Fattoyz, la marque des humains augmentés
Rédigé par Victoire Satto
Le 20 déc. 2020
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Gwen & Jhon sont les fondateurs d’une marque de streetwear et techwear, incluant des prothèses médicales pensées comme de réels accessoires de mode. Ils ont fondé FATTOYZ il y a 10 ans, adolescents, imprimant initialement des motifs graphiques sur des T-shirts à l’esprit underground. « Gros jouet » fait alors écho à la façon dont ils se définissent : des players de l’existence. En 2011, celle-ci redistribue les cartes, sans préavis : après un accident grave de la route, Gwen est amputée une jambe. La marque se réinvente, solidement ancrée sur la force du couple qui redouble de rage de vivre et de créativité. Fattoyz produit les premiers habillages de prothèse de membre inférieur à porter comme des accessoires. Audacieuse, esthétique, inclusive et 100% made in France, Fattoyz est un succès. Une marque symbolique qui s’impose dans la mode en retournant ses codes : faire d’une personne handicapée un humain augmenté et sous les projecteurs.
On peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation.
Platon
L’esthétique bouscule le regard de la mode sur le handicap
Gwen & Jhon, fondateurs de Fattoyz
JHON – Je suis né à Bogota. Mon grand frère et moi avons passé deux ans en orphelinat, jusqu’à ce qu’une nouvelle maman vienne nous chercher.
J’ai arrêté l’école en 4ème, j’ai suivi une formation de graphiste pendant un an, à la suite de laquelle j’ai gagné un concours de jeunes talents. J’ai décroché une bourse qui nous a permis de lancer la marque et créer la première collection. À l’époque on ne créait pas de vêtements, on avait acheté des stocks de T-shirts sur lesquels imprimer nos designs. On n’avait aucune expérience mais on dessinait beaucoup ! Les designs étaient simples, on gérait à peine les logiciels PAO* [Publication Assistée par Ordinateur – NDLR] et il n’y avait pas de plateforme de vente en ligne. On a donc démarché notre entourage. De bouches à oreilles, nous avons tout vendu.
GWEN – J’ai grandi dans une cité Toulousaine. La mode n’était pas vraiment une discipline comprise par mes parents, notamment mon père qui me destinait davantage au business. À la fin du lycée, après notre série d’impressions, je suis passée très rapidement par une école de mode dans le but d’embaucher une couturière pour créer notre première collection « Diamant Noir ». On voulait créer des pièces de streetwear inspirées de l’univers urbain, du skate, de l’underground.
Quand l’âme brille plus que l’Or
JHON – On est allé vers le streewear parce que ça nous ressemble. Gwen vient d’une cité toulousaine qualifiée de zone rouge, Bourbaki, je suis originaire d’un barillo, équivalent d’une favela. On vient d’en bas, la mode était un désir que l’on voulait rendre accessible aux autres.
Petit à petit, nous avons intégré les codes du luxe dans nos collections. Des signes de richesse visibles, du bling. Le ghetto en lui-même est très riche. Nous sommes riches de valeurs, nos inspirations vont de Mohamed Ali à Nelson Mandela… Les esprits brillants sont en quelque sorte bling !
GWEN – Fattoyz est une invention. C’est du slang, la contraction des mots FAT et TOYS, qui signifient « gros jouet » et représentent la société. IIs ont un double sens : manipulateur / joueur. Nous sommes des players du jeu de la vie. Notre slogan est en accord avec ce nom et porte notre histoire : Play or die, joue ou meurs.
Notre passé n’a jamais été cool, même avant l’accident. On a joué la partie imposée et nous voilà. Tapis.
Un handicap et la vie devant soi
GWEN – En 2011, j’ai un grave accident à la suite duquel je subis une amputation trans-tibiale (sous le genou). Nous nous apprêtons à vivre une pause d’une année, durant laquelle je passe par 10 interventions chirurgicales, avant la définitive. À l’époque, rien d’autre n’existe que des prothèses fonctionnelles, dont l’habillage esthétique se limite à une imitation de jambe humaine, en mousse. Je commence à envisager de concevoir ma propre prothèse mais le cheminement est long et se fait pas étapes. L’exercice de résilience d’abord, est immense. La rééducation est stigmatisante, décourageante pour la suite. Moralement c’est trop compliqué, je me détache du corps médical que je trouve limitant. Les échos de l’entourage sont nombreux et pessimistes, tant sur mes aptitudes que sur ma féminité : Tu ne marcheras jamais plus comme avant / Tu seras moins performante pour telle ou telle chose / Tu ne porteras jamais plus de talons. En tant que jeune femme, c’est très dur. Je ne veux alors rien entendre et reste convaincue que tout est possible.
Les prothésistes me proposent un matériel très peu technique. Les aqualegs [Prothèses permettant aux personnes amputées de nager – NDLR] par exemple, n’existent pas. Les esthétiques [L’habillage qui recouvre une prothèse – NDLR] sont des mousses en silicone couleur chair. Tout est pensé pour cacher, camoufler, dissimuler une différence et mimer ce que la société considère comme esthétiquement normal. Accepter mon nouveau corps a été un travail énorme et une étape très personnelle. La marque m’a permis d’exprimer ma créativité et de me réveler, dans un second temps.
Presque ironiquement, l’accident s’intègre naturellement dans l’histoire de cette marque. Mon père a également beaucoup mieux accepté ma carrière créative.
Tout est pensé pour cacher, camoufler, dissimuler une différence et mimer ce que la société considère esthétiquement « normal ».
Créer des prothèses mode est devenu une thérapie
GWEN – Concevoir ces prothèses a été pour moi une thérapie. Nous avons commencé par collaborer avec la marque UNYQ, elle-même associée à Ottobock, un des leaders mondiaux de prothèses. Notre premier habillage est sorti. Au fur et à mesure, nous avons cherché des solutions pour concevoir nous-mêmes nos modèles. Ils sont actuellemnt designés dans notre atelier et produits à Paris.
Nous les avons pensé très graphiques, inspirés directement de l’industrie automobile. Nous utilisons les mêmes systèmes logiciels 3D numériques, le matériau est un thermoplastique utilisé pour les pare-chocs de voiture.
JHON – Petit à petit, nous avons intégré le techwear à la street. Notre univers mélange les deux, reprend les codes de la science-fiction pour les habillages de prothèses comme pour nos pièces de prêt-à-porter.
La Science Fiction nourrit nos conceptions et nous différencie positivement. Certaines prothèses, les B-Cover, sont directement inspirées du film Ex-Machina : le squelette des robots androïds. Les modèles Golden et Silver Sharks ressemblent aux ailerons latéraux des voitures de sport.
Magnifier ces objets est une manière d’assumer sa différence, sans la revendiquer. Ils sont là pour aider les personnes handicapées à bien vivre leur handicap. Dans la cours de l’école, l’enfant devient bionique, envié plus que raillé, cela change son regard sur lui-même et donc celui des autres. L’apitoiement se transforme en une curiosité bienveillante, amusée.
Mode & Handicap : time to show off
JHON – Les retours ont été très positifs, via les réseaux notamment. Nous avons fait porté les prothèses a des athlètes ayant subit la même intervention que Gwen, comme Jean Baptiste Alaize [1] qui pratique le saut en longueur. Le terme de handicap ne me semble même plus approprié aujourd’hui car sa vie comme celle de Gwen ne sont en rien limitées.
GWEN – Dans la mode traditionnelle, la presse, les écoles de mode, le handicap est inexistant car il effraie, souvent par manque de connaissance. Oscar Pistorius [2] a été l’un de premiers athlète amputé mis en lumière par le couturier Thierry Mugler en 2011, qui en a fait l’égérie du parfum A*Men. Les hommes ont plus de facilités à se montrer sans esthétique de prothèse. C’est Oscar qui m’a incité à abandonner le silicone, le camouflage, de m’accepter sans un équivalent humain.
Rihanna a récemment fait défiler un mannequin amputé fémoral pour sa marque Fenty. Les choses bougent, laborieusement. Paradoxalement, les marques ont peur de prendre des risques alors que l’inclusivité leur donne une bonne image. La problématique est la même dans les grandes tailles. Ce sont des responsabilités qu’elles se doivent de prendre, et ce d’autant plus facilement que la mode est un domaine d’expression créative et d’esthétique. Tout est à inventer. Il suffit que quelques influenceurs relaient ou s’impliquent, à l’heure des réseaux sociaux, cela peut aller très vite.
Le techwear est trendy
GWEN – Notre nouvelle collection capsule intègre quelques détails tech, comme des boutons leds. Je crois qu’on ne mesure pas encore l’importance du techwear dans le futur de la mode. Ces modèles se développent dans le milieu médical : des vêtements connectés qui informent en temps réel sur les paramètres corporels (température, mouvements), encore prototypiques. Ils vont probablement beaucoup contribuer à l’acceptation des différences liées au handicap. Il aura des humains-cyborgs équipés de prothèses dont on ne pourra pas distinguer le caractère esthétique ou fonctionnel. J’ai vraiment de l’espoir. On espère développer cet aspect de la marque et la rendre internationale, tout en continuant à produire en France. Nous sommes actuellement les moins chers sur le marché. C’est essentiel car l’accessibilité permet aussi de diffuser le message d’inclusivité, de rendre ces acteurs visibles et forts de leur différence. Le mantra tatoué sur mon bras me le rappelle au quotidien.
La différence est une force.
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[1] Jean-Baptiste Alaize est né au Burundi en 1991 à la veille d’une guerre civile. À l’âge de trois ans, il est victime du conflit et doit être amputé d’une jambe. Il arrive en France le 12 juillet 1998 afin d’être appareillé et est adopté à Montélimar. Il court avec une prothèse en carbone spécialement conçue pour la compétition handisport et a intégré l’INSEP en 2010.
[2] Oscar Pistorius
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