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About a Worker, lumière sur les ouvriers qui créent la mode

Dans notre imaginaire commun, la mode est l’affaire des designers. Pourtant, dans les coulisses, l’industrie de la mode inclut une variété de métiers cachés aux yeux des consommateurs·trices. Des milliers d’êtres humains sans qui la machine mode ne pourrait pas tourner. About a Worker est née de ce constat et d’une envie de réhumaniser la mode. Chez About a Worker, l’accent est mis sur les individu·es, celles et ceux qui conçoivent réellement les vêtements que nous portons. Projet créatif, social, engagé et innovant, marque de mode originale, About a Worker est une entité fascinante et difficile à décrire. Nous avons donc laissé la parole à Paul et Kim, les deux co-fondateurs, pour nous présenter le projet sous toutes les coutures.

Kim, Paul, comment vous est venue l’envie de créer un projet social comme About a Worker ?

KIM

Avant de créer About a Worker, je me suis formée à la Design Academy d’Eindhoven aux Pays-Bas, avec une approche centrée autour de l’humain et les problèmes socio-politiques contemporains. De cette expérience est née l’envie de réimaginer des systèmes de création et de production qui puissent être viables et novateurs pour le monde de demain. A mesure que la réflexion avançait, je me suis rendue compte qu’il était impossible de faire avancer le milieu de la mode sans inclure toutes les personnes qui y travaillent. C’est ce qu’on fait aujourd’hui avec About a Worker.

PAUL

Mon parcours est différent de celui de Kim mais les deux sont complémentaires. De mon côté, j’ai étudié le management et l’entreprenariat en me concentrant sur le milieu du design. Kim et moi étions amis avant de confronter nos visions et de fonder About a Worker il y a 4 ans. 

En quoi consiste le travail d’About a Worker ? 

KIM

About a Worker est un label itinérant. Nous ne sommes pas simplement basés à Paris. Nos collections naissent partout, y compris à l’étranger. Notre objectif est de mettre en avant les ouvrier·es et de valoriser leurs conditions et leurs savoir-faire. Chaque collection est différente et créée par des ouvrier·es différents. L’inspiration vient de leur contexte de vie et de leur uniforme de travail. Par exemple, notre première collection créée en France à Saint-Denis avait pour inspiration principale le bleu de travail, symbole de l’ouvrier français. Notre deuxième collection développée à Venise était, elle, basée sur les tenues traditionnelles des brodeuses de Burano, région historique de la dentellerie italienne. Plus tard, de retour en France, avec La Redoute, on a développé une collection inspirée des gilets de sécurité des manutentionnaires. On considère que notre travail est d’initier les ouvrier·es au design mais aussi de parler de leurs vies et des problématiques qu’ils et elles vivent au quotidien.

PAUL

Notre travail s’inscrit dans une démarche de design social. Le vêtement est utilisé comme un médium pour permettre l’expression et créer un dialogue. On essaie d’humaniser la condition ouvrière et de valoriser ces gens. C’est grâce à ces gens que l’industrie de la mode tourne et, pourtant, ce sont ces gens qu’on entend le moins. 

Quel est le profil des ouvrier·es avec qui vous collaborez et qui conçoivent les collections d’About a Worker ? 

KIM

On travaille avec des profils extrêmement variés :

  • Notre première collection a été développée avec les Workers de Mode Estime, un atelier d’insertion situé à Saint-Denis en banlieue parisienne.
  • Ensuite, à Venise, nous avons travaillé avec une population carcérale féminine. On ne savait pas trop à quoi s’attendre dans ce cas précis. On ne connaissait pas beaucoup les problématiques des détenues avant d’entrer en contact avec elles. On s’est rendu compte que leur vrai souci était la perte d’identité, une forme de déshumanisation, étant seulement identifiées comme des prisonnières.
  • Pour notre collection développée avec La Redoute, on a travaillé avec des logisticiens, des manutentionnaires du centre logistique Quai 30 dans le Nord. La collection a été conçue de A à Z par les ouvrier·es avec le soutien et le savoir-faire technique des directeurs artistiques, modélistes et créatifs de la marque.
  • A Shenzhen, en Chine, nous avons travaillé avec des femmes licenciées d’un sweatshop local. 
  • On a aussi collaboré avec des membres de l’association Anti_Fashion dans le cadre de l’expo A Labour of Love créée par Li Edelkoort.
  • A Prato, en Italie, on a travaillé avec des élèves de l’institut Marangoni, une école de mode implantée à Florence.

En ce moment, on se prépare à travailler avec des artisan·es français·es !

PAUL

Globalement, même si les profils avec lesquels on collabore sont très variés, nos Workers sont le plus souvent des ouvrier·es d’usine, des manutentionnaires, des artisan·es, des étudiant·es ; des personnes avec des parcours atypiques, des niveaux d’expérience très variables. Pour beaucoup d’entre eux, le travail réalisé avec About a Worker leur permet de se sentir libres de s’exprimer pour la première fois. Au-delà de leurs compétences techniques pures, ce sont leurs histoires qui nous intéressent. On leur demande de nous raconter leur parcours de vie à travers la collection. 

Comment crée-t-on une collection lorsqu’on le fait avec des personnes qui découvrent ce travail pour la première fois ? 

PAUL

Chaque projet est unique. On travaille à la fois avec des gens qui s’y connaissent un peu en mode et avec des gens qui n’ont absolument aucun bagage dans le domaine. On essaye alors de trouver des moyens pour permettre à ces personnes qui ne savent pas dessiner de laisser libre cours à leur créativité et d’inventer des silhouettes. Pour permettre d’initier les Workers au design rapidement de manière à pouvoir sortir une collection, Kim a mis au point un process en 4 grands chapitres :

  • On commence par l’élaboration d’un tableau de tendances.
  • On passe au moodboard avant d’attaquer l’étape du prototypage puis, enfin, à la production du produit fini. Avec cette méthode, on apprend d’abord nous-même à connaître les personnes.
  • On leur apprend à leur tour à analyser leur environnement.
  • Vient ensuite un travail totalement collaboratif où on traduit leur vision sur un medium concret qu’est le vêtement. Évidemment, chaque étape est remplie d’exercices qui diffèrent selon le contexte et s’adaptent aux personnes qui travaillent sur la collection. 

KIM

On intervient peu dans le processus créatif, nous sommes là pour les conseiller et s’assurer que la collection reste cohérente. Comme les ouvrier·es avec qui nous travaillons sont designers, nous les rémunérons pour leur temps de travail et nous leur versons des royalties sur chaque vente par la suite. 

Quelles sont les valeurs que vous cherchez à véhiculer à travers votre travail et celui des Workers ?

KIM

Notre objectif premier est de faire naître une conversation au sujet des Workers eux-mêmes, sans donner d’avis clé en main ou d’idées préconçues. Chaque collection part d’une question qu’on souhaite poser sur le travail d’une population précise, ensuite, les Workers transmettent une donnée sur sa vie par le vêtement. Nous voulons aussi avoir un impact sur la façon dont l’industrie de la mode s’organise de l’intérieur, valoriser des profils de compétences très différents et leur permettre d’avoir de vraies conversations pour avancer ensemble.

PAUL

Parfois, ce sont des entreprises ou des institutions culturelles qui viennent vers nous avec un sujet, une question à poser.
Notre deuxième collection créée par des femmes incarcérées à Venise s’inscrivait notamment dans ce cadre puisque nous l’avions développée à la demande d’une fondation pour la biennale d’architecture. 

Ce travail a-t-il un intérêt direct pour les Workers impliqués ? 

KIM

Tout le monde ressort enrichi de chaque projet ; nous-mêmes, les Workers et le public pour qui on crée. À travers leur travail, les Workers nous apprennent beaucoup de choses sur leurs conditions, mais ils apprennent aussi beaucoup de choses eux-mêmes, comprennent à quel point leur métier est important pour faire évoluer l’industrie textile, découvrent le quotidien d’un studio de design et d’apprendre à y travailler. À l’issue des projets, beaucoup d’entre eux nous disent qu’ils ont été inspirés et qu’ils souhaitent aller plus loin après. Parfois, on voit de vraies évolutions de carrière chez certain·es : une ancienne a créé son association de couture, un autre est devenu second dans un atelier de couture. On tente d’aiguiser leur esprit critique et par la même occasion, les rendre visibles auprès du grand public. 

Comment sélectionnez-vous les matières avec lesquelles vous travaillez chez About a Worker ? 

PAUL

Les matières évoluent évidemment à chaque collection. Chez About a Worker, le choix des matières n’est pas guidé par des règles très définies si ce n’est de faire produire un minimum de matière neuve et donc d’upcycler au maximum. Pour y arriver, nous développons continuellement des partenariats avec des industriels. Par exemple, un de nos partenaires principaux est un tisserand breton spécialisé dans la fabrication de tissus techniques notamment utilisés par les militaires, les pompiers, etc. Après qu’il ait effectué son contrôle qualité, nous récupérons les matières jugées non-conformes qu’il ne pourrait pas vendre à sa clientèle habituelle et dont il aurait dû se débarrasser.

KIM

Nous essayons aussi d’utiliser des nouvelles matières innovantes au maximum. On est notamment en contact avec Manteco qui produit de la laine recyclée. Ils vont nous fournir en chutes de matières. 

En décembre 2020, About a Worker remportait les Grands Prix de la création de la ville de Paris. Qu’est ce que cette victoire signifie pour vous et pour le projet dans sa globalité ? 

KIM

C’était la première fois qu’on gagnait un prix ! C’était un beau cadeau de fin d’année et une belle récompense pour tout le travail accompli au cours de ces 4 années. Bien sûr, c’est aussi une belle aide financière qui va nous permettre de lancer notre ligne WRKR de pièces basiques.

PAUL

About a Worker est un projet hybride difficile à qualifier. Nous sommes ni totalement une marque de mode, ni totalement un projet artistique, ni totalement un studio de design. Et pourtant, on a quand même décroché ce prix. J’y vois une preuve du fait que Paris croit en une mode alternative et innovante qui dépasse les schémas standards. Cette victoire d’About a Worker témoigne d’un changement de vision profond dans l’industrie de manière générale.

Quels sont les prochains projets de la marque ? 

PAUL

On travaille en ce moment avec la Fondation Martell sur la préservation des savoir-faire spécifiques à la fabrication de charentaises ! Ces savoir-faire sont sérieusement en danger d’extinction. Nous lançons donc une collaboration avec les artisans du dernier atelier de charentaises !

KIM

En parallèle, on prépare la sortie de notre ligne WRKR évoquée juste avant et qui devrait sortir très bientôt. Il s’agit d’une ligne de pièces basiques que nous proposerons à des prix abordables. Cette ligne servira aussi de base de travail pour les ouvrier·es avec qui on collaborera à l’avenir. Ce sera également une nouvelle manière de montrer et de valoriser de nouveaux systèmes de production textile et de nouvelles matières proposés par des entreprises bien établies ou par des jeunes innovant·es.

 

Le site About a Worker

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