, et quasiment pas de certifications. Sans repère, il est nécessaire de faire confiance à l’Humain. Discuter avec un fermier est très riche d’enseignement. Je ne suis pas formée à l’agriculture, je ne connais pas ce métier, mais je suis capable de m’y intéresser et d’en comprendre les enjeux. C’est la première démonstration de valeur apportée au travail de ses partenaires. C’est comme ça que nous avons commencé à développer nos matières, jusqu’au vêtement dans sa globalité.
GOOD FABRIC
Good Fabric est la structure que mon mari et moi avons créée il y a 4 ans.
Nous ne pouvions pas laisser perdre la valeur ajoutée pour l’industrie que représentait notre savoir-faire, notre réseau, nos relations et notre expérience. C’était particulièrement important dans le contexte actuel de la mutation industrielle. La consommation change, la décroissance est engagée, de nouveaux marchés émergent. Nous avons donc développé deux métiers au sein de Good Fabric :
– Nous accompagnons les marques et entreprises dans leurs diagnostic et stratégie RSE, du terrain à la modification de leur business model et, au-delà, dans la projection imaginaire de la société à 2030 et 2040 ;
– Nous fabriquons des produits certifiés pour des marques dans l’univers du Luxe, de la décoration, de l’enfant, de la GMS bio, du prêt à porter, de l’enfant etc.
TRANSFORMER UN BUSINESS AS USUAL
Pour faire changer une entreprise, à fortiori un grand groupe, l’intention doit venir des dirigeants, de ceux qui portent la structure, qui fédèrent.
La RSE est un chemin long et uniquement faite de bon sens. Néanmoins c’est aussi faire des choix, donc avoir une capacité à renoncer.
Ensuite, toutes les parties prenantes doivent s’engager, guidées par le/la dirigeant.e.
Lorsque nous accompagnons une marque de fast-fashion, nous portons toute notre attention sur le produit. Cela signifie décomposer les silos de l’organisation sur laquelle la production repose et proposer à toutes ces parties un projet efficace et clair, dont chacun est convaincu de l’essence. Alors seulement, on forme les équipes sur toute la chaîne à ces nouvelles règles. Designers, acheteurs, chefs de produits : on déconstruit les réflexes acquis depuis des années, on les ajuste au service de cette démarche RSE. Cette transformation a un coût et la Direction Générale doit leur donner les moyens de pouvoir accompagner cette transformation. La durabilité doit s’inscrire aussi dans une nouvelle structuration économique, résiliente et patiente qui doit accepter de réduire ses performances financières à court et moyen terme pour s’inscrire dans la durée.
CULTIVER LES RELATIONS AVEC SES PARTENAIRES
Un des premiers critères de la RSE, c’est la fidélité. L’engagement doit être pris sur plusieurs années. Il faut définir un prix fixe de la matière première et se décorréler du cours mondial du marché. S’engager concrètement signifie équilibrer les coûts et les responsabilités. Aujourd’hui la plupart des entreprises font supporter les coûts des certifications à leurs fournisseurs. Au-delà d’une relation business, il est fondamental de réengager le dialogue entre humains. Le prix et le chiffre d’affaire ne sont pas les seuls outils de valorisation d’une entreprise. La confiance entre ses parties prenantes et la confiance du client sont aussi des marqueurs de réussite.
Aujourd’hui, l’effort de vérité est une force pour une marque. La démonstration de sa vulnérabilité à travers une communication honnête est déjà en soi une démarche de progrès. Là où il y a faiblesse, il y a marge de progression. Oui, les marques font des erreurs et c’est une bonne nouvelle, car c’est cela qui les humanise, permet d’éviter les coûts du « marketing de panache ». Pas besoin de dépenser des millions pour expliquer simplement ce que l’on fait concrètement. Les millions sont à mettre dans la création de valeur.
LES CERTIFICATIONS
Avoir une certification est nécessaire, mais pas suffisant. La responsabilité incombe aux metteurs sur le marché, on doit savoir dans quelles conditions la filière a été certifiée. Les marques doivent se rendre sur le terrain et comprendre les processus, interroger les ouvriers. En ce qui concerne le coton biologique, il en est vendu plus dans le monde qu’il n’en est réellement produit. Quand un mouvement devient tendance, tout le monde s’y engouffre, sans se poser les bonnes questions.
Le cahier des charges le plus sérieux à l’heure actuelle est le GOTS, déjà 5 fois révisé. Je le recommande vivement, et conseille aux marques d’être vigilantes sur le choix des organismes certificateurs. Des deux principaux, Control Union et Ecocert, le second est selon moi le plus fiable. Pour autant, il ne faut pas cesser de vérifier par soi-même : échantillonner la terre, les balles de coton, le tissu fini. Plus vous montrez de l’intérêt à la filière, moins il y a d’entourloupes possibles. Ce coût est nécessaire à la fiabilité des labels. Les marques doivent aussi s’intéresser aux modes d’agriculture en transition, les coton-culteurs non certifiés en passe de le devenir. Cela fait grandir le marché global et donne accès à des facilitateurs économiques, telles que les premières graines biologiques qui sont financées par les coopératives. Il n’y a que des solutions. Ce qu’il faut, c’est la volonté de les trouver. La curiosité est essentielle et doit être perpétuelle. Récemment, en m’intéressant de près à une filière de PET recyclé, j’ai découvert qu’une usine de bouteilles en plastique neuves s’était créée spécifiquement pour l’alimenter. Sans me rendre sur place, je ne l’aurais jamais appris.
LE CACHEMIRE
Le cachemire est une matière d’exception : belle, douce, luxueuse, qui a été très abîmée. Quand les prix vont de 400 à 69 euros, on peut comprendre que le consommateur soit perdu. Nous avons structuré une filière en Mongolie extérieure, là où vivent les éleveurs nomades (NDLR il en existe des sédentaires et des semi-nomades ailleurs dans le monde). Nous avons d’abord observé les pratiques de tonte et de peignage pour savoir laquelle pouvait faire mal aux animaux. La réponse ? Aucune, cela dépend uniquement de la relation de l’éleveur à ses bêtes. Il y a des formations et des permis accrédités. Ces éleveurs mongols aiment leurs animaux qui sont leur raison de vivre. Ils vivent solidaires d’un écosystème comprenant la nature et leurs animaux : chèvres, moutons, chevaux. Good Fabric est en lien avec AVSF (Association des Vétérinaires Sans Frontières) qui nous assure de leur bon traitement.
LES MATIÈRES RECYCLÉES
Le niveau d’éveil des marques à ce sujet est assez élevé. C’est une des premières étapes perçues comme engagées et une manière assez simple de se donner bonne conscience. Pourtant, il n’y a pas encore de traçabilité ou certification de recyclage de matières biologiques. Recycler un produit toxique, c’est fabriquer un autre produit toxique. Il faut faire très attention aux solutions toutes trouvées. La circularité est l’enjeu de la prochaine décennie. Il faut également engager les clients finaux à avoir un impact sur l’environnement, dont 50% a lieu après l’achat. Faire un nouveau fil, un nouveau produit sain pour l’homme et de surcroit sur le territoire français est le prochain challenge de Good Fabric. Le suivant sera la compostabilité : alimenter les surfaces agricoles européennes actuellement à 50% désertées.
Nous travaillons à la structuration d’une filière de recyclage propre, tracée et localisée. Il s’agit de collecter efficacement, analyser le cycle de vie d’un textile, le dégrader et en faire à nouveau un fil sain, propre et certifié.
Reste le cuir, l’un des pans les plus sombres de l’industrie, dans lequel il persiste énormément d’inconnues. Les matières végétales sont pleines d’espoir, comme le Pinatex et les alter-cuirs végétaux. Même si ces défis représentent aujourd’hui des montagnes, je reste fidèle à la citation de Mark Twain inscrite depuis 17 ans dans mon bureau : « Ils ne savent pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »
L’ÉPISODE DE PODCAST AVEC NATHALIE LEBAS-VAUTIER
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