J’ai tenté de retracer le parcours de mon pull en laine
4 min de lecture
In(tro)spection de dressing. Lucien, un fidèle lecteur, partage avec nous une réflexion sur sa consommation vestimentaire. Un jour d’hiver, il a cherché à savoir d’où venait son pull en laine et quelles valeurs sociales et environnementales il portait.
D’ou vient mon pull en laine ?
Folie textile, tu consumes les Hommes.
Ce jour-là, ton enchantement m’a gagné. Un de tes émissaires m’a envouté et d’un amour sincère j’ai cédé pour un col roulé en laine Mérinos : noir charbon, harmonieux, sensuel, doux. L’incarnation de l’indispensable. Ce n’était pas prévu : j’étais en quête d’un pantalon, tu m’as fait corps. Je te porte aujourd’hui alors qu’il fait froid et que j’observe la lumière pâle d’hiver dessiner le temps qui passe en déplaçant les ombres sur le sol.
En fond sonore, le podcast d’une amie élargit ma vision d’un monde vestimentaire que j’ai longtemps ignoré, pourtant si créatif et qui m’entoure. Victoire parle de laine ce matin. Son invitée Déborah Berger est experte en laine mérinos. Tiens. Rêveur attendri égrenant les secondes, je m’anime en humain interloqué par les mailles de son pull : d’où viens-tu, mon pull ? Nous voilà au corps-à-corps, si proches et pourtant inconnus. Comme un vulgaire plan cul, je ne me suis intéressé qu’à ton physique sans m’intéresser à ton histoire, aux fils qui suspendent ton existence.
Quoi ? La laine peut-être synthétique ? Mixée avec d’autres types de laines ? Alors que la discussion continue entre les deux oratrices. Je retire mon pull que j’interroge, les pupilles écarquillées torse-nu sur mon canapé : qui es-tu ?
L’enquête commence par la matière

Crédits @NativaPreciousFiber
Anatomie d’un pull
Il y a plusieurs races de moutons, et chaque race produit un type de laine
Le mérinos est un mouton principalement élevé en Australie, Nouvelle-Zélande et Amérique du Sud, ils y sont en général bien traités. L’air est limpide, la nourriture riche et le climat tempéré : de véritables paradis naturels. Merci l’internet, mais permets moi de douter. Le paradis ça me parait bien trop beau pour de subtils moutons non croyants. Avec ardeur, je me plonge à nouveau dans les méandres de mon moteur de recherche écolo.
Quel est son parcours à ce mouton ?
Les éleveurs élèvent des cheptels de moutons. Une fois par an des tondeurs spécialistes récupèrent la laine dite grasse. La fibre arrive dans des usines de peignage, elle est lavée, puis la lanoline – le sébum du mouton – en est séparée. Ensuite la laine est cardée, peignée, ils en font des balles de laines qui partent vers le filateur, et enfin on obtient le fil. Ce qui fait la qualité de la laine, en fait c’est surtout son micronage.
Nous y voilà ! Ton passé est obscur, et aucun moyen de savoir quelle est la taille de tes fils. La seule chose que je peux affirmer à ton sujet, c’est que tu ne grattes pas. Ça ne doit donc pas être si épais que ça.
Bon, la laine c’est une chose, la confection en est une autre, et là, internet ou pas, je suis face à un mur. Tu m’affirmes avoir été conçu en Roumanie, la toile me montre tout et son contraire : des usines neuves équipées au personnel heureux et bien payé, comme des taudis d’esclavagisme moderne.
Et quid de la distribution ?
Par un trou noir, tu sautes du dos de moutons océaniens sympathiques aux étagères de mon magasin de vêtements. Ma tentative d’en savoir davantage échoue. La tête blindée de chiffres, de couleurs, de photos de moutons dans les pâturages. Je m’arrête dans mon enquête. Je suis rassuré de la bienfaisance de ma toison. Cependant, je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine mélancolie à l’égard des moutons qui ne sont pas aussi bien nés. Le mulesing, la délocalisation, l’élevage intensif et massif sont autant de réalités qui concernent la grande majorité de tes copains sur les étales. J’ai été veinard: tu es un col roulé plutôt honorable. La fois prochaine au lieu de jouer à Sherlock sur mon canapé j’interrogerai le vendeur pour être certain de ton authenticité.
Remonter la chaîne de production requiert un vrai travail enquête

Faut-il jeter ses vêtements non éthiques ?
Commentaires
(0)