Portrait de jeune créateur : Grégoire Willerval, designer et fondateur de streewear Éclort

Designer de couleurs. De motifs. D’imprimés à messages qui se fondent dans l’époque et bousculent les codent traditionnels des écoles de Mode. Créer son enseigne avant d’être diplômé, il faut oser. Maîtriser la chaîne de production, du dessin aux finitions des bord-côtes, c’est ambitieux et déterminé, surtout quand on a 24 ans. Grégoire est un jeune créateur au talent franc et au sens aigu du détail. Ses collections sont audacieuses, libres de codes et affranchies des jugements. Ses confections valorisent le Made In France et le savoir-faire. Si son jeune âge n’est pas dénué d’expérience, c’est parce qu’il fait preuve d’écoute et de curiosité pour enrichir perpétuellement ses idées et sa méthode de travail. Échange de bons procédés créatifs, le rap et la street le nourrissent, alors il rend à la street et au rap. En collaborant avec des rappeurs, en créant des vêtements qui s’expriment, en incitant son prochain à vivre son Style, indépendamment du regard de l’autre.
Vainqueur du Prix Avantex du Festival de Dinan où Thegoodgoods était jury, il a défilé deux fois pour cet évènement, les Marie Claire Fashion Days à Budapest, concourut pour plusieurs festivals dont l’Open Mode et Dress Code. Rencontre avec le fondateur de la marque Éclort qui grandit en fleurissant la street.

 

 

 

L’interview de Grégoire Willerval ?

Qui es-tu ?

J’ai 24 ans. Je suis originaire d’un village du Nord, diplômé d’ESMOD et spécialisé en homme. J’ai la particularité d’avoir monté ma marque de vêtements pendant mon cursus. Je n’avais pas d’affection particulière pour la mode, je voulais apprendre à fabriquer des vêtements de sport qui permettent de le pratiquer. L’école m’a ouvert à la culture Mode, mes créations ont progressivement dérivé du sportswear au streetwear, intégrant des codes et des influences très éclectiques. Je mixe tout : aussi bien le sport et le street art que les mouvements picturaux ou l’histoire de l’Art. Ma première collection a tiré ses courbes et formes des sports collectifs, son côté ample et fonctionnel du skate, ses motifs de l’histoire de la religion chrétienne. J’aime les univers riches, colorés, les motifs nombreux, et la contradiction !

Mécanique d’une esthétique

Je suis passionné de design automobile. J’ai dessiné des montagnes de voitures, je connaissais chaque modèle, chaque marque, et j’étais naïvement convaincu d’avoir une réelle culture dans ce domaine. Puis j’ai réalisé que j’ignorais tout de la mécanique et que cela m’intéressait moins que l’esthétique. Parallèlement, au lycée, j’avais dessiné le maillot de mon club de handball, finalement commandé pour toutes les équipes, et qu’on avait fait produire dans une usine à proximité qui fournissait notamment Kappa et certains clubs de foot de L1. J’ai eu un déclic, j’ai choisi la Mode où la culture de la technique est moindre, où les connaissances à l’entrée de l’école importent peu. C’est presque dommage d’ailleurs. Finalement les dimensions sociologiques, historiques et techniques du vêtement sont assez survolées même dans la filière Mode. On a tendance à banaliser l’objet, ne pas reconnaître ce qui fait une belle conception. Personne n’intellectualise le travail d’un créateur.

Conception

Les imprimés font partie intégrante de mes créations. La seule exception est ma collab avec le magasin Jean-Louis (un concept store du 1er arrondissement NDLR), pour lequel j’ai conçu un pantalon et un sweat réversible en colorblock.
Les imprimés sont une marque de distinction, mais aussi des messages. Je dessine tous mes motifs, j’aime qu’ils soient eye-catching, je les réfléchis en fonction du textile, du mouvement d’une coupe. J’adore détourner, comme les tickets de métro sur ma dernière collection, ce qui me vient sans doute de la culture pub dans laquelle j’ai baigné étant enfant.
Je commence une collection en imaginant une coupe, un volume qui me sert de référence, puis un thème, une gamme couleur et enfin des motifs. La dernière co’ raconte la montée des eaux, elle comprends 8 silhouettes comme des étapes : l’alerte avant la catastrophe, des couleurs flash et une vraie signalétique, puis l’eau qui s’installe, des poissons, des coraux, des bouts de photos de famille qu’on aurait pris à la hâte avant le cataclysme, et ainsi de suite.
Mon processus est assez répétitif : je pars de l’aspect pratique du vêtement auquel j’ajoute une dimension fantaisiste.

Made in bassin textile

Dans un premier temps, le parti pris du Made In France l’était par facilité. Je ne suis pas excellent en anglais et j’avais besoin de maîtriser : des usines proches, rencontrer les travailleurs, discuter concret. Puis j’ai compris l’importance de la valorisation du savoir-faire avec le temps, perpétuer une histoire. Jusqu’à il y a peu, je faisais tout de A à Z : dessiner, patronner et coudre. Je suis un touche-à-tout hyper curieux, j’ai une machine pour tricoter mes propres bord-côtes, et je fais l’ensemble de mes visuels. Les textiles sont maintenant parfois importés d’Espagne, notamment pour les collabs où les commandes concernent de gros volumes, et parce que j’y ai trouvé une entreprise qui fait des jersey et des sergés exceptionnels, des matières techniques imperméables de grande qualité. Je veux que l’on reste une production Made In Europe contrôlée, et Made In France pour les accessoires. Les imprimés eux sont réalisés à Bobigny.

Gender fluidity 

Toutes mes constructions sont pensées pour les hommes mais portées davantage par les femmes ! Les coupes sont droites, larges, il y a pas mal d’inspiration vintage 90’s, mais j’imagine que les couleurs et les imprimés sont dissuasifs pour les hommes, pour l’instant moins assumés. 

Détournement

La catchphrase Extend boundaries, c’est s’inspirer du quotidien et le rendre Mode en changeant de dimensions. Utiliser un foulard sur un homme, masquer son visage pour mettre en avant mon print et le vêtement avant le mannequin. Casser le culte du spectacle, du selfie, de l’égo et le port conventionnel d’un accessoire détourné pour se protéger du regard de l’autre. Cacher et attirer l’attention en même temps, dans une société où on est filmés en permanence.
Je détourne également mes méthodes de travail. Pour l’instant je ne vis pas de ma marque, je suis modéliste ou styliste pour des concepts stores, des bureaux de tendance, mais aussi des rappeurs. En ce moment on crée une ligne de vêtements avec Alpha Wann – son dernier album Une main lave l’autre, est selon moi la meilleure prod de rap de l’année ! – qui n’y connaît rien en vêtements, c’est un extra-terrestre de la Mode et c’est précisément ce qui m’intéresse. Il ne réfléchit pas en terme de collections, séries, coûts. Il prend le temps pour l’objet, avec méticulosité, la coupe, les matières, il n’hésite pas à renvoyer des commandes si la qualité du tissu n’est pas suffisante. Il est plus consciencieux que des professionnels du milieu ! C’est agréable d’être dans le respect de l’essence créative bien plus que dans la rentabilité.

Éclort

Ce nom a fait l’objet d’une longue réflexion qui date du lycée, c’est la fusion de la fin du mot sport et du mot éclosion. La sonorité est belle et l’image est celle d’une nouvelle façon de voir et porter le vêtement, une alternative. Le logo vient d’un monument en pierres situé au bout de mon jardin, à Vimy, ancien lieu de bataille de la seconde guerre mondiale où beaucoup de canadiens sont morts. C’est un hommage. Je l’ai vu tous les jours étant enfant, je me le suis réapproprié pour la marque, en l’arrondissant pour lui donner une idée d’élan, de vitesse, de sportif qui passe la ligne d’arrivée les bras en l’air.
 

Le streetwear, élégant ?

Je ne crois pas qu’il y ai une coupe élégante. Un costume, un standard. Les codes sont fluides et évoluent. Le vêtement n’est rien sans la façon dont on le porte, dont on l’incarne, il faut se l’approprier, combiner des pièces pour les faire exister. Ce qui est important, c’est de défier les standards, c’est ce que j’encourage toujours à faire : oser. Je n’aime pas ce que la majorité essence. J’ai essayé dès le collège de prendre le contrepied de la pensée générale. Je n’ai jamais fumé par exemple. Pour le vêtement c’est pareil : je trouve que tout ce qui se passe autour de Virgil Abloh est hyper boring. Je lui reconnais d’avoir émergé malgré son absence totale de background artistique, mais l’engouement général est disproportionné. À contrario, le travail de Demna (Gvasalia, Directeur Artistique chez Balenciaga NDLR) a révolutionné les tendances parisiennes établies. Il ironise la Mode, pour moi c’est le Vlad de cette industrie !

Les habits

J’ai un grand frère de 5 ans de plus, les vêtements n’étaient pas un pôle de dépense important pour mes parents : je portais ceux qu’il avait peu mis. Au collège et au lycée, j’avais toujours des looks qui avaient 5 ans de retard, ce qui est le pire cycle… 10 ans plus tard les tendances peuvent revenir, 5 ans tu es pile dans tout ce qu’il y a de plus has been. J’étais souvent raillé, aujourd’hui j’en prends probablement la revanche. J’ai gardé cette habitude de porter un peu n’importe quoi et ne pas réfléchir à la dernière it-piece, car c’est pour moi normal d’être regardé, on sourit à mon passage dans la rue, ça ne me dérange pas. Je mixe le matin, pour le plaisir et sans penser à ce qui ce fait en terme de mélanges de motifs, de matières ou de nuances.
 

Appli fétiche

City Mapper et Deezer !

Citation mantra

Celle qui figure sur toutes mes étiquettes : « Je préfère être un voyou donneur qu’un citoyen spectateur » Elle vient d’un graffeur.

One shot interview

Moutarde ou Kaki

Prince de Galle ou pied de poule

Virgil Abloh ou Alessandro Michele

Charbon ou Granit

Rumsteak ou tempeh

Jules Renard ou Riad Saatouf

Banane ou backpack

Istanbul ou Toronto

ÉCLORT

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