Crédits @JBAYLORROBERTS pour National Geographic – 1937
Se remettre en question(s)
Est-ce que j’ai commencé à ne plus acheter de vêtements neufs lors de ma quête de sens ? Oui, certainement. Comme un réveil global. J’ai voulu activement me réveiller d’une torpeur consumériste qui m’apparaissait insipide et m’éveiller au goût d’autre chose. L’une des actions concrètes a été de chercher des alternatives. Ne plus faire comme avant sans savoir quoi ni comment, cultiver d’autres talents, d’autres informations, me nourrir.
Je suis retournée à l’école pour m’engouffrer dans une bonne grosse formation en développement durable. C’était il y a dix ans.
Simplement, littéralement chercher qui me manquait, écouter d’autres musiques que celle de mes questions qui tournaient en boucles. Rencontrer, discuter, s’informer, réfléchir, interroger, aller au fond des choses.
Paradoxalement, un monde fait de plus de questions et d’inconnu s’est ouvert. L’incertitude, en dehors du fait d’être certaine de ne pas pouvoir continuer comme avant. Le grand saut dans le premier jour du reste de ma vie. Celui à partir duquel plus rien n’est simple, celui où plus aucune réponse à l’emporte-pièce ne convient. Non, la croissance n’est pas la réponse évidente à la question globale du progrès. Ni la décroissance d’ailleurs. Non, les réponses éclairées des uns ne peuvent pas forcément convenir aux autres. Non, le débat énergies renouvelables versus nucléaire n’est pas simple, de même que celui de l’agriculture conventionnelle et du bio. Non, les grandes industries ne sont pas que des grands méchants. Et non, dire non à tout n’est pas satisfaisant. Oui, nous avons besoin d’autre chose. En tant que société et en tant qu’individu.
Les questions ne se tarissent pas mais on rencontre de plus en plus de gens qui s’en posent, les discussions naissent et les actions suivent, heureusement.
La quête de l’unique
Alors, plus rien de neuf ? Ça a été une décision assez radicale, j’ai arrêté du jour au lendemain. Sacrifice ou pur activisme ? Non, finalement, l’idée même de ne plus acheter de vêtements neufs s’est imposée toute seule. Aussi parce que soudain il devenait possible d’
acheter des vêtements de seconde main tout à fait facilement. Possible parce qu’à l’évidence, je n’étais pas la seule à l’époque à rechercher cette alternative – d’autres femmes (oui, ça a commencé par les femmes) – s’y sont intéressées. Parce que cela leur donnait accès à des vêtements de qualité à prix inférieur au neuf, ou bien par goût pour un achat un peu plus durable, et probablement parce que les envies des femmes ne sont pas à mettre dans des cases. Les boutiques de seconde main de qualité ont commencé à apparaître, chacune avec son identité. Certes, c’est plus simple en vivant à Paris mais le digital a largement pris le relais de cette économie de l’ancien, pas si ancien.
Je dois ici tenter d’expliquer cette notion de goût pour un achat un peu plus durable. La nausée du
trop bien sûr – trop d’offre, trop de facilité à acheter très peu cher, trop de renouvellement de vitrines – et du
pas assez : pas assez de qualité, pas assez de valeur partagée pour les pays producteurs. Une nausée des étiquettes
Made in China ou approximativement pareil ou pire, tout cela était définitivement louche et depuis longtemps. Mais pas seulement. Finalement, je ne prenais plus de plaisir à choisir.
Plus rien n’était unique. Tout était copie conforme. Plus rien ne méritait que l’on s’y attarde. J’avais envie de beau et d’authentique, pas d’une offre pléthorique et à la mode aujourd’hui – c’est à dire plus à la mode demain. L’étiquette de la grande marque ou de la petite pointue ne me suffisait pas. Que se cache derrière une étiquette ? Le drame du Rana Plaza est arrivé. Soudain, nous étions plus à poser des questions. Le voile pudique sur une industrie dégueulasse – tous prix confondus – s’est définitivement levé. Soudain nous avons été nombreux à nous poser des questions, rechercher activement des alternatives. Mon histoire est celle de nombreuses personnes. Une autre offre a été mise sur le devant de la scène : des marques éthiques historiques ont gagné en visibilité et en légitimité. D’autres sont nées, créant un autre monde des possibles. Et l’offre seconde main s’est affirmée avec des enseignes essentiellement sur le web, rendant accessible et légitimant cette consommation alternative.
Là, sur la langue, un goût différent
Le goût de l’occasion je l’ai cultivé dans le secret, avec un plaisir croissant depuis une quinzaine d’années. Opportuniste et sporadique, et plus de 10 ans quasi exclusivement. Entendons-nous, je souhaitais partager mes adresses, mais j’avais peur que l‘image qui leur est associée me catégorise. Je préférais être ou paraître (est-ce si différent ?) Comme tout le monde, encore une fois. Je ne voulais surtout pas paraître écolo extrémiste, ni donner des leçons en bobo gâtée qui ne trouve pas son bonheur dans l’offre pléthorique des boutiques. Je n’avais pas envie de compter le nombre de nez qui se tordent quand j’avoue que non, aucune de mes paires de chaussures n’est neuve. Et que je me sens obligée d’ajouter : « Sauf mes runnings ! Et mes sous-vêtements ! Je ne suis pas ultra-zadiste non plus. Et mes chaussettes aussi, elles sont neuves mes chaussettes ». Je ne voulais pas faire de prosélytisme, être l’illuminée de service, la chieuse qui ne fait rien comme tout le monde… Ma limite a d’ailleurs été… Les cadeaux. Offrir des fringues de seconde main, je l’ai fait… Parfois ça plait (ma sista est sur la même longueur d’onde !), pas toujours. Où donc est la valeur du cadeau finalement ? Ceci fera sans doute l’objet d’un autre billet !
Alors, les boutiques ? Et bien je n’y vais plus. Jamais. Je n’en tire pas fierté, c’est juste un fait. C’est devenu une évidence de ne plus les regarder, ni elles, ni les prix, ni les soldes à attendre. Pas de sacrifice ici, aucun manque, bien au contraire : de la plénitude. Car ce choix n’est pas un -choix par défaut. S’habiller de seconde main ne veut pas dire renoncer, au style ou à la mode (bien que je préfère être un poil à côté par snobisme, il faut l’avouer) ni à mes envies. Bien au contraire, c’est une quête, un jeu, un plaisir.
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