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Une brève histoire de la tyrannie du summer body

 

Description

Quand la femme fait corps avec la société

 

REQUÊTE

summer body

 

MÉTADONNÉE GOOGLE

Comme chaque année, vers le mois de mai, la société s’accorde pour nous mettre au régime afin de pouvoir fièrement arborer notre bikini. Mais est-ce que cela a toujours été le cas ?

 

CHAPÔ

 

Nous ne sommes qu’au printemps, pourtant les défis minceurs commencent déjà à envahir nos fils d’actualités sur les réseaux sociaux, les publicités pour les salles de sport, les pilules ou encore les boissons pour perdre du poids continuent sournoisement le travail dans notre quotidien, placardés sur des autobus ou des murs du métropolitain. Et quand nous pensions enfin être tranquilles et prendre du temps pour nous, le premier magazine féminin attrapé nous rappelle pourtant à l’ordre : il va falloir les perdre ces kilos, lisser cette cellulite qui dérange, avant l’été. 

Mais pourquoi au juste ? Pour qui ? Comment historiquement en sommes-nous arrivées à détester notre corps ?

 

H2 Une esthétique, avant tout politique.

 

Avant de retourner sur les bases historiques d’un dévoilement hautement ritualisé et imposé aux chairs occidentales sur les plages, revenons sur un fait. Si les normes évoluent, la relation que nous entretenons avec la nudité est, elle, dictée par des lois, pensées par des hommes pour des femmes.   

Nos corps, une fois déshumanisés et transformés en objets, sont devenus une question d’utilité publique, régis par la société. À travers eux, se cristallisent et s’inscrivent tous ses paradoxes et ses inepties. 

 

CITATION “Toutes les lois depuis l’antiquité sont faites par des hommes qui interdisent ou pas, certains vêtements” 

Audrey Millet, historienne et auteure de Les dessous du maillot de bain : une autre histoire du corps.

 

Si hier, nous dénuder pour prendre un bain semblait inconcevable et outrageux, aujourd’hui c’est l’inverse qui l’est : cacher son corps entraîne la suspicion. Doit-on encore rappeler les polémiques nationales et estivales sévissant en France (depuis 2016) qui ont toutes pour origine l’utilisation d’un maillot de bain (trop) couvrant, autrement appelé burkini ? S’il agace autant, c’est qu’il contrevient à la nécessité et à l’évidence d’une pratique ritualisée de dévoilement du corps. Y dire non, c’est dire aussi refuser cet arbitraire social… Retour sur une courte histoire de notre #summerbody

 

VISUEL 1 

Crédit : Middle East Monitor

 

H2 Le XIXe siècle, l’Europe se jette à l’eau

 

Cela peut surprendre voire dégoûter, mais nos ancêtres ont des siècles durant, méticuleusement éviter tout rapport à l’eau. La croyance voulait que le liquide ramolisse les chairs et laisse ainsi pénétrer plus aisément les pestes. À cette raison hygiénique s’ajoute à une problématique d’ordre sociale : se baigner, s’est se découvrir, mélanger les genres, les sexes, créant ainsi une sensualité entre Chrétiens intolérable pour l’Église catholique, comme le rappelle Georges Vigarello, en évoquant la pratique de la baignade : “La peste a pu avoir d’autant plus d’impact qu’elle touchait à une pratique instable et déjà contestée”. Là aussi, le corps est au centre des règles religieuses et politiques. Du XVIe au XIXe siècle, on se (re)couvre donc ! 

 

VISUEL 2 

Tapisserie médiévale anonyme du XVe ou XVIe siècle, Musée national du Moyen Age – Thermes de Cluny, Paris | Crédit : base de données Joconde via Flickr 

 

Grâce aux avancées de la science au XIXe siècle, on se rend peu à peu compte que notre peur de l’eau n’est pas aussi justifiée qu’elle le paraissait, et qu’elle peut même être bienfaitrice (l’eau, pas la peur). Et oui, l’eau lave ! Cette découverte est dûe, notamment, aux quatre épisodes épidémiques de Choléra qui ont sévi en France en 1832, en 1854, en 1866 et en 1884 durant lesquels les chercheurs s’aperçoivent que le maintien d’une certaine propreté rendait certains groupes de population moins sensibles au vibrion à l’origine du Choléra. 

 

CITATION : “L’été devient synonyme d’une nécessaire aération des organismes” Christophe Granger, La saison des apparences

 

À la fin du siècle donc, l’eau n’est plus à éviter, les médecins hygiénistes recommandent désormais son contact avec notre peau. À cette découverte médicale, s’ajoute celle des bienfaits du soleil sur notre santé morale et physique. Pour échapper aux épidémies et renforcer nos corps, on se baigne alors l’été, mais recouverts de la tête aux pieds, avec des hauts à manches longues et des bas qui couvrent a minima les genoux. Se baigner oui, mais avec décence.

 

VISUEL 3

Bathing costume, from The Delineator, July 1884. (Smithsonian photo 58466.) / Crédit : Claudia . Kidwell

 

Mais la popularisation du bain tel qu’on le connaît aujourd’hui s’est vraiment propagée sous l’influence de la culture gymnique. Les sports d’eau se popularisent doucement auprès des garçons et auprès des filles, qui pour pouvoir nager sans entrave et atteindre des résultats sportifs satisfaisants durant leurs compétitions, raccourcissent leurs tenues.

 

H2 1907-1932 : De la naissance du maillot de bain au bikini

 

C’est à une Australienne que nous devons la naissance du maillot de bain. Plus précisément grâce à Annette Kellermann ! En 1907 à Boston, la jeune sportive arbore un maillot pensé et réalisé par une amie anglaise afin d’améliorer ses performances sportives. Mais tout ne se passe pas comme prévu… Sa tenue plus courte, plus moulante et sans manches lui occasionne une amende pour impudeur ainsi qu’un passage devant un tribunal. Cependant, la nageuse ne se laisse pas intimider et le juge rend un verdict en sa faveur.

 

CITATION : “Nous sommes en 1907 et le maillot de bain naît dans un tribunal” Audrey Millet 

 

Les femmes peuvent alors enfin choisir de porter des tenues qui les laissent libres de leurs mouvements sans risquer de procès ou d’amendes. 

 

VISUEL 4

Femmes en maillots de bain en 1925 – Crédit : Pinterest

L’histoire prend un nouvel élan en 1932, lorsqu’un couturier parisien, un certain Jacques Heim réalise son modèle Atome. Un bikini composé d’une culotte haute et d’un soutien-gorge, les deux à volants. Bien que cette création choque voire offusque, il n’y a cependant rien de bien étonnant à sa temporalité : nous sommes alors dans l’entre-deux-guerres et la France, épuisée par la guerre, est obnubilée par sa régénération nationale qui passe avant tout par… les corps des françaises, devenus centraux. Les conditions sont en place pour l’établissement d’un summer body, un corps d’été. La saison étant particulièrement propice au renouvellement des organismes humains. Mais ce n’est pas sans susciter insultes ou bastonnades auprès d’une société encore hautement conservatrice qui juge ces “amas de chairs” comme autant d’exemples d’indécence, d’impudeur et d’insultes à la race. 

 

H2 Les trente glorieuses ou le triomphe du corps

Avec la Libération et le vote de la troisième semaine des congés payés en 1956, l’été et avec lui ses bains de soleil et ses baignades devient le symbole du modernisme et de la réussite sociale et économique : il n’est plus question alors de remettre en cause ces corps qui se dévoilent. Oui, mais pas n’importe comment… Nous payons la liberté de se dévoiler au prix d’injonctions et de normes esthétiques strictes : pour pouvoir s’installer sur sa serviette sans anxiété, il faut désormais un corps mince mais pas maigre, ferme, brun et lisse comme l’illustre bien cet extrait de Elle de 1959 qui préconise à ses lectrices la technique du pinch pour traquer le gras : “pincez-vous, vous saurez ainsi si vous avez droit à votre costume de bain”. Les magazines féminins tels que Elle, Femina, Marie Claire ou Madame Express, dictent et se font le relais de ces normes à la petite et à la moyenne bourgeoisie moderne. Auparavant gestionnaires de leur foyer, les jeunes femmes en en sortant et en acquérant leur indépendance économique, doivent alors devenir leur propre manager. Et cette vision s’imprime dans leurs corps. En laissant tomber l’idéal de la bonne ménagère pour celui de la femme indépendante, elles en payent physiquement le prix et doivent répondre aux exigences de gestion et d’organisation de leur temps, de leur travail et cela passe également par une discipline qui s’affiche sur leurs corps. Finalement, si nous n’arrivons pas à afficher les mensurations idéales et à maîtriser notre corps, c’est implicitement que nous ne sommes pas dignes de l’exhiber aux yeux des autres.  

À cette époque l’art de vivre et les règles de l’apparence sont illustrés par des exemples de canons de beauté comme Brigitte Bardot en 1956 dans le film de Roger Vadim Et Dieu créa la Femme ou encore en 1963 par Ursula Andress lorsqu’elle sort de l’eau, peau dorée, corps svelte recouvert d’un bikini dans James Bond contre Dr No

VISUELS 5 & 6

Crédits : Visual & CORDON PRESS

Pour mieux promouvoir ce mouvement d’une définition sociale et unique du corps féminin, la presse féminine guide notre lecture et nous vante une réappropriation de notre corps, une liberté reconquise sur des siècles de domination alors qu’elle promeut exactement le contraire, une domination de son corps, désormais traité en tant qu’objet dangereux à modeler. Elle a donné l’illusion d’un naturel à ce jeu social jusqu’à ce qu’elle se heurte à une autre norme – ici, couvrir son corps – et dévoile ses mécanismes de construction : elle s’enracine dans l’exclusion – cachée derrière un raisonnement sophiste – des autres types de corps que celui qu’elle a érigé en normes, des autres types de vêtements que ceux qu’elle a au préalable approuvé, des autres types de peaux qu’elle a définie auparavant comme suffisamment beaux pour être montrés, … 

 

Sources :

  • Granger, C. (2017). La saison des apparences : Naissance des corps d’été. Anamosa.
  • Millet, A. (2022). Les dessous du maillot de bain – Une autre histoire du corps. Les Pérégrines.
  • Vigarello, G. (2014). Le propre et le sale. L’Hygiène du corps depuis le Moyen Âge. Contemporary French Fiction.
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